Pour cette dernière journée aux Rencontres économiques d’Aix-en- Provence, impossible de ne pas évoquer la question de l’épargne en Europe. Car le Vieux Continent vit un vrai paradoxe : « Il y a une abondance énorme de l’épargne mais celle-ci a dû mal à s’investir dans l’économie productive », prévient Bertrand Jacquillat, membre du Cercle des économistes, en préambule de la table ronde « Endiguer la fuite de l’épargne ». A ses côtés, la directrice générale de Bank of America Securities Europe, Vanessa Holtz, souligne « qu’il y a 35 000 milliards d’euros d’épargne en Europe ». En France, le taux d’épargne est très conséquent. Il atteignait 18,5 % au quatrième trimestre 2024, et parmi les ménages, ce sont les retraités qui contribuent le plus au maintien de ce taux élevé, comme le rappelle l’Insee dans sa note de conjoncture publiée en juin.
Cette épargne abondante est un réel atout, notamment par rapport aux États-Unis, mais elle n’irrigue pas assez le tissu productif. Et ne soutient pas, comme elle devrait, le développement des entreprises européennes. « L’épargne est investie principalement dans des fonds monétaires, des produits à taux fixes ou encore des cryptomonnaies », détaille Camille Beudin, responsable diversification stratégique chez Euronext. Et à la différence des États-Unis, l’Europe n’est pas dotée de grands fonds de pensions qui financent les entreprises.
La fuite de l’épargne européenne
Pire, « plus de 300 milliards d’euros d’épargne quittent l’Europe chaque année vers le marché américain parce que le marché européen est fragmenté et pas assez attractif », expliquait l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, auteur d’un rapport sur le sujet au printemps 2024. D’où cette situation quelque peu ubuesque soulevée par William Kadouch-Chassaing, coprésident et directeur général d’Eurazeo : l’épargne européenne « finance la dette de l’État américain pendant que les fonds de pensions américains financent nos entreprises ». Ce qui n’est pas sans poser aussi de sérieux problèmes de souveraineté technologique et industrielle.
Présent hier à Aix-en-Provence, le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), Pierre-Olivier Gourinchas rappelait pendant une table ronde qu’en Europe « le marché unique n’a pas vraiment été réalisé ». À la différence des États-Unis où le marché est « moins rigide et plus liquide », selon Vanessa Holtz. Qui ajoute à titre d’exemple : « Aux États-Unis, 60 % des crédits immobiliers sont titrisés sur les marchés financiers. Et la titrisation (regroupement de crédits transformés en titres financiers) est un outil qui libère énormément de capitaux. »
Clairement « il y a un besoin de défragmenter et de simplifier l’accès aux marchés en Europe, abonde Camille Beudin d’Euronext. Et il y a une volonté réelle de la Commission européenne d’avancer sur ce sujet ». D’autant que, selon l’expert, « il y a besoin d’avoir un afflux massif de capitaux pour financer le réarmement de l’Europe, la digitalisation de l’économie et la transition économique ».
La question fiscale
Pour y parvenir, la question de la fiscalité doit être également travaillée par les pouvoirs publics. La fiscalité reste « à l’envers » pour Nicolas Calcoen, directeur général délégué chez Amundi. Elle favorise des livrets d’épargne ou l’assurance vie au détriment des actions par exemple. Et ce, en dépit du succès du PER, créé via la loi Pacte en 2019, qui a permis de récolter depuis 120 milliards d’euros auprès des épargnants. Dans cette droite ligne, « il faut rendre le plan d’épargne en actions (PEA) encore plus intéressant sur le plan fiscal », plaide Camille Beudin.
Et puis, il y a un dernier aspect, plus nébuleux : l’aversion aux risques de ménages européens. Sur le temps long, « rien ne rapporte plus que le placement en actions », rappelle l’expert sous le chapiteau. « Il faut investir massivement, le moment est crucial et capital pour construire un avenir européen », martèle de son côté Sophie Paturle, présidente de France Invest. Pour aider les épargnants à flécher leur épargne vers les entreprises européennes, le ministre de l’Économie Éric Lombard et ses homologues européens ont lancé, jeudi 5 juin, un nouveau label « Finance Europe ». Mais le plus dur reste à faire.