Par
Frédéric Patard
Publié le
29 juin 2025 à 6h56
Cherbourg se jumelle avec la ville allemande de Bremerhaven. A l’époque, une démarche pionnière.
A quoi tient une histoire d’amitié ? Dans le cas de Cherbourg et Bremerhaven, à une escale de bateau. Celle que fait le paquebot Bremen à Cherbourg le 10 juillet 1959. Le paquebot allemand (ex-paquebot Pasteur) fait son voyage inaugural au départ de Bremerhaven.
Sauf qu’en France, les ports susceptibles de l’accueillir ne se bousculent pas au portillon. Dunkerque, Boulogne, Le Havre ? Non merci, ont répondu ces ports poliment mais fermement. Car même si 15 ans se sont passés depuis la fin de la guerre, et qu’une poignée de villes pionnières ont noué des contacts entre elles, le ressentiment des Français contre les Allemands est encore vif.
Vous n’avez pas vu mes lunettes ?
Mais à Cherbourg, on saute sur l’occasion. Parce que Bremerhaven, le Bremen et sa compagnie la Norddeutscher Llloyd, on connaît. Depuis 1872, la NDL, basée à Brême, fait escaler ses paquebots à Cherbourg. Et dans l’entre-deux-guerres, le premier Bremen était un habitué de la grande rade. Jacques Hébert, jeune maire avisé de Cherbourg (qui s’est battu contre les Allemands dans les rangs de la France Libre) et fervent Européen, accueille donc à bras ouverts le Bremen le 10 juillet 1959. C’est à ce moment-là que le lien noué depuis 1872 est retissé entre les deux villes.
A quoi tient une histoire d’amitié ? A une paire de lunettes. Celles que Joseph Ryst, maire-adjoint de Cherbourg en 1959, égare sur le Bremen lors de son escale à Cherbourg. Pour retrouver ses lunettes, Joseph Ryst entre alors en correspondance avec Alphonse Tallert, responsable de la culture et des affaires scolaires au conseil municipal de Bremerhaven. Une relation épistolaire suivie naît entre les deux hommes. Et quand Jacques Hébert parle de son idée de jumelage avec son maire-adjoint, Joseph Ryst écrit à son ami allemand Alphonse Tallert pour savoir ce qu’il en pense et si la ville de Bremerhaven serait prête ? A l’époque, et toujours pour cette histoire de ressentiment, il y a moins de cent villes françaises jumelées avec des cités allemandes. Et le Traité de l’Élysée qui consacrera officiellement la réconciliation franco-allemande, ne sera signé qu’en 1963.
Les allemands au départ de Cherbourg ©Archives La Presse de la Manche. » Un fait constructif «
Fin avril 1960, une délégation allemande emmenée par Bodo Selge, maire de Bremerhaven, passe plusieurs jours à Cherbourg, pour une première prise de contact. Des deux côtés, on observe que Cherbourg et Bremerhaven ont beaucoup de points communs : ports transatlantiques, ports de pêche, chantiers navals… Et Cherbourg a peut-être même quelques leçons à prendre du côté de la Weser, où le grand Bremerhaven a déjà été réalisé depuis plusieurs années… Entre les toasts et la visite aux chantiers Amiot (qui construisent au même moment des dragueurs de mines pour la marine allemande), trois commissions d’étude sont mises en place, chargées de phosphorer sur des thèmes communs : la culture, le tourisme et l’économie.
A la fois lyrique et pragmatique, Jacques Hébert situe l’enjeu du futur jumelage dans un discours bilingue : « farouchement partisan de l’Europe unie, nous estimons les jumelages des villes indispensables à la meilleure compréhension de nos concitoyens respectifs, et à l’établissement de solides relations d’amitié. Nous connaissant mieux, nous nous comprendrons mieux. C’est par eux que notre action internationale cessera d’être un pur jeu sentimental ou un thème académique pour devenir un fait constructif. C’est par eux que se prépareront les ententes sans lesquelles il n’y aura pas d’Europe, car il ne suffit pas d’en reconnaître la nécessité pour qu’elle soit, si personne ne veut faire l’effort indispensable pour la rendre possible ».
Deux mois plus tard, c’est au tour d’une délégation cherbourgeoise de se rendre en Allemagne. C’est à ce moment-là, le 29 juin 1960, que les deux villes décident de s’unir. Il faudra encore attendre le 28 septembre 1961 pour que le jumelage soit déclaré officiel. Ce même jour, l’avenue de Bremerhaven est inaugurée dans le nouveau quartier du Maupas (il y a aussi une Cherbourger strasse à Bremerhaven).
Prosit ! (« à la vôtre »)
140 000 habitants
à Bremerhaven en 1960. A la même époque, Cherbourg compte moins de 40 000 habitants.
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Témoignage : Erick Leconte
« Des liens très forts »
Élève de seconde au lycée Grignard à Cherbourg, Erick Leconte participe à un échange franco-allemand en 1961.
Erick Leconte et trois de ses amis cherbourgeois en Allemagne : Lemoine, Latrouitte et Pawlowski. ©Collection privée.
« Les élèves allemands sont venus à Cherbourg aux vacances de Pâques 1961. Et nous sommes allés en Allemagne en août suivant. On était une vingtaine, élèves de Grignard et aussi du lycée de filles de Cherbourg. C’est monsieur Untereiner, prof d’allemand de Grignard qui nous accompagnait.
Pour moi (et je pense que c’était le cas pour la majeure partie d’entre nous), c’était la première fois que je partais à l’étranger, et c’était aussi la première fois que je partais en vacances sans mes parents ou sans un adulte de ma famille pour m’accompagner. De ce point de vue-là, c’était déjà une expérience.
J’ai été frappé par beaucoup de choses en Allemagne. D’abord, la propreté générale : pas un seul papier traînant dans la rue. A l’époque à Cherbourg où il y avait encore l’ancien quartier de la place Divette, on ne pouvait pas en dire autant. J’ai eu l’impression aussi que les adultes allemands étaient beaucoup plus à l’écoute des adolescents qu’en France. La nourriture aussi : c’est là que j’ai pris l’habitude de boire du thé au petit-déjeuner. J’ai découvert le pain noir, ça changeait de nos tartines de baguette ! La première chose que j’ai mangé quand je suis arrivé dans ma famille, c’était une soupe de prunes. Ça ne me serait jamais venu à l’esprit d’en manger : c’était délicieux !
On assistait aux cours avec nos correspondants, et à 13 h, c’était quartier libre ! En général, on allait à la piscine (dont Cherbourg était dépourvue à l’époque). Les pistes cyclables, aussi : il y en avait partout, et on ne se déplaçait qu’en vélo. Pour nous Français, tout ça était révolutionnaire !
Et cet échange a été une expérience sensationnelle pour nous ouvrir les yeux.
Et puis ma famille d’accueil allemande était exceptionnelle. Mon correspondant, Wolfgang, avait 19 ans, et parlait très bien français. Nous sommes toujours amis aujourd’hui : on s’écrit, on se téléphone, on se voit quand Wolfgang vient passer ses vacances en France. Je connais toute sa famille, et lui connaît toute la mienne. Il y a des liens très forts entre nous ».
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