Une électronique moins énergivore. C’est l’une des promesses de la spintronique, une technique qui utilise la propriété quantique du spin (ou moment magnétique) de l’électron, comme si ce dernier était un minuscule aimant en rotation sur lui-même. Le CEA, le CNRS ainsi que l’Université Grenoble Alpes (UGA) viennent de se doter d’un équipement à la pointe pour accélérer la recherche en la matière en inaugurant, ce 25 juin, une ligne pilote académique dédiée à la fabrication de matériaux spintroniques avancés.
Baptisée SPINfab, l’installation a bénéficié de 11,5 millions d’euros de financement, issus de l’Europe, de l’État, de la région Auvergne-Rhône-Alpes ou encore de Grenoble Alpes Métropole. Un investissement nécessaire pour disposer de deux pièces maîtresses : un équipement de gravure plasma ainsi qu’un système de dépôt de plusieurs dizaines de couches minces, unique en France.
Entre recherche académique et application industrielle
L’objectif ? Accélérer la montée en maturité de technologies développées dans les laboratoires académiques, en faisant figure de plateforme nationale de prototypage. «Cela donne la possibilité de réaliser des démonstrateurs plus évolués, aussi bien pour la communauté académique que pour des industriels qui s’interrogent sur l’apport de cette technologie», argue à L’Usine Nouvelle Lucian Prejbeanu, le directeur du Spintec, le laboratoire spécialisé en spintronique de Minatec, le campus d’innovation européen en micro et nanotechnologies situé sur la presqu’île Scientifique de Grenoble.
Un équipement dont pourra en effet bénéficier le riche écosystème local en microélectronique, à l’image des industriels STMicroelectronics ou Soitec et des startups comme Crocus Technology, Hprobe, Golana Computing ou encore Nellow. Et qui renforce la souveraineté technologique française et européenne en la matière, face à des acteurs asiatiques et américains qui ont pris une longueur d’avance dans les infrastructures de fabrication avancée grâce à des investissements publics massifs.
Un comble : l’acte de naissance de la spintronique provient de la découverte de la magnétorésistance géante, en 1988, par les équipes du Français Albert Fert et de l’Allemand Peter Grünberg, qui leur vaudra le Prix Nobel de physique en 2007.
Une IA plus frugale en ligne de mire
La spintronique est aujourd’hui utilisée de façon universelle dans les disques durs d’une grande partie des ordinateurs disposant de mémoires magnétiques non volatiles (appelées MRAM pour Magnetic Random Access Memory), qui peuvent conserver des données sans alimentation électrique.
Mais les promesses de cette technologie concernent surtout la radiofréquence (réseaux du futur, communication intelligente), les capteurs magnétiques (Internet des objets) ou le calcul très basse consommation, une propriété particulièrement appropriée pour rendre le développement de l’intelligence artificielle plus frugal. Un enjeu considérable à l’heure où les géants américains du secteur annoncent des investissements records pour s’équiper en centres de données et en cartes graphiques Nvidia, afin de déployer leurs modèles d’IA.
«Actuellement, c’est le transfert de données entre le processeur et le stockage qui consomme beaucoup d’énergie. Avec la spintronique, on repense la méthode de calcul pour supprimer ces aller-retour, ce qui réduit drastiquement la puissance requise», indique Lucian Prejbeanu. Qui se fixe trois à cinq ans pour atteindre des solutions fiables en la matière.