Par
Margot Nicodème
Publié le
27 juin 2025 à 18h06
Ce qui reste des deux voitures, sur les photos projetées dans la salle d’audience, contraste avec le cadre, paisible. De la tôle froissée, au milieu des champs et sous un ciel bleu sans nuage, un matin de mars 2022. La route départementale qui traverse Fretin (Nord) fut bel et bien le théâtre d’un accident de la route d’une extrême violence. Une mère de famille de 54 ans, aussi grand-mère de deux petits-enfants à l’époque, y a laissé la vie. Trois ans plus tard, c’est le jeune homme qui conduisait le véhicule venant d’en face qui est jugé pour homicide involontaire, ce mercredi 25 juin, au tribunal de Lille. Âgé aujourd’hui de 23 ans, il a pris le volant ce matin-là au terme d’une nuit en discothèque. Son taux d’alcool dépassait le seuil autorisé. Il a dû faire face aux proches de la victime, aussi éprouvés qu’en colère.
Accident mortel à Fretin : âgé de 19 ans à l’époque, le prévenu dit n’avoir aucun souvenir
Parce que les dossiers d’accidents de la route mortels sont sensibles, la présidente du tribunal a commencé l’audience par un mot d’introduction. « Ce sont des procédures qui sont source de souffrance pour tous. Pour les parties civiles qui ont perdu un proche, mais aussi pour le prévenu, qui n’avait pas l’intention de tuer. »
La magistrate le dit sans détour : tout le monde n’aura pas les réponses aux questions qu’il se pose. Surtout pas dans cette affaire : le prévenu, âgé de 19 ans à l’époque des faits, dit ne se souvenir de rien. Ni de la soirée passée en boîte de nuit à Lille, ni de la collision, qui l’a laissé dans un piteux état.
Lui s’en est sorti avec notamment une double fracture du tibia, une fracture du fémur, une autre de l’avant-bras. La femme qu’il a percutée est décédée peu de temps après le choc, survenu vers 6 h 30 le 19 mars 2022. Ses deux grands enfants, son gendre et son compagnon sont présents à l’audience, encore très marqués par le chagrin.
Ils le montrent, par leur gestuelle : ils ne croient pas en l’amnésie avancée par le prévenu, et ne sont pas plus convaincus par la description qu’il fait de son rapport à l’alcool. En effet, le jeune conducteur l’a dit aux gendarmes une fois sorti de l’hôpital, et il le redit ce 25 juin 2025 : « En général, je m’arrête de boire avant d’être ivre. » Le gendre de la victime, outré, intervient même, expliquant avoir vu passer sur les réseaux des vidéos de lui consommant de la vodka, après l’accident.
5 ans de prison dont 2 ans ferme requis par la procureure
Le prévenu retrace la soirée 18 mars 2022, puis la nuit du 19. En fin d’après-midi, il fait du sport dans une salle Basic Fit de Lille, avant de se rendre à sa séance d’athlétisme à Villeneuve-d’Ascq. Il rejoint ensuite ses amis, et commence à s’alcooliser passé 00 h, alors qu’ils entrent tous dans une boîte de nuit. Au sujet de sa consommation, il explique simplement qu’un ami dit l’avoir « vu avec une coupe de champagne à la main ». Pour le reste, c’est le trou noir.
Il rejoint son domicile au petit matin à Fretin, quand l’accident survient. Lui est au volant de sa Mini Cooper, et finit par franchir la ligne blanche continue, pour se retrouver en face de la Peugeot 308 de la femme de 54 ans, dans l’autre sens. C’est ainsi qu’un témoin de l’accident, une automobiliste qui roulait derrière la victime, a décrit la scène. « Le prévenu a quitté sa voie de circulation pour empiéter sur la voie de gauche », synthétise la présidente du tribunal.
La témoin du choc, qui se rendait à son travail, affirme qu’elle roulait à 70 km/h, et estime que la victime évoluait à peu près à la même allure. C’est elle qui a appelé le Samu.
Il s’avère que le dépistage à l’alcool est négatif pour la victime, et positif pour le prévenu : il avait 0,84 g/L de sang. En 2022, il est en période de permis probatoire, et avait déjà perdu 4 points sur les 6 pour avoir grillé un feu orange. La procureure demande ainsi que soit retenue la circonstance aggravante de l’alcool, et à ce que soit condamné le prévenu. « Le permis, c’est un droit, mais c’est aussi énormément de devoirs. » Elle requiert 5 ans de prison dont 2 ans ferme, avec mandat de dépôt.
« Sans expertise, vous ne pouvez pas nous condamner »
L’avocate des parties civiles, de son côté, demande à ce que les deux enfants de la victime soit indemnisés chacun à hauteur de 10 000 €. Elle demande aussi 5 000 € pour chacun des deux petits-enfants, « qui voyaient leur grand-mère une fois par semaine », et 3 000 € pour le gendre. La culpabilité du prévenu ne fait pas de doute, selon elle. « Il y a un témoin direct de l’accident, il n’y a aucune cause extérieure qui puisse l’expliquer […] Le temps était clair, la chaussée sèche, le prévenu a a minima commis une faute d’inattention. »
L’avocat du jeune homme regrette toutefois qu’ « aucune expertise en accidentologie » n’ait été effectuée, comme c’est pourtant le cas « dans 90 % des dossiers ». Il s’adresse à la présidente : « On ne sait pas comment se sont passées les choses. Pourquoi la voiture a-t-elle dévié ? Si vous n’avez pas la réponse, alors on peut se demander : y a-t-il eu une faute ? » Et d’ajouter : « Un accident n’est pas toujours dû à un facteur humain, il peut y avoir eu un problème mécanique. Sans expertise, vous ne pouvez pas nous condamner. »
Il décrit enfin « une procédure insuffisante en preuves » et estime que le doute doit profiter à son client. Sinon la relaxe, c’est la peine de prison aménageable qu’il considère comme étant la plus juste. La décision sera rendue le 8 juillet 2025.
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