À l’occasion de l’exposition événement organisée au musée Granet jusqu’au 12 octobre, nous avons choisi de vous entraîner dans les pas de Paul Cezanne avec une série d’articles consacrée à l’illustre peintre provençal.
France Télévisions – Rédaction Culture
Publié le 27/06/2025 06:00
Temps de lecture : 6min
Photomontage réalisé avec une photo de Paul Cezanne prise par Émile Bernard en 1904 et une vue de la montagne Sainte-Victoire depuis le jardin des Peintres, à Aix-en-Provence, mai 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Un tableau exceptionnel fera son retour en France dans le cadre de l’exposition Cezanne 2025, du 28 juin au 12 octobre au musée Granet d’Aix-en-Provence. Il s’agit d’une huile sur toile intitulée La Montagne Sainte-Victoire qui a été retrouvée dans la collection Gurlitt, constituée sous le IIIe Reich en Allemagne.
Venu du Kunstmuseum, le Musée des beaux-arts de Berne en Suisse, ce paysage peint en 1897 depuis les carrières de Bibémus compte parmi les œuvres les plus iconiques de Paul Cezanne. Il devrait rester au moins trois ans à Aix-en-Provence, pendant les travaux de rénovation du musée suisse. Un accord a été passé avec les héritiers de Cezanne qui permettra que ce tableau revienne ensuite à échéances régulières en Provence.
Paul Cezanne, « La Montagne Sainte-Victoire », 1897, huile sur toile, 73×91,5 cm, Musée des beaux-arts de Berne, en Suisse, legs Cornelius Gurlitt, 2014. (KUNSTMUSEUM BERN)
Un deuxième trésor, une autre « Sainte-Victoire », devait également être présenté au public aixois. Mais quelques semaines avant l’ouverture de l’exposition, le collectionneur, un « prêteur privé américain », selon Bruno Ely, le directeur du musée Granet, s’est désisté « pour convenance personnelle ».
Il pense que cette décision pourrait être liée « à une question de droits de douane » suite aux annonces de Donald Trump. Le tableau se trouvait « dans un port franc en Europe » et le collectionneur « a voulu rapatrier rapidement sa collection aux États-Unis ». Il n’a jamais eu le fin mot de l’histoire, mais regrette fortement cette décision qui prive l’exposition d’une œuvre majeure.
La Sainte-Victoire est un monument naturel. Une montagne magique qui culmine à 1 011 mètres et domine tout le pays aixois de sa silhouette sculpturale. Elle attire l’œil comme un aimant et s’habille de couleurs fluctuantes, se parant de rose les soirs d’été.
Pour Paul Cezanne, né à Aix-en-Provence en 1839, sa présence tutélaire eut une importance fondamentale. De ses 20 ans à ses derniers coups de pinceau, le peintre provençal s’acharna à traduire sur ses toiles le tempérament – un mot qu’il affectionnait – de ce monolithe insaisissable.
La montagne Sainte-Victoire vue de la route du Tholonet dans les Bouches-du-Rhône. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Cezanne est un grand marcheur. Dès l’adolescence, été comme hiver, il arpente avec son copain de classe Émile Zola les garrigues autour de la Sainte-Victoire. Selon l’historien de l’art John Rewald, « leur promenade préférée est celle qui mène au village du Tholonet par une route qui ondule entre des collines jusqu’aux terres rouges qui s’étendent au pied de l’immense mur gris et nu de la montagne Sainte-Victoire… ». En 1868, dans une lettre à son ami Numa Coste, il écrit : « La belle expédition que l’on devait faire à Sainte-Victoire est tombée dans l’eau cet été à cause de la trop grande chaleur, et en octobre à cause des pluies. »
Par les jambes et par les pieds, le peintre a éprouvé, sa vie durant, la beauté de son pays natal dominé par ce massif à nul autre pareil. « Cet enracinement reste une spécificité dans l’histoire de l’art », explique Denis Coutagne, ancien directeur du musée Granet et grand spécialiste de Cezanne. Grâce à un ami géologue, Fortuné Marion, l’artiste connaissait aussi l’histoire de la formation de Sainte-Victoire, cette grande vague pétrifiée.
