Si le régime iranien a bel et bien sauvé son stock d’uranium enrichi des frappes américaines,  la crainte d’une « fuite en avant » nucléaire devient possible. (Image d’illustration)

– / AFP

Si le régime iranien a bel et bien sauvé son stock d’uranium enrichi des frappes américaines, la crainte d’une « fuite en avant » nucléaire devient possible. (Image d’illustration)

PROCHE-ORIENT – C’est peut-être la plus grande question qui demeure à la suite des frappes américaines en Iran du 22 juin. Certes, il y a toujours des doutes autour de l’état exact des sites nucléaires iraniens, entre la destruction « totale » revendiquée par Donald Trump ou les « dégâts très importants » selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais ces derniers jours, c’est surtout ce qu’il est advenu du stock d’uranium enrichi à des niveaux proches de la militarisation qui interroge.

Une possibilité, au début peu considérée, prend notamment de l’ampleur : celle que le régime iranien ait pu déplacer ces plus de 400 kg d’uranium enrichi, vraisemblablement stockés au site souterrain de Fordo, en prévention de l’attaque américaine. Donald Trump, lui, a assuré ce jeudi 26 juin que « rien n’a été évacué », car « cela prendrait trop de temps, serait trop dangereux et serait très lourd et difficile à déplacer ». Même discours chez la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt. « Je peux vous dire que les États-Unis n’ont eu aucune indication que de l’uranium hautement enrichi ait été déplacé avant les frappes, comme je l’ai vu aussi raconté à tort », a-t-elle déclaré auprès de Fox News.

Mais l’administration Trump est bien la seule à être aussi définitive. Le directeur de l’AIEA, Rafael Grossi, a en effet expliqué auprès de France 2 ce mercredi que l’agence onusienne « a perdu la visibilité sur ce matériel à partir du moment où les hostilités ont commencé ». Surtout, selon le Financial Times, les gouvernements européens ont été prévenus par des sources de renseignement que les autorités iraniennes auraient bel et bien transféré l’immense partie de leurs 408 kg d’uranium enrichi vers plusieurs autres emplacements.

Un stock « pas très difficile à transporter »

Est-ce possible de déplacer cet uranium ? La réponse est oui, pour Héloïse Fayet, responsable du programme dissuasion et prolifération au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « En réalité, un tel stock n’est pas très difficile à transporter. Il ne prend pas beaucoup de place et n’est pas radioactif. Il ne peut pas être détecté », explique-t-elle dans un entretien au Point.

Les autorités iraniennes avaient d’ailleurs elles-mêmes donné quelques indices à ce sujet. Ali Shamkhani, l’un des conseillers du guide suprême Ali Khamenei, avait clamé dès le lundi 23 juin que « la partie n’est pas terminée », affirmant que « les matériaux enrichis, le savoir-faire et la volonté politique restent ».

Ces déclarations auraient pu rester dans le domaine de la propagande habituelle du régime iranien, avant qu’un autre indice ne vienne renforcer ce possible déplacement : des images satellites Maxar Technologies les 19 et 20 juin, soit quelques jours avant les attaques américaines.

Cette image satellite montre des camions positionnés près d’une entrée souterraine du site nucléaire iranien de Fordo, le 19 juin 2025, soit 3 jours avant les frappes américaines.

AFP / Image satellite ©2025 Maxar Technologies

Cette image satellite montre des camions positionnés près d’une entrée souterraine du site nucléaire iranien de Fordo, le 19 juin 2025, soit 3 jours avant les frappes américaines.

On peut y voir plus d’une dizaine de camions alignés devant l’entrée des installations souterraines de Fordo, nourrissant clairement l’idée d’un déplacement d’ampleur de l’uranium enrichi.

Des défis majeurs à affronter

L’idée que l’Iran ait bel et bien sauvé son stock d’uranium enrichi à 60 % semble prendre de l’ampleur. En théorie, si traité jusqu’à 90 %, cette quantité de matière fissile peut suffire pour construire plus d’une dizaine d’armes nucléaires. Pour autant, on en est encore bien loin. Déjà car il faudrait pour cela poursuivre l’enrichissement, et donc utiliser des infrastructures qui ont sans aucun doute subi des dégâts considérables, même sans tomber dans la démesure trumpiste.

Sans oublier que détenir de l’uranium suffisamment enrichi pour fabriquer une arme nucléaire est une chose, mais disposer de missiles capables de la charger et la transporter en est une autre.

Le plus important concerne la volonté du régime iranien à poursuivre ce programme nucléaire jusqu’à l’arme atomique. Les opérations d’Israël puis des États-Unis l’ont démontré : Téhéran est bien loin d’avoir la capacité militaire pour se défendre ou riposter face à ses ennemis, tandis que les renseignements israéliens semblent également avoir très bien infiltré les réseaux iraniens – en témoigne son premier jour d’opération, le 13 juin, où de nombreux très hauts responsables du régime et du programme nucléaire sont morts.

Ni Benjamin Netanyahu, ni surtout Donald Trump, n’ont par ailleurs montré de réelle hésitation à frapper militairement l’Iran, alors même que le régime des Mollahs semblait encore loin de l’obtention de l’arme nucléaire : trois ans, avaient estimé les renseignements américains avant le début de la guerre.

Vers une « fuite en avant » du régime ?

Reste que pour Téhéran, ces 400 kilogrammes de matière fissile déjà hautement enrichie peuvent être une base si le régime des Mollahs faisait le choix de définitivement travailler à la création d’une arme atomique. Même si une telle décision jusqu’ici toujours été niée par le guide suprême iranien, Ali Khamenei.

Il faudrait pour cela basculer son programme nucléaire dans la clandestinité la plus totale. Le vote au Parlement iranien lundi pour sortir du traité de non-prolifération nucléaire et donc du contrôle de l’AIEA semble aller dans ce sens. Le texte a été approuvé par le Conseil des Gardiens ce jeudi 26 juin – le réel pouvoir législatif dans le pays -, et doit désormais être transmis à la présidence iranienne pour être définitivement ratifié.

C’est d’ailleurs ce que redoute Emmanuel Macron selon Le Monde, qui écrit que le président français redoute que le régime iranien puisse « sortir plus déterminé de cette guerre » et bascule « dans une fuite en avant, en accélérant ses travaux de façon clandestine ». Avec derrière cela, l’idée qui pourrait germer à Téhéran que seule l’obtention de l’arme atomique permettrait au régime d’assurer sa sécurité, quitte à prendre tous les risques pour tenter d’y arriver au plus vite.