Quelques oursins et une bouteille de Bellet. Deux hommes sont assis sur un bout de quai, les pieds ballants au-dessus de la mer. La scène pourrait être la parfaite description de ces petits moments simples qui font la saveur de la vie. Sauf que ce jour-là, la leur de vie est devenue un casse-tête. Nous sommes en juillet 2024, à moins d’un an de l‘Unoc, la troisième conférence sur l’Océan que l’ONU a décidé de tenir en France… et la France a choisi Nice.

Mais rien ne va plus, ni les délais, ni les budgets. L’organisation tangue. « Le financement, la localisation, les marchés… », égraine à rebours Olivier Poivre d’Arvor (OPDA), l’envoyé spécial d’Emmanuel Macron. Il est l’un de ces deux hommes assis sur ce bout de quai. Co-organisateur de ce rendez-vous au sommet avec Olivier Bettati. « Lui pour le maire de Nice, moi pour le président de la République », résume l’ambassadeur des pôles qui n’y va pas par quatre chemins: « Il a tellement fait », lance-t-il à l’endroit de son homologue niçois, cheville ouvrière de cet Unoc. « Un homme qui sait embarquer les autres. » À sa manière, parfois peu conventionnelle. Olivier Poivre d’Arvor en convient.

Son presse-ail, maillet improvisé de la Conférence


Arraisonnés comme des pirates avec Christian Estrosi pour avoir répondu à l’invitation de monter à bord lancée par Paul Watson. DR.

« On y est arrivé », souligne Olivier Bettati. « En dépit des efforts déployés par ceux qui n’avaient pas intérêt politiquement à ce que ça marche », tacle-t-il au passage. « Ceux-là » auraient bien pu obtenir gain de cause en ce mois de juillet 2024. Le rendez-vous planétaire a failli être annulé un an avant l’événement. C’est l’envers du décor de cet Unoc sur lequel l’émissaire de Christian Estrosi lève le voile, a posteriori. Il raconte ses coulisses du sommet. Quinze jours après que le maillet se soit abattu sur la conférence onusienne. C’est la tradition. Sauf que de maillet, personne n’en avait prévu. Il a finalement été livré juste à temps, introduit discrètement dans l’enceinte hypersécurisée du quai Infernet par un officier de sécurité qui est venu in extremis le glisser à OPDA à la tribune. À peine sec. Faute de mieux, c’est l’écrase-ail du pilon d’Olivier Bettati, repeint à la hâte en bleu Klein, qui a fait l’affaire. Enième péripétie d’un sommet qui, en coulisses, n’en a pas manqué. Avec ses moments de crise, ses situations ubuesques mais aussi son lot de belles rencontres.

Gnocchis bloqués et réunions Tupperware


Avec le président argentin, Javier Milei, sans doute le plus « bizarre » des chefs d’Etat présents. DR.

« Une lessiveuse de 8 mois », résume le Monsieur Unoc de la ville de Nice dont le téléphone n’a pas arrêté de crépiter « de jour comme de nuit ». Pour une « conf-call » depuis New York avec l’officier de sécurité de l’ONU. Ou pour convaincre des CRS Lillois que, oui, il était de la plus haute importance de laisser passer le livreur de gnocchis chargé de garnir le buffet de la conférence des maires des villes côtières. Avec tout au long de ces 8 mois, « le tic-tac » qui résonne. « Les quatre dernières semaines, on avait qu’une terreur, c’est qu’il se mette à pleuvoir et qu’on perde un jour de montage. Il a finalement plu, mais le dernier jour. Et ça nous a permis de tester l’étanchéité de la structure », s’amuse Olivier Bettati qui y a vu « un signe du destin ». Il a souvent fallu y donner un coup de pouce. L’émissaire de Christian Estrosi raconte aussi ses « 22 réunions Tupperware dans des appartements » de riverains « pour tordre le cou aux rumeurs ». Ou encore ses « 3 heures de micro », en mode one-man-show, devant le comité de quartier « pour éviter le dépôt d’un recours ».

Arraisonné façon pirate à cause Paul Watson


Le presse-ail de Bettati transformé à la hâte en maillet officiel de la troisième conférence de l’ONU sur l’Océan.

Il faut parfois se mouiller… Les deux ministres dépêchés pour régler les détails du dernier Copil (comité de pilotage) l’ont appris à leurs dépens en voulant rejoindre, par la mer, le laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer. « J’ai bien tenté de leur dire qu’il y avait du vent d’Est », souffle Olivier Bettati. Agnès Pannier-Runacher (Transition écologique) et Jean-Noël Barrot (Affaires étrangères) ont bien failli ne jamais arriver à s’extraire de la vedette de la Marine qui les convoyait. « Ils ont débarqué avec une demi-heure de retard, passablement mouillés, malgré les efforts de leurs agents de sécurité pour s’interposer entre eux et les vagues, et avec le teint un peu vert », se souvient le Monsieur Unoc qui se targue d’être aussi « un marin ». Ou un pirate? En tout cas il s’est vu arraisonné comme tel par les commandos déployés dans la rade le jour où il accompagnait Christian Estrosi, invité par « son ami Paul Watson » à venir prendre un verre sur le bateau du défenseur des baleines qui venait de s’amarrer à Villefranche. « On n’avait pas réalisé qu’on était en pleine zone d’exclusion », reconnait-il. Là encore il a fallu parlementer…

Petites histoires de bouffe

Mais c’est sans doute ce que cet ancien « bébé Médecin » aime le plus faire. Surtout si c’est devant une assiette. « Diplomatie pissaladière » qui permet de briser la glace avec les émissaires de l’ONU. Bettati s’était mis aux fourneaux. Ou devant « une mauvaise pizza chinoise » avec le président de l’université de Hong Kong qui développait, comme l’Europe, un « jumeau numérique de l’Océan ». « La pire expérience culinaire de ma vie, reconnaît l’intéressé mais qui s’enorgueillit d’avoir mis en contact les deux parties pour qu’elles puissent « connecter leurs technologies ». Diplomatie pizza cette fois-là. Le seul avec qui la recette ne prend pas c’est peut-être Javier Milei, le président argentin. Il se murmure qu’il n’a pas goûté au moindre plat qui lui était servi de peur d’être empoisonné. « Un gars un peu bizarre, concède Olivier Bettati, qui a débarqué accompagné… de sa sœur. » Il y a aussi eu le brésilien Lula, la « véritable star et tellement abordable » qui lui a un peu « rappelé Chirac dans le contact humain ». Ou encore la maire de la Nouvelle Orléans, avec laquelle il ouvre le bal à la fin du dîner des maires.

Et puis il y a eu tout le reste. La grosse caisse que la fanfare municipale avait oubliée sur le quai Infernet et qu’il a fallu transbahuter en urgence pour que les démineurs ne la fassent pas sauter. Un ministre australien qu’il a fallu radioguider dans les ruelles du Vieux-Nice parce qu’il voulait absolument boire une bière dans un pub. Ou encore le président cap-verdien qui, lui, voulait absolument manger la cuisine de son pays… Jusqu’à l’alarme incendie qui, un matin à 8 heures, s’est déclenché dans l’hôtel du couple Macron… « à cause d’un vapoteur ».

« Éreintant mais sans doute la plus belle expérience de ma vie », conclut Olivier Bettati.