En 1899, Paul Cezanne est obligé de vendre, à regret, la propriété familiale du Jas de Bouffan qu’il possède en indivision avec ses deux sœurs, Marie et Rose. Il loue alors un petit appartement, rue Boulegon, dans le centre d’Aix-en-Provence. « En novembre 1901, raconte Michel Fraisset, le directeur de l’Office de tourisme, il décide d’acheter une chasse, un terrain aux portes de la ville, avec une petite ferme, un cabanon et tout autour des arbres fruitiers, des amandiers, du blé et quelques pieds de vigne. »

Le peintre fait démolir la ferme et dessine lui-même les plans de l’atelier de ses rêves, à la campagne, sur la colline des Lauves. Il s’en réjouit auprès de son marchand d’art, Ambroise Vollard. Les travaux s’achèvent à l’automne 1902. Le peintre écrit alors à sa nièce : « La petite Marie a nettoyé mon atelier qui est terminé et où je m’installe peu à peu. »

L'atelier des Lauves de Paul Cezanne à Aix-en-Provence, en juin 2018, tel qu'on pouvait le visiter avant les travaux de restauration conduits en 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

L’atelier des Lauves de Paul Cezanne à Aix-en-Provence, en juin 2018, tel qu’on pouvait le visiter avant les travaux de restauration conduits en 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Cezanne y transporte de multiples objets récupérés au Jas de Bouffan, notamment ceux dont il se sert pour peindre ses natures mortes : des jarres, des bouteilles, un angelot, des crânes représentant la fragilité de la vie humaine pour les vanités. Durant les quatre dernières années de sa vie, de 1902 à 1906, il accueille dans ce cadre intime quelques historiens et théoriciens de l’art.

Le jeune peintre Émile Bernard y séjournera un mois, devenant un précieux témoin de son travail. Le peintre, pas aussi sauvage que l’on a bien voulu le dire, lui ouvre généreusement les portes de son atelier et l’installe au rez-de-chaussée de sa maison. « Il décrit sa palette, le temps qui lui est nécessaire pour peindre, le quotidien de l’artiste à l’intérieur de ce lieu très simple », explique Michel Fraisset.

Objets se trouvant dans l'atelier des Lauves du peintre Paul Cezanne, à Aix-en-Provence. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Objets se trouvant dans l’atelier des Lauves du peintre Paul Cezanne, à Aix-en-Provence. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

« À l’origine, il voulait probablement y vivre puisqu’il y a une salle à manger, une chambre et l’emplacement d’une petite cuisine, poursuit le directeur de l’Office de tourisme, mais il n’y a pas assez de place pour l’homme, trop pour l’artiste. Le rez-de-chaussée est envahi de toiles entreposées les unes sur les autres. »

Il existe une photo émouvante de Paul Cezanne sur le perron de sa maison des Lauves. Souriant, une chaise à la main, il porte son traditionnel chapeau melon, un habit sombre sur une chemise blanche. Sa canne de marcheur, à bout ferré, est appuyée contre la porte et un grand livre repose sur une marche. Ce cliché, authentifié par Michel Fraisset en 2005, est vite devenu iconique. Il a été pris le 13 avril 1906 par Gertrude Osthaus, l’épouse d’un collectionneur allemand venu lui acheter deux œuvres. C’est la dernière photo connue de Paul Cezanne.

Paul Cezanne devant son atelier des Lauves, à Aix-en-Provence, photographié par Gertrude Osthaus, en avril 1906. (BILDARCHIV MALBURG ALLEMAGNE)

Paul Cezanne devant son atelier des Lauves, à Aix-en-Provence, photographié par Gertrude Osthaus, en avril 1906. (BILDARCHIV MALBURG ALLEMAGNE)

Après sa mort, dans la nuit du 22 au 23 octobre 1906, l’atelier restera fermé pendant quinze ans, pratiquement à l’abandon. En 1921, Marcel Provence, « un fou de Cezanne », selon les mots de Michel Fraisset, rachète la maison au fils du peintre, lui aussi prénommé Paul, pour 9 000 francs (1 372 euros).

