Première manifestation hors les murs du Centre Pompidou, cette exposition titanesque investit le Grand Palais jusqu’en janvier 2026.

De Niki de Saint Phalle, nous connaissons les Tirs et les Nanas. De Jean Tinguely, les machines en mouvement, Le Transport ou L’Enfer. En revanche, ce que nous connaissons moins de ce couple mythique est l’amitié qui l’unissait au conservateur de musée suédois Pontus Hulten.

Jusqu’au 4 janvier 2026, une exposition revient sur la richesse de cette relation à la fois amicale et artistique qui a secoué le monde de l’art. Première manifestation hors les murs du Centre Pompidou, cette exposition titanesque est à découvrir au Grand Palais alors que Beaubourg entame son plan de rénovation jusqu’en 2030.

« Au moment de la fermeture de notre musée, c’est une manière de revenir à l’ouverture et d’illustrer ce magnifique moment d’utopie impulsé par Pontus Hulten et ses amis artistes », explique la commissaire d’exposition Sophie Duplaix à franceinfo Culture. Initialement à la tête du musée d’art moderne de Stockholm, Pontus Hulten fut le premier directeur du Centre Georges-Pompidou de 1977 à 1981.

Jeune artiste, Jean Tinguely (1925-1991) fait la rencontre d’un conservateur de musée pas comme les autres. Depuis la Suède, son pays d’origine, Pontus Hulten (1924-2006) défend une vision anarchiste de l’art et du musée qu’il conçoit comme des lieux de grande liberté et d’amusement. Entre les deux hommes, le coup de foudre est immédiat. Très vite, Niki de Saint Phalle (1930-2002), en couple avec Jean Tinguely, complète ce duo artistique.

« Cette rencontre est un véritable catalyseur d’énergie pour le trio qui a su prendre des risques et réaliser ses utopies artistiques. »

Sophie Duplaix

franceinfo Culture

L’exposition met l’accent sur les temps forts de cette collaboration féconde. En 1961, Jean Tinguely et Pontus Hulten présentent au Stedelijk Museum d’Amsterdam puis au Moderna Museet de Stockholm, l’exposition Le Mouvement dans l’art. Un projet d’envergure qui traduit leur engouement pour la nouveauté et les machines. Il est aussi fait mention de la Hon/Elle, une œuvre interactive exposée en 1966, puis détruite. Assistée par son compagnon et l’artiste suédois Per Olof Ultvedt, Niki de Saint Phalle réalise une Nana monumentale couchée sur le dos. Le public peut entrer à l’intérieur de cette femme enceinte où se logent une salle de cinéma, un toboggan et un bassin de poissons rouges.

Une femme essaie le "Cyclograveur" de Jean Tinguely lors de l'exposition "Rörelse i konsten" au Moderna Museet de Stockholm, en 1961. (ADAGP PARIS 2025 / LENNART OLSON / HALLANDS KONSTMUSEUM)

Une femme essaie le « Cyclograveur » de Jean Tinguely lors de l’exposition « Rörelse i konsten » au Moderna Museet de Stockholm, en 1961. (ADAGP PARIS 2025 / LENNART OLSON / HALLANDS KONSTMUSEUM)

Figure de l’ombre, Pontus Hulten fait preuve d’une grande ouverture d’esprit quand il s’agit d’art. Ces événements témoignent des nombreuses prises de risques du conservateur, toujours plus libre et novateur dans ses choix d’exposition et d’acquisition. Pour l’ouverture du Centre Pompidou, il invite des artistes, dont le couple Saint Phalle-Tinguely, à réaliser une œuvre collective, c’est la naissance de l’éphémère Crocrodrome de Zig et Puce. Cette attraction titanesque est à l’image du message véhiculé par le nouveau musée d’art moderne et son représentant, un jeu interactif avec le public.

« Le musée n’est plus un temple, mais un endroit où le public peut avoir des moments de plaisir et de joie », explique la commissaire d’exposition. Impulsée par Pontus Hulten, cette conception du musée est largement créditée par le travail de Niki de Saint Phalle et de Jean Tinguely. Bien que différentes, leurs œuvres témoignent de la volonté d’amener le public à l’art grâce à une approche ludique, spontanée et joyeuse de la création.

Cette dimension interactive est retransmise dans la scénographie de l’exposition. Tout au long du parcours, les œuvres s’animent par surprise et révèlent la vision des artistes. Ce n’est pas tous les jours que ces installations titanesques sont exposées au public, les voir s’activer après tant d’années relève presque de l’exploit. Même s’il reste un héritage immense de cette période d’utopie artistique, une grande partie des œuvres concernées n’existent plus ou sont impossibles à exposer, comme Le Cyclop installé à Milly-la-Forêt où il a été conçu.

Pour combler cette absence, l’exposition revient sur les coulisses de la création artistique. « Une œuvre n’est pas uniquement quelque chose d’achevé accroché à un mur, souligne Sophie Duplaix, il y a tout un processus de création derrière, qu’il est important de révéler au public ». Un aspect souvent occulté par l’attention portée aux chefs-d’œuvre et moins à leur dessous. La preuve : aucun des visiteurs interrogés ne connaissait Pontus Hulten, encore moins son implication dans le travail de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely.

Ainsi, la correspondance des artistes avec le conservateur est exposée entre les œuvres. Elle met en lumière la relation amicale qui existe entre eux, et le rôle de conseiller endossé par Pontus Hulten auprès du couple. À cela s’ajoute de la musique et des diaporamas pour plonger les visiteurs dans l’ambiance de la création et reconstituer l’univers si particulier de Saint Phalle et Tinguely, caractérisé par des bruits violents et discontinus.

Œuvre de Niki de Saint Phalle

Œuvre de Niki de Saint Phalle « Jean II (Méta-Tinguely) » réalisée en 1992. (2025 NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION / ADAGP PARIS)

Grande habituée des rétrospectives, Niki de Saint Phalle n’a presque plus de secrets pour le public. Cette entrée en matière à travers la figure de Pontus Hulten permet de (re)découvrir l’œuvre de cette artiste, mais aussi de son compagnon Jean Tinguely sous un autre angle. L’exposition côte à côte de leurs travaux donne de nouvelles clés de compréhension à l’art de chacun. « Elle est violente, outrageante et énorme, alors que lui, ses installations de mobiles sont légères et poétiques », note Sylvain venu le jour de l’ouverture de l’exposition. « Au départ, ils cheminent côte à côte, mais au fil de l’exposition et de leur vie, ils s’inspirent l’un l’autre et se soutiennent », ajoute-t-il.

À la mort de Jean Tinguely, alors même que Niki de Saint Phalle est séparée de lui depuis de nombreuses années, elle bataille pour perpétuer son œuvre et demande conseil à son vieil ami Pontus Hulten pour créer un musée Tinguely à Bâle. À cette même période, elle écrivait : « La panne, le mouvement, m’appartiennent à moi aussi maintenant », témoignage du lien artistique indéfectible qui l’unissait à son ancien compagnon.

Exposition « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten », du 26 juin 2025 au 4 janvier 2026, au Grand Palais (17 avenue du général Eisenhower, 75008 Paris), entrée Square Jean Perrin.

Affiche de l'exposition "Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten" au Grand Palais. (CENTRE POMPIDOU / GRAND PALAIS)

Affiche de l’exposition « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten » au Grand Palais. (CENTRE POMPIDOU / GRAND PALAIS)