L’Allemagne a jeté un pavé dans la mare européenne. Dans un document transmis aux Vingt-Sept, Berlin pose ses conditions pour le budget 2028-2034. « Il n’y a aucune base pour augmenter le volume du budget européen par rapport au revenu national brut », prévient le nouveau gouvernement de Friedrich Merz. Traduction : pas un euro de plus. Et bien sûr, l’Allemagne veut maintenir son rabais actuel et en obtenir une nouvelle ristourne contre ce qu’elle considère comme une contribution excessive à la cagnotte européenne (23,6 % du total). Les Pays-Bas, leader des pays frugaux, devraient applaudir. Emmanuel Macron, lui, fait la grimace, et il n’est pas le seul.

Face à cette intransigeance, la coalition des pays latins se dessine. France, Espagne, Portugal… Mais le Parlement européen aura aussi son mot à dire. Or le Parti populaire européen (PPE), auquel Merz est affilié, fait bloc pour défendre une vision ambitieuse du budget et vient percuter la position allemande.

Le lourd remboursement du plan de relance

L’équation budgétaire est explosive et ce qui se joue derrière les chiffres n’est ni plus ni moins que l’ampleur ou la décadence programmée du projet européen. L’Union européenne doit rembourser 806 milliards d’euros, le prix du plan de relance post-Covid. À partir de 2028, l’addition tombe : 15 milliards d’euros par an de remboursement pendant trente ans. Au total, pour faire face à toutes les échéances, la Commission estime les besoins à 36 milliards d’euros annuels. En plus des politiques traditionnelles (l’Agriculture et les fonds de cohésion pour les régions les plus pauvres), de nouvelles priorités alourdissent la facture : défense européenne, soutien à l’Ukraine, recherche (IA, quantique), élargissement, gestion des flux migratoires…

Comment financer tout cela ? Berlin ne se contente pas de dire non. L’Allemagne a un plan complet pour refondre l’Europe budgétaire. Le chancelier Friedrich Merz pose un principe : l’argent européen ne sera distribué qu’en échange de « réformes structurelles » nationales. Toutes les dépenses existantes devront être vérifiées selon leur « efficacité », en appliquant le principe de subsidiarité. L’Allemagne veut renforcer la « gouvernance » avec des mécanismes de performance stricts : jalons, objectifs, évaluations. Les programmes qui n’y répondent pas seront coupés. Et le respect de l’État de droit, comme condition budgétaire, doit être renforcé : message adressé directement à la Hongrie…

L’Europe à la carte

En fait, le plan allemand reprend beaucoup des idées de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen. La présentation de la proposition von der Leyen est prévue pour le 16 juillet mais, dès le mois de mars, des documents ont « fuité » du Berlaymont. « Évidemment une fuite volontaire », suppose Fabienne Keller, rapporteure Renew sur le prochain CFP (Cadre financier pluriannuel). Inspirée du plan de relance Covid, cette structure introduit des « plans nationaux » avec des flexibilités inédites. Les États pourront réaffecter librement les fonds entre programmes. Cette architecture « à la carte » satisfait Berlin : moins d’Europe fédérale, plus de souveraineté nationale.

« C’est contraire au principe de programmes européens qui ont des objectifs partagés », dénonce Fabienne Keller. L’exemple du Fonds de transition juste illustre le piège : ce programme aide les régions dépendantes des énergies fossiles, principalement en Europe de l’Est. Avec la flexibilité nationale, cette logique thématique européenne pourrait disparaître.

La PAC en danger

Si les États peuvent affecter les fonds européens comme bon leur semble, pourquoi passer par le truchement de Bruxelles ? « Dans l’Europe à la carte, le transit par les tuyaux de Bruxelles deviendra de plus en plus inutile et sa légitimité démocratique pour impulser des politiques, dérisoire », confie une source soucieuse de préserver la PAC. À terme, cette approche est l’exact inverse du rapport Draghi. Elle incitera les États membres à une guerre économique interne où l’Europe ne concurrencera pas la Chine ou les États-Unis mais livrera avant tout la bataille du marché intérieur. Et la première victime sera le secteur agricole parce qu’il est justement, aujourd’hui, le secteur le plus intégré.

