Le Carré Sainte-Anne, nouvellement restauré à Montpellier, rouvre avec « Adventice », une installation monumentale à haute valeur symbolique du célèbre artiste JR.
Sept ans, même de réflexion, même au Tibet, c’est long. Cela suffit à un enfant pour atteindre l’âge de raison et à un haut lieu de la culture montpelliéraine pour redevenir une église désacralisée fermée à la curiosité. Pour la réouverture du Carré Sainte-Anne, ledit édifice après un septennat amnésiant, la Ville de Montpellier devait faire mieux que marquer les esprits : les remarquer ! Numa Hambursin, le directeur général du MO.CO. à qui a été confié le commissariat de l’exposition re-inaugurale, a opté (en toute simplicité) pour JR, peut-être l’artiste plasticien contemporain français le plus connu du grand public, et pas le moins iconique : avec ses lunettes noires et son chapeau, la rock star mondial du collage monumental est reconnaissable entre tous (moins sans, et c’est l’idée, en fait).
Au croisement de la photographie, de l’installation, du street art, de l’art public, de l’engagement social et du documentaire (son film Visages, villages avec l’irremplaçable Agnès Varda ou encore le récent Tehachapi dans l’une des pires taules américaines), le travail de JR a la clarté, la qualité et l’universalité des meilleures chansons populaires ; comme c’est l’été, sûr que son expo deviendra un tube !
Graines adventices
Connaissant le souci de JR d’articuler le global au local, de penser son projet pour le lieu qui le recevra, Numa Hambursin lui a confié une histoire peu connue mais « emblématique » de Montpellier. Au Moyen-Âge, vinrent à s’y implanter sur les rives du Lez des moulins drapiers. La laine brute qu’ils travaillaient venait d’Espagne, d’Afrique du nord, de Turquie, d’Égypte, et il leur fallait la nettoyer dans le fleuve pour en enlever toutes les saletés… mais aussi diverses graines de ces terres lointaines qui, pour certaines, trouvèrent dans le Montpelliérain un sol favorable à leur développement !
Au point que les botanistes à la tête du Jardin des plantes, adossé à la Faculté de médecine, cette fierté millénaire de Montpellier, découvrirent donc ici des essences inconnues, étrangères à la flore ordinairement endémique. Ils les étudièrent, en firent venir d’autres, avant d’eux-mêmes finir par fertiliser la terre tandis que ces pousses devenaient arbres, et ces arbres, sources de fascination.
« C’est une très belle métaphore ! », s’est réjoui Numa Hambursin au côté de l’artiste et du maire-président de la Métropole Michaël Delafosse. Ainsi, l’exposition de JR s’intitule-t-elle Adventice, ce qui signifie “Qui ne fait pas naturellement partie de la chose” et qui, rapporté au monde végétal, renvoie aux mauvaises herbes ou à celles qu’on dit folles, quand bien même celles-ci contribuent à la biodiversité.
Un feuillage fait main
« Quelque part, on est tous des mauvaises graines », philosophe JR avec un sourire. Une chouette métaphore de l’héritage culturel, et naturel, propre à Montpellier et plus largement de la beauté salutaire du métissage que JR a concrétisé à sa façon : monumentale ! Un arbre gigantesque, superbe, dont la physionomie costaude du tronc nous évoque un baobab, planté au cœur de la nef du Carré Sainte-Anne, dont la ramure porte à ce jour 10 000 feuilles. Pas n’importe quelles feuilles : des mains, des photocopies découpées de mains en noir et blanc.
« La main, c’est très personnel, chacune porte nos empreintes individuelles et en même temps, c’est universel, ça nous représente tous », explique JR qui, toujours soucieux de la dimension collective, participative, et même ludique de ses installations, avait depuis des mois demandé aux gens (d’ici ou d’ailleurs) de lui envoyer la photocopie de leur main suivant un protocole aussi simple qu’amusant. « Beaucoup d’écoles ont participé, mais aussi des musées, des maisons de retraite, des établissements accueillant des personnes en situation de handicap… Je n’ai jamais autant reçu de lettres », s’enthousiasme l’artiste qui entend bien que son installation file la métaphore jusqu’à son terme, le 7 décembre prochain.
Pour ce faire, ont été installés dans deux coins du Carré Sainte-Anne, deux photocopieuses et tout le matériel nécessaire pour que les visiteurs d’Adventice puissent ajouter leur main au feuillage. Elles seront ensuite réunies avec un collier de serrage par bouquets de 20 et ajoutées à l’arbre. « Dans cinq mois, on ne verra normalement presque plus l’arbre sous le feuillage », prédit JR, tout heureux auprès de son arbre.
Comme on aime à parler avec les mains par ici, et que cette installation à croissance participative ne va pas manquer de faire causer, on ne peut s’empêcher de penser qu’à Montpellier, les mauvaises graines font parfois en grandissant de bien beaux arbres à palabres, et s’en réjouir.
“Adventice” , au Carré Sainte-Anne, à Montpellier. Ouverte jusqu’au 7 décembre, du mardi au dimanche. Entrée libre.