Albert vient de débuter son travail sur le Vieux-Port de Marseille quand il est interpellé par deux soldats allemands le 13 mars 1943. Erpilio, de son côté, est chez lui boulevard Carnot à Nice quand un gendarme français lui remet un pli un an plus tard.
Au premier, on explique que s’il ne se rend pas à ce rendez-vous, on retirera les cartes de rationnement à toute sa famille. Au deuxième, on assure que « des représailles pourront être exercées envers [sa] famille ».
Alors les deux jeunes hommes montent chacun dans un train. Albert est débarqué à Ludwigshafen, ville où se trouve la principale usine de l’entreprise chimique allemande IG Farben (on y fabrique notamment le gaz Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz). Pendant dix-huit mois, le jeune homme est forcé à remplir des wagons de charbon, six jours sur sept, 10 heures par jour.
Erpilio se retrouve à Oberkassel, à 1.200 km de la Côte d’Azur, dans une usine privée, la Deutsch Delta Metal « qui travaillait certainement pour la défense allemande ». Il est chargé de s’occuper de réparer les machines qui tombent en panne.
Tous deux subissent des centaines de bombardements. Albert perd des milliers de collègues. Erpilio se souvient que les bombes tombaient « tous les jours, de jour ou de nuit ».
À la fin de la guerre, le Marseillais et le Niçois sont renvoyés chez eux. Ils font partie des 650.000 jeunes Français qui ont été déportés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) mis en place par le régime de Vichy, et dont environ 250.000 ne sont pas revenus.
Albert et Erpilio, à l’époque où ils ont été déportés en Allemagne. Photos DR et Sandrine Beigas/NM.
Le combat
Pendant ses dix-huit mois de STO, Albert n’a pas touché un centime, lui qui était chargé de famille avant d’être déporté. Erpilio, qui avait reçu un peu d’argent en Allemagne, environ 2.000 deutschemarks, s’est vu obligé de le remettre aux autorités alors qu’il était sur le chemin du retour.
À partir de 1957, Albert demande reconnaissance et réparation de l’État. En vain. Les choses bougent enfin quand, il y a quelques années, il trouve du soutien auprès de l’historien Michel Ficetola et de l’avocat Me Michel Pautot. C’est ce dernier qui décide de porter l’affaire au tribunal administratif de Marseille. Erpilio, avec l’aide de son petit-fils, entend alors parler de la démarche et décide aussi de lancer une procédure avec Me Pautot.
Albert et Erpilio demandent une réparation financière, à savoir que leurs heures de travail accomplies pendant le STO soient payées. Leurs requêtes sont rejetées en première instance, étant prescrites selon la justice qui s’appuie sur la loi du 14 mai 1951. La « qualité de déporté » n’est pas non plus reconnue, « au sens de la loi du 26 décembre 1964« .
Un premier pas
Devant la cour administrative d’appel de Marseille ce mardi 24 juin, la rapporteure publique n’a pas changé de discours concernant la question de la réparation financière. En revanche, et c’est une première selon l’historien Michel Ficetola, la question de la responsabilité de l’État a été évoquée.
« La rapporteure publique a reconnu qu’Albert et Erpilio ont été contraints et forcés » et que « l’État actuel était redevable de l’État de Vichy qui a instauré la loi du STO« , rapporte le spécialiste qui tient à souligner que « le crime contre l’humanité n’a pas été remis en cause ».
Ce pas vers la reconnaissance des STO a été également fait par le chef de l’État lui-même début juin. Répondant par courrier à une demande d’audience formulée par Albert Corrieri, Emmanuel Macron a déclaré qu’il « n’oubliait pas les épreuves endurées par les Françaises et les Français réquisitionnés en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale« .
Concernant les affaires d’Albert et d’Erpilio, le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 8 juillet prochain.