Exigence de contenu local, joint-ventures à majorité européenne, restrictions sur les visas d’ingénieurs… les propositions chocs de l’Institut Montaigne pour réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine.
Et si, une fois n’est pas coutume, l’Europe se montrait aussi combative que la Chine ou les États-Unis ? En adoptant les méthodes de Pékin ou de Washington, l’Union européenne pourrait réduire sa grande dépendance à la Chine dans les métaux critiques indispensables aux technologies liées au changement climatique. La clé de cette révolution est « le contenu local », affirme Joseph Dellatte, expert du cercle de réflexion Institut Montaigne. Bruxelles pourrait « imposer 50 % de contenu local aux produits liés à la transition énergétique vendus en Europe », tels que les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les électrolyseurs, les batteries ou les véhicules électriques.
Ce seuil permettrait ainsi d’obtenir qu’« une part significative des composants critiques d’un véhicule électrique », par exemple, soit fabriquée en Europe, détaille ce spécialiste de l’énergie, de l’environnement et de l’Asie dans un rapport qui propose neuf recommandations pour réduire la dépendance européenne à la Chine dans les technologies vertes.
Imposer plus que de l’assemblage dans les usines européennes
Dans les secteurs où elle accuse un retard important, comme les batteries LFP ( lithium-fer-phosphate), l’Europe doit contraindre les entreprises chinoises à créer sur le Vieux Continent des coentreprises à majorité européenne. Et s’assurer que les nouvelles usines ne se contentent pas d’assembler des produits. Dans l’industrie automobile, plusieurs groupes chinois ont annoncé l’ouverture d’usines en Europe afin d’échapper aux droits de douane atteignant 45,3 % imposés par l’UE aux véhicules chinois depuis octobre dernier. Mais, le champion des voitures électriques BYD « devrait faire essentiellement de l’assemblage dans sa future usine de Szeged en Hongrie, avec une chaîne de valeur essentiellement chinoise et beaucoup de robots plutôt que des employés », déplore Joseph Dellatte. Alors que l’accès au marché européen pour les technologies vertes doit être impérativement lié à « une implantation locale des chaînes de valeur », précise-t-il.
Des stratégies communes avec le Japon, la Corée, l’Inde
Au-delà d’une stratégie affirmée de contenu local, l’Union européenne doit développer des stratégies communes avec ses pays amis, pointe aussi le rapport. Réduire le risque d’approvisionnement en ressources et métaux critiques passe par la construction d’accords avec des pays partenaires comme le Japon, la Corée du Sud, le Canada, l’Inde ou avec des producteurs de cobalt, nickel et autres métaux critiques. Tokyo, à qui la Chine a refusé en 2010 de vendre des terres rares (néodyme, dysprosium, cérium, etc. ) en raison d’une dispute sur un petit archipel, a été l’un des premiers à bâtir une stratégie pour réduire sa dépendance dans ce domaine où la Chine détient un quasi-monopole.
Le succès est relatif : quinze ans plus tard, le Japon n’a réussi à soustraire à la Chine, grâce à des accords en Australie, que la moitié de sa consommation de terres rares. « Le Japon et la Corée du Sud, alertés avant nous, ont une approche méticuleuse, projet par projet, secteur par secteur, leur permettant de diversifier autant que faire se peut leurs approvisionnements », résume toutefois Marie-Pierre de Bailliencourt, directrice générale de l’Institut Montaigne. En France, le projet de la startup lyonnaise Carester, qui construit une usine de recyclage de terres rares à Lacq, dans le Sud-Ouest, avec des financements japonais et français, est l’exemple de montages que l’Europe doit développer, pointe Joseph Dellatte.
Une politique de visas pour limiter les entrées d’ingénieurs chinoises
L’Institut Montaigne préconise aussi une politique de visas. Cela permettrait de limiter l’entrée d’ingénieurs chinois « au strict minimum » et d’imposer « le recrutement d’une majorité d’ingénieurs et de techniciens locaux ». Là aussi, des avancées ont lieu. L’Allemagne pratique déjà une politique restrictive depuis quelques mois, très discrètement, dans le domaine des batteries, note Joseph Dellatte.
Évidemment, construire une telle stratégie dans l’Union européenne, qui se fixe des objectifs ambitieux avec des moyens limités et souffre d’un manque de coordination entre États membres, n’est pas simple. Et, les nouvelles contraintes proposées paraîtront rébarbatives aux entreprises chinoises. Mais, entre droits de douane exorbitants et barrières non tarifaires, le marché américain est aujourd’hui quasiment interdit aux constructeurs chinois alors que ceux-ci fabriquent 70 % des véhicules électriques et hybrides rechargeables du monde.
En conséquence, ils lorgnent avec plus d’intérêt que jamais l’Europe, qui dispose d’un marché vaste et ouvert aux produits à forte valeur ajoutée. D’autant qu’à la différence des États-Unis, l’Union européenne souhaite voir la Chine investir sur son territoire, dans la mesure où cela apporte du savoir-faire et des emplois, précise l’expert de l’Institut Montaigne. Une façon de rejouer à l’envers la partie imposée par Pékin aux entreprises étrangères, lorsque la Chine de Deng Xiaoping s’ouvrait et s’organisait pour récupérer les technologies occidentales.