Vingt-et-une saisons et demie. Voilà quelle aura été la durée du règne de Christian Horner à la tête de l’écurie Red Bull en Formule 1. L’annonce de son éviction, et de son remplacement immédiat par Laurent Mekies – une application pratique de la non-vacance du pouvoir, en mode « le roi est mort, vive le roi » -, aura pris beaucoup de monde de court.
Toutefois, les graines de cette fin abrupte à l’une des collaborations les plus fructueuses de la F1 moderne ont été semées tout au long de ces 18 derniers mois. Le paradoxe ultime est que cette lente tombée en disgrâce du manager le plus capé de la grille actuelle a débuté alors qu’il semblait au sommet de son art. Anatomie d’une chute.
Au sommet de son art en 2023
Christian Horner et l’ensemble de l’équipe Red Bull au moment de fêter le titre pilote de Max Verstappen au GP du Qatar 2023.
Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images
À la tête de Red Bull depuis 2005, Horner a participé à bâtir l’un des constructeurs majeurs des 20 dernières années, faisant même entrer la marque « vendeuse de canettes » dans le cercle des structures les plus victorieuses de l’histoire du championnat du monde. Une entreprise qui aura accouché de deux périodes fastes : les « années Vettel », de 2010 à 2013, qui ont été toutefois moins dominatrices que beaucoup l’ont dit par la suite, et les années Verstappen, de 2021 à – pour l’instant – 2024.
Cette seconde phase a aussi marqué une domination relative, mais la saison 2023 a illustré comme rarement une telle symbiose entre toutes les composantes de la performance qu’il s’en est fallu d’une seule course pour que Red Bull n’en remporte pas tous les Grands Prix. Une campagne marquée par des records de domination encore jamais atteints, à en dégoûter la concurrence et une partie du public tant la maîtrise était totale et les résultats implacables.
Au sortir de la saison 2023, le triumvirat Red Bull-Verstappen-Horner semblait avoir la mainmise sur la discipline, au moins pour les deux saisons suivantes, tant la maîtrise de la réglementation actuelle paraissait grande et l’équipe au maximum dans la plupart des domaines. Et même les polémiques, à commencer par celle du dépassement du plafond budgétaire 2021 qui a pollué une partie de la fin de campagne 2022, ou bien les coups durs, comme le décès du cofondateur de la marque Dietrich Mateschitz, ne semblaient pas avoir d’impact ou de prises.
« L’affaire Horner » : le début de la chute
En pleine tempête de l’affaire Horner, Red Bull gagnait sur la piste mais se déchirait en dehors.
Photo de: Zak Mauger / Motorsport Images
Après l’hibernation habituelle de l’intersaison, alors que le monde de la F1 vivait début février 2024 un tremblement de terre lié à l’annonce du futur passage de Lewis Hamilton chez Ferrari, les premières rumeurs faisaient état d’une situation trouble pour Horner. Ce dernier était en effet soupçonné d’avoir eu un comportement inapproprié envers l’une de ses employées et une enquête interne fut lancée pour tenter de tirer la situation au clair. Il s’agissait alors du premier grain de sable dans la machine.
En interne, Horner fut blanchi, mais des fuites de documents et d’images orchestrées par une tierce partie ont alimenté une chronique déjà bien chargée. Cette affaire révélait surtout au grand jour la scission entre les deux clans de Red Bull, qui avait largement été contenue par Dietrich Mateschitz jusqu’à son décès en 2022. À partir de là, il était clair que la partie « écurie » menée par Horner, avec le soutien des investisseurs thaïlandais, s’opposait à la partie « entreprise », plutôt menée par Helmut Marko et le clan autrichien.
Dans le cadre de cette lutte de pouvoir, la situation a – en début de saison 2024 et alors même que Red Bull écrasait encore la compétition en piste – semblé parfois pencher en faveur de l’un ou de l’autre, le clan Verstappen ne manquant alors pas d’intervenir pour souffler le chaud et le froid, tout en se rangeant finalement derrière la stabilité pour justifier un statu quo. Mais, forcément, les choses n’étaient plus comme avant et le plus dur restait à venir…
Les dossiers se multiplient : le milieu de la chute
Le départ d’Adrian Newey, symbole du malaise interne chez Red Bull.
Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images
Au-delà des remous de l’affaire Horner dans les semaines qui ont suivi sa révélation, les choses allaient progressivement se déliter sur le plan sportif. La RB20, qui avait permis à l’équipe de signer quatre victoires et trois doublés sur les cinq premiers GP de la saison, allait soudainement perdre le fil. Les problèmes aérodynamiques et d’équilibre – d’abord plutôt maîtrisés – allaient progressivement s’installer et parfois devenir hors de contrôle, au moment où la concurrence, principalement emmenée par McLaren, allait au contraire enclencher sa dynamique.
