Parmi la liste des atouts dont dispose le Stade toulousain figure son flanker anglais Jack Willis, redoutable dans l’exercice des rucks. Nous tenterons ici de décrypter ce véritable phénomène du Top 14 qui excède la majorité de ses adversaires dans le secteur du jeu au sol.

Vous savez combien de ballons Jack Willis a gratté au sol cette saison ? Indice : vous n’auriez pas assez de vos deux mains pour les compter sur vos doigts. L’ancien troisième-ligne des Wasps en est à 30 ballons gagnés en 19 apparitions. Soit le score le plus élevé du championnat. Il y a une semaine encore, le rugueux argentin Facundo Bosch pouvait le concurrencer. Mais Willis a encore ajouté trois unités à son total pour atteindre le seuil des 30. Quand on lui partagea cette statistique pour le moins éloquente, voilà qu’elle fut la réponse de l’Anglais : « À mes yeux, c’est surtout une partie de mon job. Je me concentre à bien le faire car c’est bénéfique pour le collectif. Rien d’autre. Je cherche simplement à tenir mon rôle dans le jeu au sol. Et si je peux aider l’équipe à aller dans une direction positive… En tout cas c’est gentil de me partager cette statistique. Mais j’en pense surtout que, le plus important, c’est de gagner ce week-end. Le reste, encore une fois, c’est juste mon travail sur le terrain. Je sais que le Stade toulousain adore attaquer avec le ballon, mais si on n’est pas efficaces dans les rucks… Voilà pourquoi c’est une chose à laquelle j’ai toujours voulu accorder une forte importance, que j’ai essayé de développer aussi. C’est un travail constant pour me permettre de m’adapter à la situation, d’être pertinent d’un côté ou de l’autre du ruck. »

À l’écouter, Willis ne s’est même pas spécialisé sur ce secteur de jeu depuis le début de sa carrière. Modestement, il dit « avoir toujours porté une attention positive à cette partie de mon jeu depuis que je suis jeune ». Et surtout, il a su évoluer avec son temps et les règles, point sur lequel nous reviendrons : « J’ai toujours continué à le travailler parce que le rugby change au fil du temps et que les règles évoluent. Donc, tu dois t’y adapter, en particulier sur le jeu au sol. Aujourd’hui, je crois que j’attaque les rucks au feeling. J’essaie d’avoir ce sentiment de savoir s’il existe une bonne opportunité ou pas. Ou peut-être que je suis un peu fou. »

Ne vous laissez pas berner par l’humilité du colosse anglais. S’il est aussi performant au sol, ce n’est ni le fruit d’une quelconque folie, ni d’un simple « instinct ». Même si, comme nous allons le voir, l’exercice du grattage comporte autant de facteurs individuels que collectifs.

Caudullo : « Il ne va jamais dans les rucks pour rien »

Quand il parle d’instinct, il faut surtout comprendre intelligence, et analyse immédiate de la situation. Quand Jack Willis arrive à proximité d’une zone de collision (et même quand celle-ci n’a pas encore eu lieu), il doit analyser plusieurs facteurs : qui porte le ballon ? Comment est-il positionné ? Est-il en équilibre, ou non ? Mais surtout, Willis doit voir au-delà du porteur de balle : Dispose-t-il de soutiens offensifs ? Si oui, combien ? Sont-ils proches ou non ? Quels sont leurs profils ? Autant de questions auxquelles il devra répondre en une fraction de seconde pour déterminer si, comme il le dit, il aura « une bonne opportunité ».

Car au-delà de la force physique brute ou de l’engagement, la capacité d’analyse et l’intelligence sont les premières qualités d’un bon gratteur, qui saura trier les rucks exploitables ou non : « Je n’ai pas sous les yeux son pourcentage de ballons grattés ou ralentis à chaque fois qu’il va dans les rucks, mais j’ai le sentiment qu’il n’y va jamais pour rien. C’est une menace de cette équipe. Au match aller, il nous a ralenti toutes les sorties de balles et au retour, il a fini homme du match », nous confiait le manager de Montpellier et ex-talonneur de son état, Joan Caudullo.

Il n’a pas le morphotype des gratteurs

La deuxième qualité individuelle est d’ordre technique et physique. Bien sûr, il existe des morphotypes plus favorables que d’autres. Du haut de son mètre quatre-vingt douze, Jack Willis n’a rien des Kwagga Smith, Heinrich Brussow ou François Louw tous prédateurs rase moquettes qui rendent douze bons centimètres sur la toise à Willis : « Il est vrai qu’il n’a pas le morphotype des gratteurs, mais je trouve qu’il n’y a pas de règle dans ce secteur, nuance Caudullo. La taille ne limite pas les joueurs à être performants au grattage. Des joueurs comme Sébastien Vahaamahina ou Romain Taofifenua ont toujours été de bons gratteurs malgré leur grande taille. Pour cela, il faut être technique et costaud, mais pas seulement. »

Malgré sa grande taille, l’Anglais sait baisser très vite son centre de gravité, et ainsi devancer ses adversaires. Plus que la force brute, c’est cette rapidité à se baisser tout en adoptant une position bien stable sur ses appuis (dos plat, jambes bien fléchies, appuis large et légèrement décalés pour ne pas basculer en avant), qui change tout. Et une fois qu’il est au sol, la longueur de ses bras est un autre casse-tête pour ses adversaires.

La connaissance de la règle, le facteur décisif

Mais le super-pouvoir de Willis réside ailleurs. Comme il le laissait entendre plus haut, il a toujours travaillé sur les règles, qui ont sans arrêt évolué au cours de sa carrière. Et selon Joan Caudullo, c’est ce facteur qui change tout : « Willis connaît parfaitement la règle. Il communique beaucoup avec les arbitres, car il est sûr de son fait. Et le temps que tu passes à te demander si tu peux aller dans le ruck ou pas, lui, il a déjà récupéré le ballon. Ajoutez à cela qu’il est technique et très costaud, et vous comprendrez pourquoi c’est un piment dans le jeu au sol. » La connaissance de la règle, la communication… Cela ne vous rappellerait pas un certain Richie McCaw ? De son point de vue de manager, Caudullo estime que c’est un point fondamental dans la progression d’un joueur, et il cite un exemple maison, celui d’Alexandre Bécognée : « En 2022, Alex a énormément travaillé tout au long de l’année avec notre entraîneur de l’époque et ex-arbitre Alexandre Ruiz, qui lui a enseigné toutes les finesses de la règle. Sur une saison, on a constaté une vraie évolution positive dans l’efficacité d’Alex au sol. »

En Champions Cup comme en Top 14, Jack Willis est un poison pour ses adversaires dans les zones de ruck.

En Champions Cup comme en Top 14, Jack Willis est un poison pour ses adversaires dans les zones de ruck.
Icon Sport – Anthony Dibon

Alors, que faire face à un tel poison ? « Quand on affronte Toulouse, Jack Willis fait partie des joueurs que l’on regarde de près, comme d’autres, confirme Caudullo. On fait attention à son placement sur le terrain, on essaye de le viser pour l’obliger à plaquer pour qu’il se retrouve par terre… Mais là encore ce n’est pas facile, car il est le meilleur plaqueur du Stade toulousain. Et puis il a une vraie capacité à se remettre rapidement sur ses appuis pour contester le ballon. » Les Girondins auront donc besoin de beaucoup de courage, de sang-froid et d’agressivité contrôlée pour résoudre l’équation que va leur poser Jack Willis samedi soir au Stade de France…