Les photos des blessures de Johanna font froid dans le dos. Une plaie béante de 15 centimètres s’étend de sa bouche jusqu’à l’oreille. Une partie du lobe a même été tranchée. Deux autres entailles sont visibles, l’une d’elles descend jusqu’au cou, tandis que la mandibule est fracturée. Lorsque les secours interviennent dans l’appartement situé rue Cavendish à Nice, le 21 février 2022, vers 7 heures du matin, Johanna a déjà perdu au moins un litre de sang. L’auteur présumé, son mari, a pris la fuite avec l’aîné des trois enfants. Laissant les deux plus jeunes, une fille et un garçon, seuls avec leur mère face à l’horreur. Il sera interpellé peu de temps après dans un train en direction de Vintimille. Une tragédie survenue après une relation de huit ans marquée par les disputes et la violence.

Un drame sur fond d’alcool et de cocaïne

En janvier 2022, Johanna demande le divorce. Le 14 février de cette même année, Said Boutaleb, alors installé à Nancy, revient à Nice prétextant vouloir voir ses enfants. L’ambiance est tendue dans le petit salon qu’ils partagent: elle dort à même le sol sur un matelas, lui sur le canapé. Les altercations se multiplient. La veille du passage à l’acte, les deux consomment de l’alcool, et Said Boutaleb sniffe une quantité importante de cocaïne. C’est un échange téléphonique entre Johanna et un autre homme qui déclenche la colère de l’accusé. Un homme décrit par les experts psychiatre et psychologue comme égocentrique, immature et incapable de gérer la frustration et ses émotions. Il n’a de cesse de rejeter la faute sur cette femme qu’il considère comme « une soûlarde qui est insupportable lorsqu’elle a bu », mais qui est aussi l’amour de sa vie. L’accusé souffle le chaud et le froid. Deux jours avant le drame, Johanna a refusé d’avoir un rapport sexuel avec lui, il l’a enfermée dehors, elle a appelé la police et déposé plainte pour agression sexuelle. Said Boutaleb s’est retrouvé en garde à vue. Son épouse lui tient tête, lui échappe, et ça, il ne le supporte pas.

« Je suis boucher, je connais bien »

Il est aux alentours de 6h du matin le jour du drame lorsqu’il se saisit d’une feuille de boucher et lui assène trois coups violents à la joue gauche. L’expert en morpho analyse de traces de sang est formel: la victime était couchée lorsque cela s’est passé. C’était « pour lui faire peur », « pour lui faire mal », « mais pas pour la tuer », jure-t-il lors de ses auditions. Sabine Neale, l’avocat général, lui rappelle d’ailleurs ses propos tenus devant le juge d’instruction: « Je suis boucher, je connais bien (…). Avec ça, on tranche la tête des agneaux ». Pour elle, l’intention homicide ne fait pas un pli. Elle requiert trente ans de réclusion criminelle, dont 20 années incompressibles. Une évidence? Pas forcément pour Me Philippe Armani à la défense. Car pour le conseil de l’accusé, « si cette arme avait dû coûter la vie, elle aurait coûté la vie ». Il tente de démontrer que les coups de son client étaient « mesurés » dans un espace « où il n’y a pas d’organes vitaux ». Il faudra faire sans Said Boutaleb pour fournir des réponses, puisque l’accusé âgé de 40 ans dit n’avoir aucun souvenir de ce passage à l’acte. Johanna non plus. Le traumatisme est tel qu’elle n’en a conservé aucun de cette nuit.

« Secrète et discrète, digne et pudique »

À la barre, la victime est hésitante, ses réponses sont étouffées par la crainte. Sa mère témoigne: « Elle redoute qu’il se venge par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre ». Elle sait de quoi il est capable. Plus d’une dizaine de mains courantes ont été déposées et la police est intervenue à plusieurs reprises à l’appartement familial. Un an avant les faits, Johanna a cru mourir sous les coups de l’accusé lors d’un week-end en Italie. Said Boutaleb a aussi été jugé par la cour d’assises pour cet épisode d’une extrême violence. « Pourquoi n’êtes-vous pas partie? », l’interroge la présidente Anne-Valérie Lablanche. « Parce que je voulais protéger mes enfants », répond Johanna. Elle entend par là qu’ils ne soient pas séparés de leur père. « Et vous dans tout ça? », relance la magistrate. Johanna fond en larmes. Une femme « secrète et discrète, digne et pudique » comme la dessine son avocate Me Pauline Rongier, qui n’ose même pas dire tout haut ce qu’elle attend de ce procès. À savoir, que l’autorité parentale de Said Boutaleb lui soit retirée et qu’il écope d’une interdiction définitive du territoire français.

Une décision inédite à la hauteur de la gravité des faits

Les jurés ont ressenti cette peur et répondu à ses attentes. En plus de ces peines complémentaires, le quadragénaire a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle, assorti d’une peine de sûreté aux deux tiers. À l’annonce du verdict, il a déclaré vouloir faire appel, traitant tout bas la cour de « raciste » avant d’être escorté hors de la salle. « Une condamnation comme celle-ci pour une tentative d’homicide sur conjoint, c’est du jamais vu », souligne Sylvaine Grévin (1), présidente fondatrice de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF).

1. Entendue comme témoin au deuxième jour du procès, Sylvaine Grévin a accompagné Johanna à sa sortie de l’hôpital.