CRITIQUE – Quentin Dupieux met en scène l’actrice en star du web cynique dans une comédie noire qui n’épargne personne.
Bras en écharpe, cou pris dans une minerve, perruque filasse, bagues aux dents… Dès sa descente d’hélicoptère, Adèle Exarchopoulos est méconnaissable et parfaitement identifiable sous les traits de Magalie. Un nouveau spécimen rejoint la galerie des monstres que Quentin Dupieux imagine sans relâche depuis bientôt quinze ans (Steak, Rubber, Le Daim, Yannick, Incroyable mais vrai, Daaaaali ! Le Deuxième Acte).
« J’ai oublié de mettre un commentaire positif sur le pilote d’hélicoptère », regrette Magalie. Ou plutôt Magaloche, star du web convalescente et en pause dans un chalet de montagne, accompagné de son assistant (Jérôme Commandeur, parfait en larbin veule). On apprendra que son talent consiste en une maladie congénitale qui la rend insensible à la douleur. Elle lui permet de poster des vidéos chocs dans lesquels elle s’inflige toutes sortes de sévices (eau bouillante sur les jambes, matraquage à coups de batte de baseball…) sans une égratignure.
Une folie pas si douce
La Magaloche riche et célèbre ronge son frein, mange des yaourts, subit le harcèlement d’un fan (Karim Leklou, parfait en admirateur dégénéré) et finit par devoir accepter une interview avec une journaliste (Sandrine Kiberlain, parfaite en professionnelle de l’entretien vérité) qui en sait long sur l’accident de piano cause de sa mise en retrait. Magaloche a beau s’en « tamponner le cul » et souhaiter que la journaliste aille « se faire enfiler le cul », celle-ci aura le dernier mot. « Et cette pute va devenir célèbre grâce à moi », déplore l’influenceuse. Richesse du vocabulaire de Magaloche.
On avait découvert la vis comica d’Adèle Exarchopoulos dans Mandibules, du même Dupieux. Elle jouait Agnès, une fille à l’élocution bizarre, séquelle d’un accident de ski. Magalie, c’est encore autre chose. Un premier rôle perché. Une folie pas si douce. Mandibules était un éloge de l’idiotie, tare inoffensive, amusante, voire source de créativité et d’audace (apprivoiser une mouche géante). L’Accident de piano est une satire de la bêtise, sujet inépuisable depuis Flaubert, fléau décuplé par la puissance des réseaux asociaux.
Dupieux renoue avec la noirceur du Daim, déjà le portrait d’un sociopathe aux pulsions criminelles isolé à la montagne. Peut-être aussi un autoportrait. Sous ses airs de cinéaste barbu et farfelu, homme-orchestre fantaisiste (scénariste, cadreur, monteur, compositeur), Dupieux est un grand misanthrope. Il a beau faire semblant de garder foi en l’humanité dans ses interviews, son cinéma vomit notre époque formidable avec un humour féroce sans égal.