Faire de la France la première destination œnotouristique européenne d’ici à 2030, telle est l’ambition affichée le 16 juin par Nathalie Delattre, ministre déléguée au Tourisme. Un objectif plus que raisonnable, puisque l’Hexagone pourrait bien déjà l’être. L’appréciation des données chiffrées se révèle en effet très délicate. L’Italie, l’actuel leader avec 15 millions de visiteurs annoncés, semble mélanger allégrement l’attrait de ses vignobles et celui… de sa gastronomie.
De plus, si la dernière étude d’Atout France, sur laquelle repose la feuille de route de la ministre, recense dans l’Hexagone 12 millions d’œnotouristes en 2023 (soit une progression de 20 % depuis 2016), l’agence précise en note de bas de page que ce nombre est « certainement sous-estimé en raison de la méthodologie adoptée », notamment en Gironde, zone de production la plus attractive (2,5 millions). Une performance qui traduit le formidable effort entrepris depuis dix ans par la filière sur les deux rives de la Garonne pour promouvoir l’image des vins de Bordeaux. L’offre se renouvelle et se professionnalise constamment.
Un effet « Cité du vin » sur toute la région
C’est que le succès populaire de la splendide Cité du vin, érigée sur le port de la Lune en 2016, a suscité bien des vocations. « Une véritable pompe aspirante pour le vignoble », constate Christophe Château, directeur de la communication du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux. L’étrange édifice en forme de carafe à décanter accueille chaque année pas moins de 400 000 visiteurs, dont 60 % d’étrangers. « Cela a constitué un vrai déclic, témoigne Marie-Hélène Yung-Théron, du Château de Portets, dans les Graves. Je suis allée voir ce qui se pratiquait ailleurs et me suis lancée ! » A l’époque, Saint-Emilion, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, et dans une moindre mesure le Médoc, se taillaient la part du lion.
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Quelques phares brillaient bien du côté de Pessac-Léognan, tel le précurseur Château Smith Haut Lafitte et ses Sources de Caudalie, palace posé au milieu des vignes, mais les autres terroirs du Sud Gironde (Graves et Sauternes) restaient ignorés des circuits. Aujourd’hui, fort de son architecture Renaissance et de son panorama unique sur le fleuve, Portets accueille 3 000 visiteurs. « Cette année s’annonce en nette progression, précise l’entreprenante vigneronne. Nous avons reçu 336 personnes en mai contre 250 en 2024. »
De quoi conforter un pari qui se révèle avant tout économique. « Dans le contexte actuel de crise viticole, ceux qui choisissent l’œnotourisme s’en sortent généralement mieux », observe Christophe Château. « Cela nous apporte un souffle d’air et nous permet de développer la marque », renchérit Marie-Hélène Yung-Théron. Au-delà d’un simple complément de recettes (visites thématiques, chambres et table d’hôtes, ateliers de dégustation, produits dérivés…), l’exercice représente pour les vignerons une excellente manière de diffuser leur vin sans rémunérer d’intermédiaire.
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« L’activité pèse 20 % dans notre chiffre d’affaires, confie Caroline Perromat, du Château de Cérons, vice-présidente de Vignobles et Découvertes – 150 caves ont décroché le label en Gironde. Ce résultat est lié aux récents investissements que la pionnière de l’œnotourisme a réalisés. L’initiatrice du Voyage de Cérons – le programme des propositions du domaine – insiste sur la dimension écoresponsable qui doit empreindre la démarche. Notamment la préservation des paysages : « Nous avons renaturé l’ancienne carrière de la propriété en y cultivant des arbres fruitiers et des couverts végétaux pour nos vignes, sur lesquelles veillent 50 ruches. » Les visiteurs suivent le sentier qu’empruntait jadis le vin avant de rejoindre Bordeaux en gabare [NDLR : bâteau destiné au transport de marchandises]. Un tunnel de pierre débouche sur un champ de tournesols qui s’ouvre sur un carrelet au bord de la Garonne. Effet « whaou ! » garanti ! Comme à l’issue de la dégustation, qui, comme partout, conclut l’expérience.
