Son bonnet bleu a connu des jours meilleurs. Ibrahim Bamba ne le quitte pourtant jamais. Paré de ce couvre-chef, au guidon de son vélo dégoté à l’association Roulement à Bill, le jeune homme de 22 ans n’a de cesse d’arpenter les rues de Tours. La ville est le terrain de… vente de ce jeune homme arrivé de sa Côte d’Ivoire natale en 2019. Il avait 17 ans.
Ibrahim Bamba ne vend pas n’importe quoi. Il monnaie ses livres. Ce grand garçon qui n’hésite jamais à aborder les passants est en effet écrivain. La démarche peut sembler étrange, voire contre productive. Elle est pourtant naturelle pour Ibrahim. « J’aime démarcher les gens, explique le jeune déraciné. C’est important pour moi de vendre mes livres moi-même. »
« Sans argent, ni travail, j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque »
Ibrahim a le contact facile et manie la langue et les mots avec facilité. « Dans mon village en Côte d’Ivoire, j’avais deux passions : le foot et la littérature. En arrivant à Tours, comme je n’avais ni argent, ni travail, je passais beaucoup de temps à la bibliothèque. Être entouré de livre m’a donné envie d’écrire. »
Aux lycées Becquerel et Nadaud où, mineur, il était a été scolarisé en arrivant en Touraine, Ibrahim Bamba a rencontré « des super profs, vraiment sympas » qui l’ont « encouragé à écrire. On faisait des rédactions. » Sur les bancs de l’école, il a découvert que « chaque mot a un sens. J’adore manier les mots. J’ai beaucoup lu Victor Hugo, Balzac. J’adore sa façon de décrire ce qui l’entoure. »
En cinq ans, l’écrivain a publié plusieurs ouvrages. Il a réussi cet exploit tout en vivant dans divers foyers. Aujourd’hui, Ibrahim peut « se payer parfois des nuits en chambre d’hôtel avec la vente des livres ». Jack et Teddy, un conte pour enfants tiré d’une légende africaine, plusieurs romans mais aussi des ouvrages sur le foot, notamment Tactique football : parlons-en pour les entraîneurs. Il enseigne d’ailleurs bénévolement le jeu à des jeunes de Tours Sud.
Ibrahim Bamba, auteur de romans et contes pour enfants à compte d’auteur, notamment Jack et Teddy, et aussi de manuels de football.
© Photo NR, Julien Pruvost
Chaque livre est publié à compte d’auteurs. Pas de maison d’édition pour l’aider à imprimer ou distribuer ses écrits. Ibrahim Bamba doit se débrouiller. « J’envoie les manuscrits sur un site qui imprime les livres et me les envoie. À moi ensuite de les vendre. » Le jeune homme investit son argent dans l’impression. « Ce n’est pas facile mais j’essaye de m’en sortir. »
Le système D pour s’en sortir
Le système D est une façon de vivre pour Ibrahim qui a vécu l’exil et le passage périlleux vers l’Europe. « En Afrique, pour les jeunes, c’est l’Amérique ou l’Europe. Pour s’en sortir, on est prêt à faire n’importe quoi. » Sur son périple de la Côté d’Ivoire aux côtes de l’Europe, l’écrivain prolixe ne dit presque rien. On sait qu’il est « passé par la Sicile ». Là, une association caritative le met dans un bus direction Paris. « En arrivant à la gare de Bercy, j’ai entendu un groupe parler de Tours. Il y allait, je suis parti avec eux. » Voilà comment Ibrahim a débarqué en Touraine.
Portrait au bord du Cher, à Tours, un lieu où il aime se ressourcer. Une pose qui lui tenait à cœur. Pour lui, la manière dont il insère ses mains dans sa veste évoque le football, l’allure de certains footballeurs, et la manière dont ils font front et corps ensemble, en équipe.
© Photo NR, Julien Pruvost
Vous croiserez certainement Ibrahim Bamba dans les rues de la ville, pédalant doucement sur son deux-roues. Il vous proposera peut-être d’acheter un de ses livres. « Les réactions quand je m’adresse aux gens sont plutôt bonnes, résume-t-il sans s’attarder. Il n’y a pas de réussite sans échec et je n’ai pas peur du rejet. »
Malgré la dureté de sa vie, l’absence de famille, Ibrahim reste philosophe et positif. Le jeune écrivain va de l’avant. Des livres, il en a plein la tête, bien au chaud sous son bonnet bleu.