Richie McCaw, ex-capitaine de la Nouvelle-Zélande – Il a tout gagné avec les All Blacks puis s’est effacé. À 44 ans, l’homme aux 148 sélections vit désormais loin des terrains, entre courses d’endurance, secours en hélicoptère et devoirs royaux. Rencontre, à Dunedin, avec une légende redevenue homme.

Il était assis là, sans faste ni escorte, dans ce hall un peu triste du Southern Cross Hotel, à Dunedin. Le ciel était d’un gris laiteux, les vitres embuées. Un courant d’air froid passait parfois entre les battants mal ajustés de la porte d’entrée, soulevant le coin d’un tapis élimé. L’homme, lui, ne bronchait pas. Il était arrivé en avance et attendait, son téléphone entre les mains. L’observant, je ne savais pas exactement ce que j’étais venu chercher. Un visage connu, sans doute. Une voix qu’on n’avait pas entendue depuis longtemps. Face à moi, l’ancien capitaine des All Blacks n’avait d’ailleurs pas vraiment changé. Ou alors juste ce qu’il faut. Il se dégageait toujours de lui cette autorité tacite mais il était certainement plus mince. Plus sec. Pas la minceur d’un homme qui décline, non. Celle d’un autre corps, d’une autre vie. La première poignée de mains échangée, le passé s’est aussitôt glissé entre nous comme un troisième convive. Je me suis souvenu de lui sur le terrain. De cette impression d’injustice mêlée d’admiration qu’il provoquait alors chez nous tous. « Je ne suis pas alcoolique, jurait-on à l’époque. Je ne bois que lorsque Richie McCaw est hors-jeu. » On l’a souvent appelé tricheur, oui. Mais le genre de tricheur que l’on respecte. Comme on respecte les bandits qui ne se font jamais attraper, en somme.

Ce matin-là, Richie nous apprit déjà qu’il avait un nouveau passe-temps : les courses d’endurance. Des choses longues, sans ligne d’arrivée nette. « J’ai, par exemple, participé à la Kathmandu Race, un raid de 250 kilomètres reliant la mer de Tasman à l’océan Pacifique : footing, kayak, vélo. J’ai aussi fait la Godzone, une course longue de 650 kilomètres, au cœur de la Nouvelle-Zélande. Tu dors où tu peux, deux ou trois heures, le plus souvent sous un arbre. Puis tu repars. Avec mon équipe, nous avons, l’an passé, terminé deuxième… un jour et demi après les champions. » Je l’écoutais parler et en moi défilaient les visages de ceux qui l’avaient affronté, haï, puis respecté. Imanol Harinordoquy me l’avait dit comme ça : « Il est un grand champion, pas un tricheur. McCaw est un caméléon : il s’adapte simplement à la règle et ses évolutions. » Et d’ajouter, presque à contrecœur : « En 2011, on a bien essayé de le faire charger. Mais il encaisse bien, le bougre. Tu as beau lui marcher sur la tête… » Il en ressortait toujours intact, lavé, presque béni, sous le regard impassible, ou bienveillant peut-être, des arbitres du circuit international. Pascal Papé, lui aussi, avait un jour confié : « McCaw m’énerve autant que je le respecte. A-t-il délibérément agressé Morgan (Parra, N.D.L.R.) en finale en 2011 ? Les Blacks ont-ils gagné grâce à ça ? Vous le pensez et je suis pas loin d’avoir le même avis. » Ce vendredi-là, Richie, lui, ne confirmait ni n’infirmait rien. Il éclata juste de rire, au moment où on lui demanda si les gens l’appelaient « sir » en son île. Car ça se pourrait, remarquez. Déjà, parce que son titre est réel. Et puis, parce que McCaw est à ce point proche de la famille royale qu’il était présent dans l’abbaye de Westminster, lorsque Charles fut couronné. « Oui, concède-t-il dans un sourire. Et c’était plutôt cool. »

Le couronnement du roi Charles

À ce sujet, Richie McCaw n’avait rien dit. Pas un mot. Pas même un SMS à ses vieux potes de Christchurch. Et puis, un jour, ils l’ont tous vu, flotter parmi les chefs d’État et les aristocrates amidonnés. « Les gens regardaient probablement leur télévision en se demandant ce que je faisais là », nous lance-t-il maintenant, mi-amusé, mi-sidéré. « Mon grand-père, poursuit-il, a combattu pendant la guerre et il parlait souvent de la grande valeur de la reine Elizabeth. Il aurait été stupéfait de me voir au couronnement de son fils, le roi Charles. » Alors il y est allé. Arrivé à Londres, Richie McCaw a recherché sur Internet le code vestimentaire – smoking, gilet, pantalon rayé – parce qu’à l’inverse de Charles ou Camilla, lui a grandi dans une ferme, pas dans un dressing victorien. « Je me suis dit qu’il y avait peu de chances que je porte à nouveau le costume, alors je suis allé en louer un. […] À la cérémonie, tous les chefs d’État déambulaient autour de moi et je me disais : « Lui, c’est le président français. Là, c’est le Premier ministre britannique. » Tous ces types se serraient dans la salle, parlaient de choses importantes et puis, au milieu, il y avait moi, un foutu rugbyman néo-zélandais. » Il a pourtant gardé l’invitation. Pas pour se la raconter mais parce que parfois, même les légendes ont besoin de preuves.