Démarche écoresponsable et ludique
Donner à voir le patrimoine architectural et viticole, mais aussi végétal, devient indispensable : « Notre pique-nique sous l’ombre des cèdres centenaires du parc suscite l’enthousiasme des familles », témoigne Marie-Hélène Yung-Théron. « L’expérience nature attire une nouvelle clientèle pas forcément amatrice de vin », remarque Frédéric Nau, fondateur de La Bulle verte, éco-station de services bien implantée en Gironde et conçue autour des mobilités douces – vélo électrique, trottinette… « En un mot, tout ce qui n’est pas thermique », résume ce partisan de l’exploration tranquille. Pour lui, les visiteurs désirent qu’on leur raconte l’histoire des lieux et des acteurs, qu’on les aide à décrypter le terroir pour mieux comprendre ce qu’il y a dans la bouteille : « Concilier de la géographie et de l’humain ; l’incarnation du vin se révèle essentielle pour fidéliser les acheteurs, qui deviennent les ambassadeurs du domaine. »
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Le phénomène croît donc en apportant à la fois du sens, à travers une démarche écoresponsable, mais aussi du ludique et de l’épicurisme. Jeux de piste et escape game se multiplient dans les caves et les vignes bordelaises. Côté gourmand, on ne compte plus les créations de tables au sein des propriétés. Comme l’élégant restaurant Au Marquis de Terme, à Margaux, où le renommé chef rochelais Grégory Coutanceau signe une carte moderne et fraîche, à l’instar du talentueux cuisinier étoilé David Charrier au piano des Belles Perdrix de Troplong Mondot, à Saint-Emilion. De même, à Pauillac, l’incroyable rénovation du hameau de Bages par la famille Cazes, du Château Lynch-Bages, s’articule autour d’un hôtel-restaurant de prestige, d’une auberge de village chaleureuse et du nouveau chai du cru classé dessiné par l’architecte américain Chien Chung Pei.
Autant d’initiatives, tant pédagogiques que vigneronnes, qui nous rappellent combien le vin est avant tout un bien culturel précieux, source insondable de découvertes des cinq sens.
Maison Cardinale : une winery à la française, créative et poétique
Les vignes, plus belle pièce de la maison… C’est dans cet esprit que Maison Cardinale, réunion de deux grands crus de Saint-Emilion (Fleur Cardinale et Croix Cardinale), ouvre grand ses portes et… ses fenêtres, pour jouir du paysage cultivé au peigne fin. Cette winery résolument contemporaine, tout en vitres et terrasses, fait corps avec son environnement. Car ici, le patrimoine se révèle végétal. Et artistique. L’âme Cardinale flotte entre nature et culture.
La famille Decoster est arrivée dans le monde du vin en 2001 après plusieurs décennies à la tête de la manufacture de porcelaine Haviland, à Limoges. Allégée du poids des traditions viticoles, elle se tourne résolument vers l’avenir avec le goût de la création et de l’excellence à la française.
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La famille Decoster est arrivée dans le monde du vin en 2001 après plusieurs décennies à la tête de la manufacture de porcelaine Haviland, à Limoges.
/ © Maison Cardinale
Six expériences immersives, du format familial au safari-photo, un polaroïd à la main dans le vignoble, réinventent la visite de chais et l’exercice de la dégustation. Au croisement des sens et des émotions, leurs flacons dialoguent avec des passions éclectiques, la musique, les arts de la table ou la photographie. La formule Secrète plonge les visiteurs dans les arcanes du domaine et l’intensité des vendanges sous un casque de réalité virtuelle. La Mélodique utilise le langage de la musique et le répertoire du rock, en fond sonore, pour toucher « des oreilles » certaines notions comme la structure, le millésime ou les tanins. Tandis que l’Extraordinaire se déroule dans la salle à manger autour d’une table préparée « à la française » : nappe, serviette, argenterie, porcelaine… Mais ce raffiné dressage n’est pas que décoratif : les odeurs, les matières et les formes des objets (et délicates bouchées) déposés devant les convives contribuent à décrire les grands crus versés dans leurs verres. L.D.
