23L’Allemagne mise gros sur la fusion nucléaire avec Proxima Fusion.
Une entreprise allemande veut bouleverser la donne énergétique en Europe. Son nom ? Proxima Fusion. Son ambition ? Rien de moins que construire la première centrale à fusion nucléaire opérationnelle du monde ! Elle vient de lever 130 millions d’euros supplémentaire, ce qui porte son financement total à 185 millions d’euros. Pour comparer avec l’Hexagone, c’est un peu comme si un laboratoire du CNRS se transformait en start-up et levait l’équivalent du budget annuel d’un campus universitaire pour inventer une centrale du futur !
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L’Allemagne mise 130 millions d’euros supplémentaires sur son stellarator
La fusion nucléaire est souvent décrite comme le Graal énergétique. On ne casse plus un atome comme dans la fission (le principe des centrales actuelles), on le combine avec un autre. Résultat : pas de déchets radioactifs de longue durée, pas de risque d’emballement du réacteur, et une matière première quasi illimitée – principalement du deutérium, qu’on trouve dans l’eau de mer.
Mais voilà, depuis les années 1950, tous les prototypes se sont heurtés à un obstacle de taille : on consomme plus d’énergie qu’on n’en produit. C’est ce rapport qu’on appelle Q. Tant que Q est inférieur à 1, la fusion est un rêve… cher et instable.
Le choix du stellarator : une machine tordue, mais prometteuse
Proxima Fusion ne part pas d’une feuille blanche. Elle s’appuie sur les recherches menées au Max-Planck-Institut für Plasmaphysik, et notamment sur leur bijou technologique : le Wendelstein 7-X, un stellarator de 725 tonnes situé à Greifswald, en Allemagne.
Contrairement aux tokamaks comme ITER, les stellarators utilisent un champ magnétique complexe et torsadé pour confiner le plasma. L’avantage ? Une meilleure stabilité en théorie, et la possibilité de faire fonctionner la machine en continu.
Mais jusqu’ici, leur conception géométrique presque baroque les rendait difficiles à fabriquer et à simuler. Proxima Fusion affirme avoir trouvé une solution : l’utilisation de superconducteurs à haute température et de supercalculateurs pour affiner le design. De quoi espérer produire une machine plus compacte, plus puissante et plus fiable.
L’objectif Alpha : démontrer que Q peut enfin dépasser 1
Avec ce financement, l’entreprise veut franchir une étape symbolique : construire un démonstrateur, baptisé Alpha, capable d’atteindre un Q > 1. Autrement dit : produire plus d’énergie qu’il n’en consomme. L’installation devrait être mise en service en 2031, avec un lieu encore à choisir en Europe. Plusieurs pays sont en lice, et la décision devrait tomber bientôt.
En parallèle, Proxima Fusion vise un jalon intermédiaire dès 2027 : l’achèvement du Stellarator Model Coil (SMC), une bobine de démonstration permettant de tester à grande échelle leur technologie de supraconducteurs.
Stellaris : un concept compact et réaliste, selon l’entreprise
Pour convaincre investisseurs et ingénieurs, la start-up a dévoilé un nouveau concept de machine : Stellaris. Ce n’est pas un vaisseau spatial, mais un projet de stellarator optimisé dès sa phase de conception en intégrant les contraintes d’ingénierie, de maintenance et de physique.
Sa spécificité ? Il repose sur une configuration magnétique dite quasi-isodynamique, censée améliorer la stabilité du plasma tout en facilitant la construction. Et surtout, il utilise uniquement des matériaux déjà disponibles dans l’industrie, ce qui évite de dépendre de percées technologiques incertaines.
Autre point mis en avant par Proxima Fusion : la revue par les pairs. Le design de Stellaris a été validé par des publications scientifiques et des simulations indépendantes, ce qui lui donne une certaine crédibilité dans un secteur souvent dominé par les annonces spectaculaires mais peu vérifiables.
Un partenariat public-privé qui pourrait donner des idées à la France
Proxima Fusion est née d’un spin-off, autrement dit d’une « évasion » encadrée du secteur public vers l’industrie. Elle conserve toutefois un lien étroit avec la recherche publique, et s’inscrit dans un modèle hybride entre entreprise technologique et laboratoire de physique.
Ce fonctionnement permet à l’entreprise d’accélérer le rythme tout en bénéficiant de l’expertise de longue date des chercheurs du Max-Planck-Institut. C’est une approche qu’on voit peu en France, où les passerelles entre recherche fondamentale et industrie restent souvent trop rares même s’il existe tout de même des initiatives notables. La principale entreprise privée active sur ce sujet est la start-up Renaissance Fusion, fondée en 2019, qui bénéficie de subventions publiques via des appels à projets nationaux, notamment ceux dédiés aux réacteurs innovants, qui s’adressent aussi bien à la fission qu’à la fusion.
Les Allemands ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier
Dans un coin de Munich, une autre équipe allemande joue une partition radicalement différente de celle de Proxima Fusion mais toute aussi prometteuse. Marvel Fusion mise sur une approche bien plus directe : la fusion par confinement inertiel. En langage plus accessible cela consiste tout bêtement à faire exploser des microbilles de carburant à coups d’impulsions laser ultra-courtes. Chaque bille contient des isotopes d’hydrogène, et le laser vient tout faire fusionner avant que la matière ne s’échappe.
Avec 385 millions d’euros levés, l’entreprise construit deux prototypes de lasers et une usine pilote dans le Colorado aux Etats-Unis. Siemens Energy l’accompagne pour imaginer une vraie centrale, capable de moduler la production en fonction de la demande. Une promesse technologique ambitieuse, avec un objectif fixé avant 2040.
Un pari risqué, mais stratégique
Le PDG de l’entreprise, Francesco Sciortino, résume l’enjeu : « La fusion devient une opportunité stratégique pour faire passer la production d’énergie de la dépendance aux ressources naturelles à un leadership technologique. »
Autrement dit : ceux qui réussiront la fusion ne dépendront plus ni du pétrole, ni du gaz, ni même du soleil ou du vent. Ils auront dans leurs mains une source d’énergie dense, propre et stable.
Mais tout cela reste suspendu à une démonstration pratique. Les 130 millions d’euros levés aujourd’hui, aussi impressionnants soient-ils, ne suffiront pas à construire une centrale. Ils financent uniquement la phase de validation technologique. Il faudra encore plusieurs milliards d’euros par la suite pour espérer construire une véritable unité de production à grande échelle.
Sources :
- https://www.proximafusion.com/press-news/proxima-fusion-raises-eu130m-series-a-to-build-worlds-first-stellarator-based-fusion-power-plant-in-the-2030s