Cet érudit, passionné d’art et de patrimoine, s’installe au rez-de-chaussée et laisse, comme un sanctuaire, l’étage tel qu’il l’a trouvé. Les admirateurs de Cezanne lui doivent beaucoup. « C’est le passeur », salue Michel Fraisset. Celui qui a permis que l’on voie l’atelier tel qu’il était. Tout est là. » Il accueille, poursuit-il, les amis et « les premiers pèlerins de Cezanne ».

Marcel Provence décède en 1951 sans héritier direct. Ses frères et sœurs veulent vendre la propriété aux promoteurs les plus généreux. James Lord, un ami américain de Picasso, prévient son compatriote John Rewald. Cet historien de l’art, d’origine allemande, parvient à convaincre 114 mécènes américains réunis dans le Cezanne Memorial Committee de financer le rachat de la propriété qu’ils offrent ensuite à l’Université d’Aix-Marseille. En juillet 1954, l’atelier devient un mini-musée ouvert au public. Puis l’université cède à son tour sa propriété à la ville d’Aix-en-Provence qui l’acquière en 1969 pour un franc symbolique.

Responsable de l’atelier des Lauves depuis 1997, Michel Fraisset a supervisé les travaux conduits par David Kirchthaler, ingénieur du patrimoine. Fin mars 2024, une centaine d’objets présents dans l’atelier du premier étage a été enlevée pour être restaurée par des spécialistes. Tous seront bien sûr remis en place avant le 28 juin, jour de l’ouverture du parcours Cezanne 2025. Des analyses pour dater certaines pièces, notamment les crânes, ont été menées par Philippe Charlier, expert en archéologie historique. L’atelier a retrouvé ses couleurs originelles sans perdre son âme. Les murs et les plâtres ont été nettoyés, les nombreuses fissures bouchées, pour un budget total estimé à près de 3 millions d’euros.

La maison atelier de Paul Cezanne à Aix-en-Provence pendant les travaux de restauration, en mars 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

La maison atelier de Paul Cezanne à Aix-en-Provence pendant les travaux de restauration, en mars 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Entreprise début 2025, la restauration du bâti a réservé de mauvaises surprises. Il a notamment fallu renforcer toute la façade nord de la maison. Michel Fraisset assure que « le bâtiment est désormais entièrement sain ». La ville d’Aix-en-Provence a racheté l’ancienne propriété de Séraphin Girard, voisin et ami de Cezanne, située juste au-dessus de l’atelier des Lauves. La billetterie et la boutique y ont été transférées et une passerelle a été installée entre les deux propriétés pour permettre aux visiteurs de rejoindre l’atelier de Cezanne en traversant le jardin, encore planté d’espèces qu’il a connues.

Toutes les visites seront guidées. Dans un premier temps, seul l’atelier de Cezanne, à l’étage, sera ouvert au public, avec sa grande verrière et la fente qu’il avait fait percer dans la façade pour sortir ses très grandes toiles. Grâce aux travaux, la jauge passe de 19 à 38 visiteurs en simultané. Pendant la fermeture hivernale, l’escalier et le rez-de-chaussée seront à leur tour restaurés. Un espace muséographique consacré aux quatre dernières années de la vie de l’artiste sera créé, en lieu et place de l’ancienne boutique. Il abritera notamment les objets les plus fragiles : les lettres de Cezanne, ses nœuds papillon, ses boutons de manchettes et son fameux chapeau melon. Pour retrouver l’intimité de Cezanne, comme s’il n’était jamais parti.

Atelier des Lauves, 13 avenue Paul Cezanne, Aix-en-Provence
Ouvert tous les jours de 9h à 19h du 28 juin au 30 septembre 2025 et de 10h à 17h30 du 1er octobre au 2 novembre 2025.
Tarifs : 9,5 euros pour les adultes, 7,5 euros pour les enfants de 13 à 17 ans et les étudiants de 18 à 25 ans.

Réservations et informations sur le site cezanne2025.com