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Sylvain Courage

Publié le

29 juin 2025 à 19h06, mis à jour le

29 juin 2025 à 19h17

Un documentaire de Bernard-Henri Lévy

Un documentaire de Bernard-Henri Lévy © MARC ROUSSEL – FRANCE 5

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Critique 
Dans ce documentaire, Bernard-Henri Lévy est reparti au front pour un ultime et vibrant plaidoyer en faveur de la résistance ukrainienne. Ce soir à 21h.

Bernard-Henri Lévy ne lâche rien. Ce 11 juin à Capitol Hill (Washington DC), siège du pouvoir législatif américain, l’intellectuel français a organisé une projection de « Notre guerre », dernier opus de sa tétralogie consacrée à la résistance ukrainienne. Son public : une brochette de sénateurs américains et leurs staffs réunis grâce à une « initiative bipartisane ». Fidèle à sa méthode, BHL a activé ses réseaux pour délivrer son message au plus haut niveau : « Les Etats-Unis doivent soutenir les Ukrainiens. Leur guerre pour la liberté et la démocratie est la nôtre et ils vont la gagner. » Tourné entre février et avril derniers au plus près des combattants ukrainiens dans la région de Donetsk, « Our War » (« Notre guerre »), coréalisé avec le photoreporter Marc Roussel, a fait forte impression. Mais l’heure est grave pour les soutiens américains de Kiev. Considérant que cette guerre qui dure n’est qu’ « un problème européen », l’administration Trump entend profiter du débat budgétaire pour couper les crédits de son aide militaire. Une tragique perspective pour la résistance ukrainienne et son héraut français…

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Une apothéose de la geste « BHLienne »

« Le criminel lâchage de Trump, c’est le point de départ de mon film et, d’une certaine façon, sa raison d’être », confirme BHL, rencontré à Paris au retour de sa tournée américaine. « En février dernier, je suis à Kiev pour présider un festival international du documentaire. Je rends visite au président Zelensky la veille de son rendez-vous humiliant avec son homologue américain dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche. Il me semble soudain très inquiet du virage de Trump vers Poutine. Et je comprends que tout bascule à nouveau et qu’il y a urgence à réaliser un nouveau film. » A 76 ans, l’auteur de « la Barbarie à visage humain » est donc reparti au front pour ce qu’il annonce être sa dernière contribution filmique à la cause. « A mon âge, c’est épuisant de crapahuter sous les drones, de sauter d’un camion à un véhicule blindé ou de passer des journées et des nuits dans des bunkers, mais j’ai, chevillé au corps, ce devoir de témoigner. »

Hagiographie combattante, vibrant plaidoyer et mise en scène ultime, « Notre guerre », projeté en préambule du dernier Festival de Cannes, apparaît comme une apothéose de la geste « BHLienne ». Omniprésent, l’intellectuel en chemise immaculée et en costume cintré est de toutes les séquences, des tranchées gelées du Donbass au palais présidentiel de Kiev en passant par les salons de l’Elysée. Du pur BHL. Il n’en demeure pas moins que son carnet de bord est rempli d’images rares de héros ordinaires – civils et militaires – qui, depuis plus de trois ans, résistent aux bombardements et aux exactions de « la soldatesque de la Fédération de Russie ».

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Un habile montage

Par un habile montage de flash-back, Bernard-Henri Lévy, qui haranguait déjà la foule place Maïdan en 2014, se remémore les grandes étapes du premier conflit de grande ampleur, en terre européenne, depuis 1945. Les bombardements et les massacres de l’attaque russe de février 2022, la résistance héroïque à Marioupol, puis la contre-offensive ukrainienne de l’automne, Koupiansk, Izioum et Kherson libérées. « Ai-je rêvé ?, s’interroge le narrateur d’une voix sépulcrale. Non, j’ai vu tout cela, je l’ai vécu. » Mais ce grand témoin craint désormais qu’ « une nuit ne tombe sur l’Ukraine pour le plus grand bonheur des empires qui voient cette guerre comme un test ».

