Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), envoyé spécial.

Acte I, scène 1. Le Tour, en sa démesure, dépend toujours des éléments. Le climat postcaniculaire nous réserva bien des surprises, au petit matin nordiste, quand nous découvrîmes les trombes d’eau qui s’abattaient sur Lauwin-Planque, ville départ de cette 2e étape qui conduirait les 182 coureurs vers Boulogne-sur-Mer (209,1 km).

Une pagaille rarement vécue par les organisateurs contemporains, un capharnaüm improbable en vérité, qui n’était pas sans nous rappeler les épouvantables chaos de certaines étapes des Tours d’Italie de la fin des années 1980.

Les conséquences de ces fortes pluies s’abattirent sur le lieu de rassemblement, tant et tant que d’invraisemblables embouteillages, aux abords de Lauwin-Planque, empêchèrent plusieurs équipes de rejoindre en temps et en heure la zone du départ fictif, sans parler des suiveurs, pour la plupart pris de panique. Résultat rarissime : quinze minutes de retard, pour voir le peloton s’élancer.

2 550 mètres de dénivelé

« Les dernières équipes sont arrivées au parking à midi, et il faut du temps pour qu’elles sortent les vélos et préparent au mieux la course pour leurs coureurs, expliqua Thierry Gouvenou, directeur de la course. Nous avons rencontré des difficultés pour faire venir les équipes au parking, car il a beaucoup plu ce matin et le sol était embourbé. » Autour de nous, le paysage avait ce petit air à la fois rafistolé et prospère qu’ont souvent les villages du grand Nord.

Cela n’empêcha pas, comme le veut la coutume, d’assister à la formation d’une échappée dès le kilomètre zéro. Quatre courageux, sur un asphalte détrempé, partirent en éclaireurs (Van Moer, Leknessund, Armirail et Fedorov) et ouvrirent la voie en traçant leur sillon dans la détrempe d’un profil comportant tout de même quatre côtes et 2 550 mètres de dénivelé. Le peloton laissa filer. Et nous aussi.

Acte I, scène 2. Non loin du départ, petite visite chez Éric Caron, à Esquerchin. Histoire d’entretenir tel un archiviste de l’Éternel les images mémorielles qui devinrent au fil du temps nos souvenirs par un sortilège effarant, il fallait partir à la rencontre du Douaisien qui, en l’espace de quelques décennies, s’est transformé en un collectionneur de la Grande Boucle comme il y en a peu.

La grande histoire du Tour

Ce grand fan de Miroir du cyclisme, lui-même acteur (au présent et au futur) de la réussite du numéro 475 qui vient de sortir, possède à peu près tout ce que vous pouvez imaginer. Collection complète de magazines, des centaines de maillots de coureurs, des milliers de petits cyclistes, plus de 500 bidons, des centaines de miniatures, de livres, de revues et de cartes postales d’équipe, des photos et casquettes à gogo…

Éric Caron a surtout réussi à amasser toute une série de documents et récits improbables. Des traces de ce qui a fait vivre l’organisation du Tour, « entre 1947 et 1990 ». Comme ces carnets de contrôle antidopage de 1976 et de ravitaillement de 1923. Ou celui de l’abbé Joubert, commissaire de course en 1956.

Ou encore la liste des caravaniers au fil de la grande histoire, notamment ceux de l’Humanité. Bonheur de visiter son antre, envahi dans les moindres recoins par sa passion. Son rêve désormais : « Créer une maison du Vélo, pour transmettre aux nouvelles générations, faire comprendre, faire partager. » Avec le Tour, tout est symboles.

Une étape propice aux puncheurs

Acte II, scène 1. Dans cette magnifique remontée vers le nord-ouest jusqu’à la Côte d’Opale, la pluie s’estompa et le peloton garda les fuyards à modeste distance, comme un élastique prêt à se rétracter. Nous attendions beaucoup de ce tracé de nouveau venteux, propice aux baroudeurs, aux puncheurs, voire aux cadors prêts à se jauger. Et pour cause.

Les commentateurs restaient en effet chamboulés par ce qui s’était déroulé la veille, autour de Lille, alors que nous n’attendions rien ou presque de cette première étape. Tout le contraire se produisit, devant plus d’un million de spectateurs sur le bord des routes : un coup de bordure, et des favoris, dont Remco Evenepoel (Soudal) et Primoz Roglic (Red Bul), venaient de concéder une quarantaine de secondes à leurs rivaux Tadej Pogacar (UAE) et Jonas Vingegaard (Visma).

Sans parler du naufrage de Lenny Martinez, dans un jour sans (9 minutes de débours). Que se passerait-il, ce dimanche, dans les côtes de Saint-Étienne-au-Mont et d’Outreau, toutes deux plantées dans les dix dernières bornes ?

Maillot jaune pour le petit-fils de Raymond Poulidor

Acte II, scène 2. L’échappée du jour fondit dans une lente coulée de petites abnégations bien exercées. Final à haute tension. Nous en vînmes donc à l’essence proprement ontologique de l’effort des puncheurs.

À ce petit jeu maximaliste, Pogacar, Vingegaard, Evenepoel, Van der Poel, Grégoire, Jorgenson, Vauquelin se montrèrent les plus en vue. Dans la montée finale (1,2 km à 3,8 %), non répertoriée, le Néerlandais Mathieu Van der Poel (Alpecin) s’arracha et devança Tadej Pogacar en personne. Le petit-fils de Raymond Poulidor s’empara du jaune. Pour la deuxième fois de sa vie de cycliste.

Épilogue. Quelques anchois et des moules frites en bord de mer, le chronicœur se fit holiste, vu les circonstances. Au fond, il est toujours hasardeux et même vain de chercher à justifier notre bonheur du Tour quand les cadors assument leur statut, à analyser jusqu’aux détails leurs vies sur un vélo, comme une série de consécutions logiques.

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