Elle ressemble à la
kryptonite de Superman. Mais au lieu de priver
un super-héros de ses pouvoirs, cette roche bien réelle pourrait
alimenter les batteries de millions de voitures électriques à
travers l’Europe. Son nom : jadarite. Ce minéral blanc et discret,
découvert en Serbie, fascine les scientifiques autant qu’il excite
les géologues industriels. Car derrière sa composition chimique
unique se cache peut-être l’un des secrets les mieux gardés de la
transition énergétique verte.
Une kryptonite bien réelle
L’histoire commence en 2004,
dans le bassin de Jadar, au cœur de la Serbie, quand des géologues
de la société minière Rio Tinto mettent au jour un minéral encore
inconnu. L’analyse chimique du spécimen révèle une formule très
particulière, à base de lithium, de sodium, de bore, de fluor, de
silicate et d’hydroxyde. Et là, surprise : cette combinaison
correspond presque mot pour mot à la composition fictive de la
kryptonite mentionnée dans le film Superman Returns (2006).
Coïncidence ? Plutôt un clin
d’œil du hasard. Mais le buzz médiatique est immédiat : « On a
trouvé la kryptonite dans une mine serbe ! » titrent alors de
nombreux journaux. Derrière l’anecdote, pourtant, le sérieux du
sujet prend rapidement le dessus.
Un minerai rare, une
opportunité unique
La jadarite, baptisée d’après
la région où elle a été trouvée, présente un double intérêt
stratégique :
-
Elle est riche en lithium, un
métal critique pour les batteries rechargeables qui équipent
smartphones, ordinateurs portables, et surtout voitures
électriques. -
Elle contient aussi du bore,
utilisé notamment dans les panneaux solaires, les matériaux
composites d’éoliennes et les verres thermorésistants.
Or, selon plusieurs études, le
gisement de Jadar pourrait à lui seul couvrir jusqu’à 90 % des
besoins européens en lithium pour les véhicules électriques. Dans
un contexte de dépendance vis-à-vis de la Chine et de recherche
d’indépendance énergétique, cette découverte pourrait être une
véritable aubaine pour l’Europe.
a jadarite a été découverte pour la première fois en 2004 par la
société minière Rio Tinto dans le bassin de Jadar en Serbie.
Crédits : Administrateurs du Musée d’histoire naturelle de
LondresUne alchimie naturelle
(presque) irréplicable
Mais comment une roche aussi
précieuse a-t-elle pu se former ici — et uniquement ici ?
Des chercheurs du Muséum
d’Histoire Naturelle de Londres viennent de publier une étude
décodant le processus de formation de la jadarite. Et leur
conclusion est sans appel : c’est un miracle géologique. Sa
formation exige une conjonction extrêmement rare de conditions
:
-
Des lacs alcalins (très riches
en sodium), -
Du verre volcanique saturé de
lithium, -
Et une transformation chimique
lente dans l’argile, à des températures et un pH très précis.
Autrement dit : « C’est comme
une recette de gâteau où chaque ingrédient, chaque étape, chaque
degré compte », explique le Dr Francesco Putzolu, co-auteur de
l’étude. « Si un seul paramètre dévie, la jadarite ne se forme pas.
»
Jusqu’à présent, aucun autre
endroit sur Terre n’a présenté cette combinaison idéale. Cela rend
la jadarite aussi fascinante que difficile à exploiter.
Extraire, mais à quel prix
?
Bien entendu, qui dit
ressource stratégique dit aussi enjeux environnementaux, politiques
et économiques.
Le projet d’exploitation du
site de Jadar par Rio Tinto a suscité d’importantes controverses en
Serbie, notamment en raison des risques pour les écosystèmes locaux
et les réserves d’eau. Des manifestations ont éclaté, poussant le
gouvernement serbe à suspendre temporairement le projet en
2022.
Mais face à la pression
croissante de la demande en lithium à l’échelle mondiale, les
discussions ont repris. Et des voix s’élèvent pour encourager des
méthodes d’extraction plus respectueuses, voire la reproduction en
laboratoire de la jadarite — une piste encore théorique, mais que
les chercheurs explorent activement.
Une pierre précieuse pour une
planète plus verte
Au-delà de sa ressemblance
amusante avec un objet de fiction, la jadarite représente un vrai
espoir pour l’électrification propre du continent européen. Si elle
peut être exploitée de manière responsable, elle pourrait accélérer
la transition vers des transports moins carbonés et réduire la
dépendance aux importations de matières premières critiques.
Et si d’autres gisements
venaient à être découverts, ou si l’on parvenait à recréer les
conditions de sa formation, cette « kryptonite » naturelle pourrait
bien devenir le carburant
discret de notre avenir énergétique.
Les détails de l’étude sont
publiés dans la revue Nature Geoscience.