Et alors que l’on semblait sortir, pour Horner, d’une affaire qui avait pollué le début de saison, d’aucuns estimant qu’il fallait désormais en finir avec les querelles internes dans l’intérêt supérieur de l’écurie, il a fallu gérer un nouveau problème, de taille : le départ d’Adrian Newey. Élément fondamental des succès de l’écurie en sa qualité de directeur technique, le technicien britannique a estimé autour du mois de mai qu’il ne « pouvait pas rester » chez Red Bull. Un départ majeur, que d’aucuns ont vite fait correspondre aux difficultés sportives de l’écurie, qui traduisait un malaise palpable au sein de la structure.
Comme pour mieux appuyer cela, quelques mois plus tard, c’est Jonathan Wheatley, directeur sportif historique de l’équipe, qui allait lui aussi décider de faire ses bagages, dans une structure qui a aussi enregistré les départs de Will Courtenay (responsable stratégie), Rob Marshall (ingénieur en chef) ou Lee Stevenson (chef mécanicien de Max Verstappen).
L’autre dossier qui a pollué une partie de 2024 fut la gestion du cas Sergio Pérez. Après un début de campagne convenable, le Mexicain a commencé à dévisser sur le plan de ses performances. Pourtant, début juin, il était reconduit pour deux saisons supplémentaires. Malgré ce choix fort, avec comme objectif de sécuriser le pilote, jamais ce dernier ne parviendra à reprendre le dessus, au volant d’une voiture semblant aux antipodes de ses préférences.
En dépit de résultats toujours plus décevants et de prestations à la limite de la catastrophe, empêchant Red Bull de prétendre au titre constructeurs, Pérez sera soutenu par Horner jusqu’au moment où cela ne sera plus possible. Finalement, moins de six mois après la prolongation de leur contrat, Pérez et Red Bull se mettront d’accord pour se séparer, le Mexicain empochant au passage une importante somme d’argent.
2025 repart sur les mêmes bases : la fin de la chute
Christian Horner n’a pas survécu au début de saison 2025.
Photo de: Peter Fox / Getty Images
Malgré tout, Horner avait réussi à survive à la saison 2024, bien aidé par le quatrième sacre de Max Verstappen, dont les performances auront permis de résister au duo un peu tendre formé par McLaren et Lando Norris.
Mais 2025 ne marquait pas un nouveau départ : la RB21 reprenait quasiment là où sa devancière avait terminé, avec encore moins de performance à faire valoir face à une structure McLaren en ordre de bataille. La fragilité technique de Red Bull, et notamment ses problèmes d’installations, a été confirmée, pas forcément le meilleur des présage alors que l’écurie a décidé de se lancer dans la conception et la fabrication – avec l’aide de Ford – de moteurs maison à compter de 2026.
Sur le plan des performances, même si quelques épreuves ont été meilleures que d’autres, Verstappen n’a réussi à remporter que deux courses sur les 12 Grands Prix de la première moitié de saison, le Néerlandais était d’ores et déjà relégué à 69 points du leader du championnat, Oscar Piastri. Un écart qui ne rend pas la victoire finale inéluctable avec le même nombre d’épreuves à disputer d’ici la fin de saison, mais la nécessité de basculer l’attention vers 2026 fait que le temps presse pour une écurie qui peine depuis plus d’un an à inverser la tendance.
Côté deuxième pilote, là encore la gestion aura été largement pointée du doigt, pour des résultats très discutables. Liam Lawson fut intronisé comme remplaçant de Pérez mais n’a eu le droit qu’à deux Grands Prix sur des circuits qu’il découvrait avant d’être rétrogradé chez Racing Bulls. Son successeur, le pourtant plus expérimenté Yuki Tsunoda, n’a inscrit que sept points en dix courses…
Enfin, et c’est peut-être le dossier qui aura été le dernier clou dans le cercueil de Horner : l’avenir de Max Verstappen chez Red Bull, qui avait déjà été remis en question au plus fort de la crise liée à « l’affaire » début 2024, parasite désormais régulièrement la communication de l’écurie. Si le Néerlandais et son clan se gardent bien de tout commentaire, rien n’est fait pour totalement mettre fin aux rumeurs l’envoyant notamment chez Mercedes. Reste à savoir où en sont aujourd’hui les discussions et si cela a un lien direct avec l’annonce d’aujourd’hui…
Dans tous les cas, face à ce contexte et sans résultats pour se sauver, Christian Horner a visiblement perdu les derniers soutiens qui pouvaient encore garantir sa place. En dépit de ses succès passés, en dépit aussi d’une situation sportive qui n’est somme toute pas totalement catastrophique – l’écurie a connu pire dans ses deux décennies d’histoire -, le Britannique paie le lent déclin de Red Bull et la multitude de dossiers qui ont émaillé les 18 derniers mois de son règne.
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