Voilà un an et demi que la communauté tibétaine de France a donné l’alerte. Depuis qu’elle a remarqué qu’à Paris, deux musées ont effacé le mot « Tibet » de leurs salles et catalogues : le musée Guimet (XVIe) et celui du Quai-Branly (XVe). Face au refus du premier de réintroduire leur ancienne nomenclature, les avocats de quatre associations tibétaines ont déposé ce mardi un recours devant le tribunal administratif de Paris.
Représentées par Lily Ravon et William Bourdon, ces associations s’insurgent de voir les expressions « Monde himalayen » ou « art tibétain » (ne provenant pas seulement du Tibet, mais aussi du Népal ou du Boutan, NDLR) utilisées dans les cartels, brochures, salles d’exposition et supports numériques du musée. « Cela contribue à l’effacement du Tibet et du peuple tibétain, déjà entamé par des années de politiques intérieures chinoises de détibétisation », dénonce la première avocate.
Le musée du Quai-Branly se rattrape, pas Guimet
Face à ce constat, les associations Étudiants pour un Tibet Libre, France-Tibet, Communauté Tibétaine France et les Amis et Lions des Neiges Mont-Blanc avaient, le 26 mars dernier et par l’intermédiaire de leurs avocats, mis en demeure le musée Guimet pour que la dénomination « Tibet » soit réintroduite.
« Cette demande préalable ne visait que la nomenclature utilisée par le musée Guimet et non celle du musée du Quai-Branly, qui avait fait machine arrière depuis. Et même après cette demande arguant sur plusieurs pages et une dizaine de pièces de l’absence de justification à la nomenclature utilisée, nous avons reçu une réponse négative lapidaire d’à peine deux pages de l’avocat du musée Guimet », rembobine Lily Ravon.
Face à cette fin de non-recevoir, l’avocate et son confrère passent donc à la vitesse supérieure en s’en remettant au tribunal administratif de Paris ce mardi. En déposant un recours en excès de pouvoir, « nous contestons le refus formulé par le musée Guimet de revenir à la nomenclature initiale mentionnant le Tibet », résume l’avocate.
« Masquer les spécificités de la culture tibétaine » ?
Dans ce recours, les avocats rappellent les missions du musée, notamment celle de « représenter au public, en les situant dans leur perspective historique, les œuvres représentatives des arts de l’Asie », selon un décret de 2003. Un décret « violé » selon les avocats. « Par l’utilisation de la nomenclature Monde himalayen ou par celle d’Art tibétain, laissant présumer un flou sur la provenance, l’EPA Guimet a entendu masquer les spécificités de la culture tibétaine qu’il a pourtant pour mission de faire connaître au public », peut-on lire.
Surtout, les avocats estiment que des pressions politiques et diplomatiques visant à satisfaire la Chine sont à l’origine de ces changements de nomenclature, citant notamment un article de l’Opinion de janvier dernier dans lequel la présidente du musée Yannick Lintz assumait « faire de la diplomatie culturelle » à Guimet.
L’influence de la Chine dénoncée
Aussi, ils s’inquiètent de voir les arrivées de certaines personnalités « réputées proches du pouvoir chinois » au conseil d’administration du musée. L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin est cité, notamment en tant que « promoteur actif des relations franco-chinoises », aux côtés de l’homme d’affaires Henri Giscard d’Estaing ou encore Hélène Lafont-Couturier, qui a participé à la création du Nouvel institut franco-chinois de Lyon en 2014.
« Les associations requérantes sont stupéfiées de voir que la politique d’effacement du Tibet, à la manœuvre en Chine depuis plusieurs années, dépasse les frontières et s’exerce jusqu’en France, en particulier dans l’un des plus importants musées français consacrés aux arts asiatiques, jouissant d’une renommée internationale », poursuit Lily Ravon, qui demande également au musée de verser la somme de 15 000 euros aux associations au titre des frais de procédure.
Contactés, le musée Guimet et son avocat Xavier Près n’ont pour l’heure pas donné suite à nos sollicitations.