Le peintre a dédié rien moins que 87 tableaux [connus] à sa muse de calcaire : 44 huiles et 43 aquarelles, avec une préférence pour sa façade ouest. Ils sont actuellement exposés dans les plus grands musées du monde, très majoritairement à l’étranger.
La montagne apparaît d’abord à l’arrière-plan de ses tableaux, comme si elle l’intimidait. Une première fois en 1870, derrière une tranchée creusée pour la construction d’une ligne de chemin de fer. En 1885, derrière les marronniers du Jas de Bouffan, la propriété familiale de Cezanne. On la retrouve aussi à l’arrière-fond de plusieurs œuvres représentant des baigneurs.
Paul Cezanne, « Baigneurs au repos », vers 1875-1876, huile sur toile, 35,2×46 cm, Suisse, Genève, Musée d’art et d’histoire, dépôt de la Fondation Jean-Louis Prevost, 1985. (MUSEE D’ART ET D’HISTOIRE / VILLE DE GENEVE / BETTINA JACOT-DESCOMBES)
Puis, le peintre s’en rapproche, l’apprivoise et finit par la placer au centre de ses toiles. Ce « motif étourdissant », comme il l’a écrit, l’obsède par sa structure et sa densité. Il veut la saisir dans toutes ses nuances et rendre sa vérité telle qu’il la perçoit. Avec ses ombres et ses lumières versatiles, la montagne lui résiste. Elle est un défi permanent.
« Cézanne a lutté avec la montagne pour se l’approprier et en découvrir chaque facette, chaque variation colorée et ce sont ces fluctuations qu’il a essayé de synthétiser et d’intégrer à sa peinture » explique Bruno Ely, directeur du musée Granet, à Aix-en-Provence.
Cezanne développe sa propre vision de l’art. Il structure ses toiles avec des formes simples et des couleurs savamment combinées. La Sainte-Victoire, qui dessine un grand triangle sur l’horizon, l’aide dans sa quête. En l’observant, le peintre parvient à capturer l’essence du paysage.
Il suffit pour s’en rendre compte de visu de grimper jusqu’au jardin des Peintres à Aix-en-Provence. Outre une vue à couper le souffle, le site présente les reproductions d’une dizaine de toiles peintes par Cezanne depuis cette éminence dominant la plaine et le fronton triangulaire de Sainte-Victoire.
Jusqu’à sa mort en 1906, Cezanne ne la lâche ni des yeux ni du pinceau, répétant inlassablement les vues sur la montagne dans un enchevêtrement de lignes horizontales, obliques et verticales, de pins majestueux et d’herbes sèches.
Paul Cezanne, « La Montagne Sainte-Victoire vue de Bibémus », 1898-1900, Baltimore Museum of Art, The Cone Collection formed by Dr Claribel and Miss Etta Cone of Baltimore, Maryland. (THE BALTIMORE MUSEUM OF ART / PHOTO MITRO HOOD)
Son style se fait de plus en plus économe. Le dessin linéaire disparaît. Le peintre rend la profondeur et les formes par les couleurs, juxtaposant en touches précises les tons chauds qui rapprochent la vue, et des tons plus froids qui l’éloignent. Il simplifie les formes. Ce qu’il dessinait autrefois avec précision devient suggéré.
Ce faisant, l’Aixois révolutionne la peinture et préfigure l’art abstrait. « Il était notre père à tous », confiera Picasso. Quand le maître espagnol acquiert le château de Vauvenargues, entouré d’un grand domaine avec vue sur le massif, il déclare : « J’ai acheté la Sainte-Victoire de Cezanne. » Tous deux reposent en Provence, non loin de la montagne magique.