Mardi midi, à l’hôtel Pullman où logent les Tricolores à Auckland, on a passé un long moment avec le « Canuck » des Bleus : il a parlé d’Edmonton, de lutte gréco-romaine, de football américain et de Scott Barrett, le leader d’en-face. C’est à vous, Tyler !

Si on vous avait dit, en début de saison, que vous affronteriez les All Blacks cet été, l’auriez-vous cru ?

(Il sourit) Oui, je l’aurais cru. Je travaille en tout cas en ce sens depuis très longtemps et je considère cette tournée comme une immense opportunité.

Quand avez-vous commencé à y croire vraiment, au juste ?

Quelques jours après un match contre Lyon, Fabien Galthié est venu à l’entraînement du MHR. Il m’a dit : « Tu as réalisé une bonne partie, tu fais de gros progrès et ton profil nous intéresse. Tiens-toi prêt. »

Comment avez-vous réagi ?

Je vivais un rêve éveillé mais j’ai aussitôt pensé qu’il faudrait, peut-être, que j’apprenne enfin par cœur la Marseillaise ! (rires) J’ai bossé les paroles dans ma chambre, tout seul, jusqu’à ce que ça rentre. Derrière ça, il s’est passé du temps sans que j’aie de nouvelles du staff.

Alors ?

Au soir du dernier match de la phase régulière du Top 14, j’étais chez moi, tranquille. Je regardais Toulon – Bordeaux à la télé. Le match s’est terminé à 23 heures et vers 1 heure du matin, Laurent Sempéré (le coach des avants tricolores, N.D.L.R.) m’a appelé pour me dire que j’étais pris pour le match contre l’Angleterre, à Twickenham. Je n’ai pas su quoi lui dire. Alors, j’ai répondu à trois ou quatre reprises : « Merci. Merci beaucoup. » Derrière ça, je n’ai évidemment pas fermé l’œil de la nuit. J’étais tellement heureux !

Qu’allez-vous amener à cette équipe de France ?

J’aime le travail de l’ombre, le boulot dans les groupés pénétrants, le combat collectif. En ce sens, j’aime beaucoup le style de jeu de l’équipe de France parce qu’il est direct, frontal et performant sur les mauls pénétrants. J’adore cette phase de jeu, je ne m’en cache pas : le combat de huit avants contre huit autres, je trouve ça beau.

Êtes-vous un combattant, vous-même ?

J’ai longtemps fait de la lutte gréco-romaine, dans la catégorie poids lourds. J’ai aussi pratiqué le football américain. Pour tout vous dire, si j’ai démarré le rugby à Edmonton (Canada), c’était justement pour être affûté avant que la saison de foot US ne commence, chez moi. Mais dès que j’ai goûté au rugby, je me suis dit que ce sport était fait pour moi.

À quoi ressemble votre ville d’origine, Edmonton ?

C’est une grosse ville de 2 millions d’habitants, la capitale de la région d’Alberta. Comme vous pouvez l’imaginer, le rugby est encore tout petit là-bas. Il y a cinq grands clubs au Canada, en somme. Mais dans ma famille, le terreau était plus favorable. Mes oncles, John et Luke Tait, étaient tous deux internationaux canadiens.

Où jouaient-ils ?

À Cardiff, pendant très longtemps. John a aussi défendu les couleurs de Brive à une époque (2003-2005).

Solides, les oncles ?

Ils sont encore plus grands et plus larges que moi, oui ! (rires)

Comment êtes-vous arrivé en France ?

À 17 ans, j’avais participé à une compétition en Roumanie avec la sélection des jeunes du Canada. Là-bas, j’ai été repéré par un agent, qui m’a dit que je pouvais peut-être tenter l’aventure en Europe. Le club de Narbonne, qui évoluait à l’époque en Fédérale 1, m’a ouvert les portes de son centre de formation. À 18 ans, je me suis donc retrouvé seul, à des milliers de kilomètres de ma famille et de mon pays. J’avais beau adorer le rugby, la situation n’était pas facile. Quelques mois plus tard, Montpellier m’a contacté. J’y suis depuis maintenant cinq saisons.

Vous souvenez-vous de vos premiers matchs en Top 14, avec le MHR ?

Oui, j’ai eu l’impression de passer dans une machine à laver, tellement ça allait vite sur le terrain… À l’époque de la pandémie, il est arrivé qu’on joue plusieurs matchs en un mois. J’ai donc disputé ma première rencontre en professionnel contre Bath, en demi-finale du Challenge européen. Derrière ça, j’ai enchaîné, enchaîné, enchaîné : neuf apparitions en un peu plus d’un mois, je crois ! C’était physique, oui.

Pourquoi avez-vous choisi de défendre les couleurs de la France ? Vous auriez pu devenir international canadien bien plus tôt…

C’est la France qui m’a appris le rugby. C’est la France qui m’a fait grandir. Je veux donc redonner à ce pays ce qu’il m’a donné. Je me dis, aussi, que si je veux faire un jour partie des meilleurs joueurs à mon poste, je dois me confronter aux plus forts : les All Blacks, les Anglais et les Springboks.

On est nombreux à vous promettre l’enfer, au fil de cette tournée. Comment l’appréhendez-vous ?

Le rugby a de la profondeur. Beaucoup de joueurs de Top 14 ont les capacités pour évoluer à ce niveau. Je suis curieux de voir ce que cela pourra donner, samedi. Et puis, ce match a aussi une portée symbolique pour moi : à 17 ans, j’ai passé deux mois à Christchurch, pour un stage. Des tribunes, j’observais déjà Scott Barrett et ses frères…