Il fut un temps, pas si
lointain, où lever les yeux vers le ciel suffisait pour admirer un
océan d’étoiles. Aujourd’hui, cette simple contemplation est
devenue un luxe. En cause : la multiplication des satellites en orbite terrestre,
et la lumière qu’ils renvoient depuis l’espace. Face à cette
nouvelle forme de pollution lumineuse, une équipe de chercheurs
mise sur une arme inattendue… le Vantablack.
Une explosion silencieuse
au-dessus de nos têtes
Depuis une dizaine d’années, la
conquête de l’espace ne se joue plus seulement dans les grandes
agences spatiales, mais dans le secteur privé, avec des projets
comme Starlink, la constellation de satellites déployée par SpaceX.
Résultat : plus de 8 000 satellites gravitent aujourd’hui en orbite
basse (LEO), sur un total de plus de 13 000 objets recensés autour
de notre planète. Et ce n’est qu’un début : d’ici 2030, leur nombre
pourrait quadrupler.
Mais cette expansion
technologique a un coût invisible à l’œil nu, sauf… la nuit. Les
satellites, en réfléchissant la lumière du Soleil, augmentent la
luminosité globale du ciel, y compris dans des zones jusqu’ici
préservées. Certaines régions de la Terre subissent aujourd’hui
pour la première fois une forme de pollution lumineuse venue de
l’espace.
L’astronomie menacée, et pas
seulement
Pour les astronomes, c’est un
désastre en cours. Les télescopes les plus sensibles sont déjà
perturbés par les passages fréquents de satellites brillants, dont
les traînées lumineuses gâchent les images. Selon des études
récentes, les mégaconstellations comme Starlink pourraient élever
la luminosité du ciel de 1 % dans certaines zones. Un chiffre qui
peut sembler dérisoire, mais qui représente une véritable barrière
pour l’observation de l’Univers lointain.
Cette modification du ciel
nocturne est également un enjeu environnemental. De nombreuses
espèces animales dépendent de l’obscurité pour s’orienter, chasser
ou se reproduire. Altérer la nuit, c’est aussi altérer des
écosystèmes entiers.
Une peinture ultra-noire
comme bouclier
Face à cette situation, une
idée simple mais audacieuse a
émergé : rendre les satellites plus discrets, en les peignant avec
un matériau ultra-noir. Le but ? Réduire drastiquement leur
capacité à réfléchir la lumière, pour limiter leur visibilité
depuis le sol.
Le matériau en question est le
Vantablack, une substance révolutionnaire capable d’absorber
jusqu’à 99,965 % de la lumière visible. Créé en 2014 par la société
britannique Surrey NanoSystems, il est constitué de minuscules
nanotubes de carbone alignés verticalement. La lumière s’y retrouve
piégée, incapable de ressortir.
Utilisé jusque-là dans des
domaines comme l’art, l’optique ou la technologie militaire, le
Vantablack s’apprête maintenant à prendre la direction de
l’espace.
Peindre un objet avec Vantablack lui permet d’absorber presque
toute la lumière qui l’atteint. C’est comme regarder dans le vide.
Crédit image : Surrey NanoSystemsUn mini-satellite comme
cobaye
L’Université de Surrey a
annoncé une collaboration avec Surrey NanoSystems dans le cadre du
programme JUPITER (Joint University Program for Training,
Education, and Research in Orbit). L’an prochain, ils lanceront
Jovian 1, un petit satellite de type CubeSat, de la taille d’une
boîte à chaussures. Sa particularité : l’une de ses faces sera
recouverte de Vantablack 310, une version un peu moins extrême (98
% d’absorption), mais adaptée aux contraintes spatiales.
Ce vol-test permettra de
mesurer, en conditions réelles, l’efficacité de la peinture pour
atténuer la brillance du satellite. Une première étape vers une
potentielle généralisation à grande échelle.
Un ciel sombre à sauver
Pour les scientifiques
derrière le projet, ce n’est pas qu’une expérience technique :
c’est une course contre la montre. « Les mégaconstellations de
satellites pourraient transformer radicalement notre ciel
nocturne », alerte Astha Chaturvedi, doctorante à l’Université
de Surrey. « Nous devons explorer toutes les pistes pour
minimiser leur impact visuel. »
L’Union astronomique
internationale a d’ailleurs adopté une résolution en 2023 pour
protéger le ciel nocturne, classé désormais comme patrimoine
scientifique et culturel mondial. Et cette démarche scientifique ne
vise pas à freiner le progrès, mais à le rendre compatible avec la
préservation de notre environnement céleste.
Le noir, nouvelle couleur de
l’espace ?
Peut-on rêver d’un avenir où
tous les satellites seront habillés de noir, furtifs et respectueux
du ciel étoilé ? C’est l’objectif de ces travaux. Et si le test de
Jovian 1 s’avère concluant, il pourrait bien devenir le prototype
d’une nouvelle génération de satellites responsables.
Le paradoxe est fascinant :
pour préserver notre capacité à voir les étoiles, il faudra
peut-être obscurcir l’espace lui-même. Une ironie cosmique, mais
peut-être aussi la plus lumineuse des idées noires.