BHL situe le mauvais tournant à l’été 2023. Visiteur de marque venu de France, il est reçu à bras ouverts. Il fraternise avec les combattants, lance des « Slava Ukraini » (« Gloire à l’Ukraine »), brandit le drapeau bleu et or et chante l’hymne national. Le moral des troupes ? « Excellent », lui répondent les officiers. Mais du côté de Bakhmout, l’intello reporter prend conscience du déséquilibre des forces. « Quand ont-ils tiré sur vous pour la dernière fois ? », demande BHL à un artilleur juste avant qu’une énorme détonation ne fasse trembler la terre sous ses pieds. A l’abri des taillis, dans son gilet pare-balles et sous son casque lourd, Bernard-Henri Lévy fait le compte : « Une pluie d’obus russes et pour les Ukrainiens, des tirs au compte-goutte. » A Tchassiv Iar, sous le feu ennemi redoublé, c’est la révélation : « Et si l’Occident tétanisé par Poutine n’avait jamais voulu sa défaite ? »

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Un recours massif à des drones de fabrication locale

En février 2025, à Pokrovsk, dans un atelier de véhicules de l’avant blindé (VAB), Lévy et son équipe filment en direct la réaction des hommes qui découvrent, atterrés, leur président rudoyé par Donald Trump. « Les soldats ukrainiens sont des amis de l’Amérique. Ils n’en croyaient pas leurs yeux et pleuraient », commente BHL. Au contact de la 155e brigade motorisée équipée par la France de canons Caesar, BHL assiste à un tir, un seul. Déjà le redoutable engin doit quitter la zone devenue une cible des missiles guidés russes. « The Mirage, are they useful ? », s’enquiert le Français auprès de son ami le général Syrsky, chef d’état-major. « Nous les utilisons depuis aujourd’hui », le rassure l’officier. Mais faut-il le croire ? Les images témoignent surtout d’un recours massif à des drones de fabrication locale. Dans un bunker, devant un mur d’écrans, un BHL bouleversé assiste à distance à l’agonie d’un soldat russe éliminé par un « oiseau » tueur. « J’ai beaucoup hésité à faire figurer cette scène difficile dans le film. Mais je ne voulais pas cacher la réalité de la guerre », commente-t-il en précisant que ces images continuent de le poursuivre dans ses nuits d’insomnie. Rencontré au fond d’une cave, un droniste isolé témoigne : « Ça fait longtemps qu’on n’a vu personne. On nous a apporté à manger ce matin. Un peu. »

Envoyé très spécial, BHL passe de la revue des troupes aux ronds de jambe diplomatiques. Il rejoint Zelensky et Macron à l’Elysée. Dès 2018, il a joué les entremetteurs entre l’Elysée et le comédien candidat à la présidentielle que personne n’avait vu venir. Parrain du duo, il félicite le président ukrainien pour son attitude face à Trump : « Les soldats sont fiers de votre sang-froid. » A Kiev, quelques semaines plus tard, Zelensky sensibilise l’écrivain, arborant une médaille de guerre ukrainienne, au sort des 20 000 enfants enlevés par les Russes. De Pokrovsk, lourdement bombardée, Bernard-Henri Lévy rapporte les poèmes d’Oksana Rubaniak, commandante de 22 ans, dédiés à son fiancé Maksym, tué au combat. De Soumy, cité du nord du Donbass qui « se prépare à l’assaut des barbares », la certitude paradoxale de la victoire. Et de tous ces périples, des centaines de visages amis qu’il lui semble impossible d’abandonner. Alors oui, envers et contre tout, « il faut aider l’Ukraine à vaincre, il n’y a jamais eu d’autres choix ».

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Un travail d’équipe

S’il attire à lui toute la lumière, Bernard-Henri Lévy s’appuie sur une solide organisation. « J’ai une équipe de fixeurs, de précurseurs, qui s’assure des conditions de sécurité minimales, explique-t-il. Et, surtout, je peux compter sur mon ami Serge Osipenko, francophone, fin lettré et homme d’action, qui veille sur tout. » Le plus souvent flanqué de son vieux complice Gilles Hertzog (de toutes les aventures depuis trente ans !) et du réalisateur Marc Roussel, BHL peut « voyager léger » tandis que la fidèle Emily Hamilton, depuis New York, assure la production. Sur la liste des ennemis de la Russie poutinienne, il doit surtout veiller à ne pas se faire repérer et changer régulièrement de puce téléphonique. Les combattants qui l’accueillent, eux, ont pour consigne de ne faire état de sa venue sur les réseaux sociaux que bien après son départ.

Dimanche 29 juin à 21h sur France 5. Documentaire de Bernard-Henri Lévy et Marc Roussel (2025). 1h20. (Disponible en replay sur france.tv).