Par
Antoine Blanchet
Publié le
8 juil. 2025 à 19h32
Les sirènes aux abords du TJ, chantent encore la même mélodie. Ces derniers jours, un conflit indirect se joue autour du tribunal de Paris, dans le 17ᵉ arrondissement. D’un côté, des riverains excédés. De l’autre, des professionnels de la justice scandalisés. La cause : les nuisances sonores que généreraient les convois pénitentiaires. Vendredi 4 juillet 2025, le ministre de la Justice Gérald Darmanin s’est engagé auprès de la municipalité à privilégier la visioconférence. Une annonce qui fait bondir. De joie et de colère.
« Mon corps restait en alerte »
Pour les riverains de la porte de Clichy, le chant des sirènes n’a rien d’envoûtant. De 2018 à 2024, Amina a vécu dans la rue Rostropovitch, à quelques pâtés de maison de l’usine à procès de 38 étages, inaugurée en 2019. « Pendant toutes ces années, j’ai été confrontée à un bruit de fond constant : les sirènes. Jour et nuit. Même à une heure du matin. C’était devenu une sorte de normalité, un bruit auquel je pensais m’être habituée », relate l’ex-riveraine. Cette dernière parle même de conséquences sur sa santé : « Je dormais, oui. Mais je ne me reposais pas. Mon corps restait en alerte ».
Le voisinage un peu plus lointain est tout aussi concerné par le bruit. Comme Alix, qui vit porte d’Asnières : « C’est infernal. Les embouteillages, le bruit des sirènes, des ambulances, des convois, des voitures de police, nous n’avons pas de moments de répit. Impossible d’écouter de la musique, la télé, de se concentrer sur un travail ». Même chose de l’autre côté du périphérique. « Les convois pénitentiaires sont super dangereux outre les sirènes. Ils conduisent dangereusement et ça génère des bouchons énormes », fustige Béatrice, qui vit de l’autre côté du périphérique à Clichy (Hauts-de-Seine).
De réels dommages sur la santé
En dehors de l’agacement, ces sirènes peuvent causer de réels problèmes sur la santé, affirme le maire de l’arrondissement Geoffroy Boulard : « Le rapport Bruitparif est clair sur les conséquences graves sur la santé publique. Ils peuvent générer du stress, des troubles du sommeil ou encore des troubles cardiovasculaires. Près du tribunal, il y a 90 sirènes par jour, dont 72 % sont liées aux convois pénitentiaires ». Selon l’édile, le renforcement des escortes après l’attaque au péage d’Incarville en mai 2024 aurait augmenté les nuisances.
Une atteinte aux droits fondamentaux
Face à ces plaintes, le maire a sollicité le ministre de la Justice Gérald Darmanin. L’objectif de la demande : privilégier les entretiens à distance entre juges et détenus. « Quand elle est possible, la visioconférence doit devenir la norme. C’est un gain de tranquillité pour les habitants, sans perte d’efficacité pour la justice », a indiqué l’édile dans un communiqué. Si le ministre s’est engagé à « rappeler aux procureurs et aux présidents de tribunaux l’importance de la visioconférence », aucune mesure concrète ne semble avoir été mise en place pour le moment.
Après la publication de ce communiqué, on a ri jaune chez les toges noires. « Nous souhaitons une bonne nuit aux habitants du 17ᵉ arrondissement, rappelant que la mise en sourdine d’un droit constitutionnellement consacré devrait être le cauchemar de tout citoyen..», a réagi sur X l’Association des avocats pénalistes (ADAP). D’autres membres du barreau parisien ont aussi fustigé cette décision. « L’exercice des droits fondamentaux n’est pas là pour faciliter la vie des habitants du 17ᵉ arrondissement. Il n’est pas là pour être confortable », a dénoncé Me Daniel Lévy sur les réseaux sociaux.
« Une déshumanisation de la Justice »
L’idée de ranger les gyrophares et dégainer les webcams n’est pas nouvelle dans le milieu judiciaire. La question s’était déjà posée au moment du covid, et plus récemment après l’attaque d’Incarville. Pourtant, cette pratique est vigoureusement dénoncée par les professionnels. « Ça pose de vrais problèmes et entraîne une déshumanisation de la Justice », dénonce Jean-Claude Mas, directeur de l’Observatoire international des prisons (OIP).
Pour ce dernier, l’utilisation de la visioconférence lors des différentes étapes de la procédure pénale porte atteinte aux droits fondamentaux de la défense : « Il y a un problème important pour la localisation de l’avocat. De quel côté de l’écran doit-il être ? Avec le détenu ou avec le juge ? L’autre enjeu, c’est l’écoute. Il peut être difficile pour un détenu de suivre l’audience depuis la prison. Plusieurs nous ont dit avoir eu l’impression d’être simples spectateurs ». La sirène d’alarme tirée par les professionnels du droit sera-t-elle entendue des riverains ?
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