Ils ont fait leurs classes aux Beaux-Arts de Paris, à la Haute École des arts du Rhin Mulhouse-Strasbourg, à l’École des arts décoratifs, à la Villa Arson ou aux Beaux-Arts de Marseille. Tout juste diplômés, les 36 noms de cette édition (une quinzaine de moins que l’année dernière) présentent chacun un projet phare sur plusieurs mètres carrés.

Outre Valentin Ranger, Alexandre Yang et Valentine Gardiennet, auxquels nous avons déjà consacré des articles, la pêche est cette année encore heureuse et surtout diverse, avec de la peinture, de l’installation, de la photographie, de la vidéo… Dans la jungle joyeuse de la jeune création, suivez le guide !

Lou Le Forban, une inoubliable transe

Lou Le Forban, Tohu va bohu

Lou Le Forban, Tohu va bohu, 2022

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Court-métrage • 13 min • © Lou Le Forban / Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, 2022

Dans un village de fantasme, des corps sursautent, sautillent comme dans une poêle à frire. Que leur est-il arrivé ? Où sommes-nous ? À l’origine de sa vidéo Tohu va bohu (2022), nous explique la Marseillaise Lou Le Forban (née en 1997), il y a un fait divers : en 1518, Strasbourg a vu une foule de gens être progressivement atteints par une épidémie de « fièvre dansante », si persistante qu’ils ont dû être cloîtrés. Également inspiré par une nouvelle de Jean Giono, le film mélange esthétique provençale et peinture flamande, prises de vues réelles, calques et décors modélisés pour redonner vie à cette fièvre étrange, burlesque autant que cauchemardesque. Tout autour de l’écran, quatre grands draps teints avec des matières naturelles (indigo, noix) par la jeune artiste diplômée des Beaux-Arts de Paris et du Fresnoy revisitent le thème des quatre saisons. Couverts d’animaux et de créatures hybrides, ils témoignent d’un univers merveilleux, nourri de contes et de malice…

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Maïlys Moanda, malaise dans la peinture

Maïlys Moanda, No More Tears

Maïlys Moanda, No More Tears, 2024

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Peinture à l’huile et aérosol

Au sol de cette étrange exposition de peintures, des carreaux verts et noirs répondent au carrelage blanc des cimaises ; la mise en scène est totale, puisqu’il y a même une entrée, signalée par le chambranle d’une porte, et des sucettes géantes, sur lesquelles l’artiste a collé des Post-it couverts de poèmes. Pour son installation Welcome to replay the fiction (2023–2024), la Guadeloupéenne Maïlys Moanda (née en 1998) a travaillé l’espace comme un décor de cinéma semé d’indices, et accroché ses toiles tel des témoins. Ses sujets ? Un autoportrait debout à côté d’une cuvette de toilettes, une mise en abyme de son damier à carreaux, un banc public sur fond vert, un troublant couple vampirique… Si Maïlys Moanda cite Nina Childress et le mouvement Bad Painting, on pense aussi un peu aux décors claustrophobes de Francis Bacon et aux teintes acides de Pol Taburet, mais en plus féminin, trouble et narratif.

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Zoé Ladouce, la difficile vie d’artiste

Zoé Ladouce, Hunt Successful

Zoé Ladouce, Hunt Successful, 2024

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Installation • © Zoé Ladouce

Sur un stand immaculé – évoquant celui d’une galerie dans une foire d’art contemporain –, des pigeons en plastique patientent, perchés sur des branches ; ils portent dans leur bec des lettres. D’autres, plus nombreux, s’accumulent au sol, et offrent la triste vision de corps sans vie. Chacun, explique Zoé Ladouce, diplômée en 2022 des Beaux-Arts de Marseille, représente une candidature envoyée pour une exposition, une résidence, une bourse. Pour chaque lettre, elle achète un pigeon, signe du temps passé à travailler gratuitement pour se mettre en avant sans avoir aucune garantie de réponse positive. Hunt Successful apparaît ainsi tel le CV de l’artiste, avec ses réussites (les candidatures des pigeons au mur) et ses échecs (ceux au sol), et donne à voir les heures de démarche administrative, les espoirs. Comme sur une foire d’art contemporain, Zoé Ladouce propose ses pigeons à la vente. Transparente, une fiche indique : « Le prix d’un pigeon est calculé en fonction de la qualité de l’offre proposée par la structure (rémunération, accompagnement, modalité d’accueil, rayonnement). »

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Carlota Sandoval Lizarralde, un carré sensible

Carlota Sandoval-Lizarralde, Ofrendas

Carlota Sandoval-Lizarralde, Ofrendas, 2024

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Tubes en métal, tendeurs, objets divers • Dimensions variables • © Florent Michel

C’est une structure en bois qui flotte au-dessus du sol. Formant un carré parfait, elle évoque par son minimalisme une sculpture d’abstraction géométrique… À ceci près qu’elle est couverte de tissus et d’objets variés – des photos de famille, une perruque bleue, une jupe, des colliers de perles multicolores, des vierges en plastique. Diplômée de la Villa Arson, Carlota Sandoval Lizarralde (née en 1996) convoque ici son identité colombienne à travers cette flamboyante collection d’objets et d’offrandes, dit-elle, le plus souvent donnés par sa mère. Un dispositif simple qui raconte avec sensibilité l’exil, et la façon dont le souvenir se niche dans des objets sans valeur. Ou quand le ready-made se fait émotionnel.

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Emika Lannelongue, une faille dans l’image

Emika Lannelongue, Faille 3

Emika Lannelongue, Faille 3, 2022

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Tirage argentique sur Dibond • © Adagp, Paris, 2025

Lorsque l’on regarde une photographie, il est difficile de ne pas se plonger dans l’image, d’observer un paysage comme par une fenêtre, de regarder droit dans les yeux un portrait… Et d’opérer par là même un voyage dans le temps et l’espace. Mais dans les clichés d’Emika Lannelongue, quelque chose cloche. Surgissant comme un phénomène surnaturel, un étrange éclair perce l’image, et invite de l’inquiétude dans le ciel clair. La jeune femme, elle aussi diplômée de la Villa Arson, a tout simplement déchiré ses négatifs, rendant la photographie à sa matérialité, à son processus de production. L’intime, figé dans sa représentation photographique, est malmené comme un souvenir qui s’effacerait petit à petit. Un geste minimal, certes, mais hanté par une réflexion autour de l’impermanence qui bouleverse.

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