Chaque année, alors que l’été
australien approche, des milliards de papillons de nuit Bogong
(Agrotis infusa) prennent leur envol pour entamer un voyage
extraordinaire : 1 000 kilomètres de migration, en direction des
grottes froides et sombres des Alpes australiennes. Leur objectif ?
Échapper à la chaleur de la saison sèche en s’abritant dans des
cavités naturelles, où ils resteront en dormance jusqu’à
l’automne.

Mais ce qui fascine les
scientifiques, ce n’est pas seulement la distance qu’ils
parcourent. C’est leur incroyable capacité d’orientation. Comment
ces insectes, dont le cerveau est plus petit qu’un grain de riz,
réussissent-ils à retrouver, sans aucun apprentissage, une grotte
qu’ils n’ont jamais vue ? La réponse pourrait bien se trouver dans
les étoiles.

Une boussole biologique… pas
toujours fiable

Depuis plusieurs années, les
chercheurs savaient que les Bogong utilisaient le champ magnétique
terrestre comme une boussole interne. Cette capacité est partagée
avec d’autres animaux migrateurs comme les oiseaux ou les tortues
marines. Mais à elle seule, cette « boussole magnétique » ne peut
pas tout expliquer : elle est sujette à des perturbations,
notamment lors d’éruptions solaires ou d’anomalies locales du champ
terrestre. D’ailleurs, ces perturbations sont parfois suspectées
dans les échouages massifs de baleines.

C’est donc une autre piste que
les scientifiques ont voulu explorer : et si les Bogong utilisaient
le ciel étoilé pour s’orienter ?

Une expérience céleste en
laboratoire

Pour vérifier cette hypothèse,
une équipe de chercheurs menée par le professeur Eric Warrant
(Université de Lund, Suède) a recréé un ciel nocturne dans un
planétarium expérimental. Des papillons captifs ont été testés dans
cet environnement visuel ultra-réaliste, sans influence
magnétique.

Résultat ? Quand la carte des
étoiles était fidèle à la réalité, les papillons prenaient la bonne
direction migratoire, comme s’ils étaient en vol libre. Mais
lorsque la position des étoiles était inversée, ils faisaient
demi-tour et volaient dans la mauvaise direction. L’expérience est
sans appel : les papillons reconnaissent le ciel nocturne et s’en
servent pour naviguer.

La Voie lactée comme GPS
naturel

Les chercheurs pensent que les
Bogong ne s’orientent pas en reconnaissant des constellations comme
nous. Leur point de repère principal serait plutôt la bande
lumineuse de la Voie lactée, bien visible dans l’hémisphère sud. Et
plus précisément la nébuleuse de la Carène, une région
particulièrement brillante de notre galaxie.

L’étude a aussi montré que
certains neurones du cerveau des papillons sont spécifiquement
sensibles à cette bande lumineuse. Grâce à leurs yeux qui leur
offrent une vision panoramique du ciel, ils peuvent repérer leur
orientation sans même avoir besoin de « lever la tête ».

papillons étoiles
Crédits : Dr Ajay Narendra/Université Macquarie,
AustralieUn cerveau minuscule, des
performances gigantesques

Ce qui rend cette découverte
encore plus remarquable, c’est la simplicité apparente du cerveau
du Bogong. Moins d’un dixième de la taille d’un grain de riz, il
est pourtant capable d’intégrer des informations complexes issues
de la vue, du champ magnétique terrestre et de divers capteurs
sensoriels.

Et cela, pour des insectes qui
ne font ce voyage qu’une seule fois dans leur vie. Après leur
retour dans les basses terres pour se reproduire, les papillons
meurent. Leurs descendants, n’ayant jamais vu les grottes, doivent
retrouver seuls leur chemin, à la manière de navigateurs
stellaires.

Les menaces d’un monde
artificiel

Malheureusement, cette
prouesse naturelle est mise en danger par l’activité humaine. Dans
des villes comme Canberra, les lumières artificielles attirent et
désorientent les Bogong, parfois en nombre spectaculaire.
Contrairement à une idée reçue, ils ne confondent pas ces lumières
avec la Lune, mais sont perturbés parce qu’ils essaient de garder
le ciel au-dessus d’eux. Résultat : ils tournent en rond autour des
lampadaires et s’épuisent.

Et ce n’est pas la seule
menace. En 2016, une sécheresse extrême a provoqué une chute de 99
% de leur population, mettant en péril des espèces qui s’en
nourrissent, comme le petit opossum pygmée des montagnes. Depuis,
les papillons reprennent lentement du terrain, mais le
réchauffement climatique rend ces événements de plus en plus
fréquents.

Un rappel céleste

La migration des Bogong n’est
pas qu’un exploit entomologique. C’est aussi un miracle
d’ingénierie évolutive, une preuve que même les cerveaux les plus
minuscules peuvent contenir des cartes célestes complexes. Dans un
monde où les insectes disparaissent à grande vitesse, c’est une
leçon d’humilité — et peut-être une invitation à lever les yeux
vers les étoiles.

L’étude est publiée dans
Nature.