Sur réservation, de 40 à 145 euros. Lamaisoncardinale.com
Troplong Mondot brille en vert
A côté de son macaron Michelin, la très contemporaine table Les Belles Perdrix de Troplong Mondot, implantée sur le point culminant de Saint-Emilion, arbore aussi une étoile verte. Cette dernière « récompense les restaurants et les chefs qui se montrent responsables de leurs normes éthiques et environnementales », explique le guide.
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/ © sdp
De quoi ravir David Charrier, cuisinier attaché à utiliser au maximum les produits du potager bio maison : 6 800 mètres carrés cultivés en permaculture, avec pour voisins des poules, des canards et deux cochons gascons à cul noir. Sous l’impulsion d’Aymeric de Gironde, l’avisé président du directoire, la préservation de la biodiversité constitue une priorité de ce mythique premier grand cru classé, où tout est mis en œuvre pour respecter le milieu naturel. P. B.
Entre-Deux-Mers
Et vogue la guinguette du Grand Verdus
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Les Le Grix de la Salle, des vignerons créatifs, ont une quinzaine de vins à faire goûter
/ © sdp
Des vignes, des lampions, quelques tables posées sur la pelouse et, chaque vendredi soir de l’été, s’anime la guinguette du Grand Verdus, pour un coucher de soleil en musique autour d’un guitariste solo, duo rock ou jazz-band. Pas de chichis : service au bar, tapas, grillades au brasero, parfois. Les Le Grix de la Salle, des vignerons créatifs, ont une quinzaine de vins à faire goûter : des rouges, des blancs, des rosés, des cuvées « Divergentes » (nature, orange, solera, monocépage…) et des pépites « Parcellaires ». Et même des bulles, avec leur excellent Pet Nat (pétillant naturel). www.chateaulegrandverdus.com
Sadirac, sur réservation. Entrée : 5 euros.
Médoc
Sénéjac, chambres au château
« Une des résidences les plus agréables du Médoc », rapportait le guide des vins Féret, à la fin du XIXe siècle. Le commentaire redevient d’actualité après trois ans de rénovation du château Sénéjac par la famille Bignon – un bijou Renaissance aux portes de Bordeaux entre vignes, parc et étangs.
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Le château Sénéjac est un bijou Renaissance aux portes de Bordeaux entre vignes, parc et étangs.
/ © sdp
Cinq chambres d’hôtes font revivre la vie de château sous les boiseries et les tentures de soie, dans le velours et le cuir. Il y a une salle de billard pour se distraire et des salons pour ne rien faire, une terrasse pour le petit déjeuner et des visites du chai. Et des dégustations avec les vins de Château Talbot, l’autre propriété de la famille, grand cru classé de Saint-Julien.
Pian-Médoc, 07-56-42-21-73. A partir de 160 euros. www.senejac.com
Haut-Médoc
Wine Gaming : libérez la bouteille du Château Lamothe-Cissac
Rebelles par nature, les Fabre sont des vignerons à part dans le Haut-Médoc et à Margaux. Ils distribuent leurs vins hors négoce, ils ont planté des cépages hybrides résistants pour produire du vin blanc et ils vous proposent de venir libérer (et d’emporter) une bouteille de Château Lamothe-Cissac, prisonnière d’un « cryptex ». Dans cet escape game œnophile, il vous faudra résoudre des énigmes construites sur des jeux de dégustation.
Cissac-Médoc, , 05-56-59-58-16. De 3 à 6 joueurs (25 € par personne). www.domaines-fabre.fr
Graves et Sauternes
La route des vins bas carbone
Si l’Alsace a inventé la Route des Vins en 1953, Bordeaux a inauguré la version bas carbone : les appellations de Pessac-Léognan, Graves et Sauternes proposent des circuits thématiques à travers vignes à vélo électrique de châteaux en châteaux, dont certains sont équipés de bornes de recharge rapide pour rallier le prochain : Guiraud ? Doisy-Daëne ? Sigalas-Rabaud ? Carbonnieux ? De nombreuses activités – balades, pique-niques, visites de chai, dégustations – s’offrent dans ces « bulles vertes » et autour, à la Brède chez Montesquieu, ou à la réserve géologique de Saucats.
www.bordeaux-graves-sauternes.com