C’est que Richie est un homme occupé, voyez-vous. Pas seulement parce qu’on le démarche. Mais aussi parce qu’il se propose. En 2016, soit quelques mois après avoir raccroché les crampons, il a ainsi participé, avec les secouristes de Urban Search and Rescue (Recherche et sauvetage en milieu urbain), à une opération d’envergure, le jour du tremblement de terre ayant détruit la ville de Kaïkoura. « Une maison s’était effondrée, poursuit-il. Des gens étaient coincés à l’intérieur et je suis intervenu à bord d’un hélicoptère que je pilotais. Ce soir-là, un homme a malheureusement perdu la vie mais nous avons pu conduire le reste de sa famille à l’hôpital le plus proche. […] Les jours suivants, les routes étaient toujours anéanties : alors, nous avons continué à évacuer en hélico des touristes coincés sur zone : je me suis senti utile et c’était fort, comme sentiment. » Pour préciser sa pensée, il ajoute : « En 2011, après le terrible séisme de Christchurch, nous avions aidé les victimes avec les Crusaders et les All Blacks. Mais pas directement. On avait surtout fait des relations publiques, des trucs comme ça, vous voyez. » On lui demande alors si, quatorze ans après le drame, Christchurch a désormais retrouvé son allure d’antan. Il répond du tac au tac : « Notre ville redevient belle, oui. Mais la puissance du séisme a été telle que le travail, derrière, fut très long. » Il suspend sa phrase, se fige.

En lui, un souvenir jaillit : « Tous les habitants de Christchurch se rappellent où ils étaient, le jour du tremblement de terre. Moi, je mangeais des sushis avec mon copain Kieran Read, dans un centre commercial. Au moment du séisme, la table s’est renversée sur nous. Au supermarché d’en face, les rayons s’effondraient les uns après les autres, comme des dominos. Voir ma ville dans cet état-là m’a brisé le cœur. » De fait, Richie McCaw aime à tel point son île qu’il n’a jamais voulu céder aux sirènes du Top 14 et de l’exil. « Je ne m’y suis jamais intéressé jusqu’au point d’étudier le montant des propositions : ça m’aurait peut-être fait perdre les pédales… Des clubs du sud de la France ont insisté, pourtant. Mais je n’ai jamais entrouvert la porte. Je ne me voyais pas partir à 18 000 kilomètres pour faire exactement la même chose que chez moi. »

Son cinquième métatarse ? Secret défense…

Est-ce vraiment surprenant, de la part d’un homme ayant en un sens donné son corps à la Nouvelle-Zélande ? « J’ai disputé la finale de 2011 avec une fracture du cinquième métatarse, avoue-t-il à présent. L’extérieur de mon pied était brisé, littéralement. » Il n’en avait rien dit à l’époque. Ce n’était pas une posture héroïque, juste une nécessité. Il ajoute : « Je comprends que les Français aient pu être en colère (en raison de l’arbitrage de Craig Joubert) après ce match. Mais je vous rappelle qu’on avait ressenti la même chose en 2007, après le quart de finale perdu face aux Bleus à Cardiff. » Ce jour-là, le sélectionneur Graham Henry avait en effet recensé seize fautes d’arbitrage. « C’est ce qui est cool dans le rugby, enchaîne McCaw. Le facteur humain reste important. Ce n’est pas un sport de robots et c’est pour ça qu’on l’aime. » Lui ne rejouera plus, pourtant. Il le sait. Quand on lui parle de Ma’a Nonu, encore actif à 42 ans, il secoue la tête. « Je ne sais pas comment fait Ma’a. Les mecs d’aujourd’hui me semblent encore plus rapides et costauds qu’à mon époque. […] Je n’ai aucun regret par rapport à ma fin de carrière. J’ai arrêté le rugby sur un titre de champion du monde. » Il dit ne pas avoir besoin d’autre chose. Peut-être parce qu’il avait déjà tout écrit, très tôt, sur un bout de papier froissé, dans un restaurant de Christchurch. Son oncle lui avait ce matin-là demandé d’y tracer les grandes lignes de son avenir. Il y avait noté : Baby Blacks ; Crusaders ; All Blacks. « Et après ? » avait demandé son oncle. Richie avait réfléchi. Puis il avait ajouté trois lettres : GAB. Pour « Grand All Black ». Il n’a rien eu à raturer depuis.

Digest :

Né le : 31 décembre 1980 à Oamaru (Pays ou département)

Poste : troisième ligne aile

Clubs successifs : Kurow RC (1987-1994), RCOtago Boys HS (1994-1998), Canterbury (1999-2015), Crusaders (2001-2015)

Sélections nationales : 148, en équipe de Nouvelle-Zélande (2001-2015)

1er match en sélection : à Dublin, le 17 novembre 2001, Irlande – Nouvelle-Zélande (29-40), élu homme du match

Points en sélection : 135 (27 essais)

Palmarès : champion du monde (2011, 2015), vainqueur du Tri-Nations (2002, 2003, 2005, 2006, 2007, 2008, 2010), vainqueur du Rugby Championship (2012, 2013, 2014), vainqueur du Super Rugby (2000, 2002, 2005, 2006, 2008), vainqueur du NPC (2001, 2004, 2008, 2009, 2010), champion du monde moins de 19 ans (1998), élu meilleur joueur du monde (2006, 2009, 2010)