Le 7 mai, à Strasbourg, les députés ont adopté par 317 voix contre 206 une résolution au lance-flamme contre les desseins budgétaires de la Commission. Les eurodéputés rejettent frontalement le modèle du plan de relance généralisé et récusent les « mégafonds » fusionnant les programmes. Cette coalition unit PPE, socialistes et libéraux.

Le Parlement européen en résistance

Le PPE enfonce le clou dans un document du 18 juin. Les chrétiens-démocrates exigent un budget « doté de ressources accrues » et veulent dépasser le « niveau historiquement restrictif de 1 % du revenu national brut ». Ils veulent maintenir les financements agricoles et de cohésion, créer un budget de défense, financer la recherche. Mais sans « surcharger les citoyens européens » ni « nuire à la compétitivité ». L’équation impossible d’une droite prise entre ses promesses et les exigences de son principal bailleur de fonds.

Paris refuse d’augmenter les contributions nationales, mais pousse pour de nouvelles « ressources propres » européennes. Une taxe carbone sur l’essence et le chauffage doit entrer en vigueur en 2027, rapportant jusqu’à 705 milliards d’euros sur neuf ans.

Le Conseil dans l’impasse

Le 22 décembre 2021, Bruxelles a proposé trois nouvelles « ressources propres » : 25 % des recettes du marché carbone européen (12 milliards d’euros par an), les revenus du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (9,1 milliards d’euros par an), et une part de l’impôt mondial sur les multinationales. Total : 17 milliards annuels.

Ces propositions sont bloquées depuis trois ans. L’unanimité est requise au Conseil. La Hongrie d’Orban bloque toute fiscalité européenne, particulièrement la taxe numérique frappant les Gafam. En juin 2023, la Commission a ajouté une quatrième ressource basée sur les bénéfices des entreprises. Sans succès. L’Allemagne peut camper sur ses positions : tant que les ressources propres restent bloquées, toute ambition budgétaire se heurte au mur du financement.

L’effet « Gilets jaunes » redouté

Mais utiliser cet argent pour le budget général fait polémique. Un haut responsable européen qualifie cette idée de « complètement toxique », selon le Financial Times. Kurt Vandenberghe, directeur climat de la Commission, a déclaré le 12 juin que Bruxelles était « très attentive aux peurs et aux anxiétés », ajoutant que la Commission « ne veut pas de prix élevés ».

Le spectre des Gilets jaunes plane. En 2018, une hausse des taxes carburants avait embrasé la France. Macron mise sur la taxe carbone aux frontières et espère élargir l’assiette fiscale européenne sans nouveaux prélèvements directs.

L’Ukraine contre la PAC : danger !

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La guerre en Ukraine complique la donne. Tous s’accordent sur la nécessité de financer Kiev. L’Allemagne veut soutenir l’Ukraine tout en refusant d’augmenter l’enveloppe globale. Son document affirme que « le prochain budget doit continuer son soutien pour l’Ukraine », sans mentionner de financement supplémentaire. Implicitement, il faudrait donc couper dans la PAC et/ou les fonds de cohésion… Mais qui voudra de l’élargissement à l’Ukraine à terme s’il se fait au détriment des paysans et des régions les plus pauvres ? Ursula von der Leyen fonce dans le mur mais elle ne sera plus là quand les peuples voteront contre l’élargissement à l’Ukraine.

À chaque négociation budgétaire, tous les sept ans, le scénario se répète : discorde initiale, puis compromis à l’arraché. Il y aura, sans doute, plus d’argent pour la défense (mais pas assez), plus pour l’innovation (mais pas assez) et on rognera sur l’existant en proclamant que l’essentiel est préservé. Mais cette fois, les défis qui se posent à l’Europe sont trop nombreux, trop cruciaux, trop existentiels pour se contenter de demi-mesures. Mario Draghi ne cesse de le répéter… Il prêche dans le désert.