Depuis des décennies,
l’image populaire des dinosaures bipèdes, comme les célèbres
théropodes — Velociraptor, Tyrannosaurus rex ou Compsognathus — est
celle de créatures rapides, presque supersoniques, capables de
filer à plus de 60 km/h pour chasser leurs proies ou fuir un
danger. Cette idée, profondément ancrée dans notre imagination
collective et même dans les films, est pourtant sur le point d’être
remise en question. Une récente étude menée par une équipe de
chercheurs de l’Université John Moores de Liverpool (Royaume-Uni)
jette un éclairage nouveau et déroutant sur la véritable vitesse de
ces dinosaures disparus depuis des millions d’années.
Des empreintes fossiles
trompeuses ?
Jusqu’à présent, les
paléontologues ont beaucoup appris sur la locomotion des dinosaures
grâce aux empreintes fossilisées
retrouvées un peu partout dans le monde. Ces traces laissées dans
la boue ou le sol humide ont permis de reconstituer non seulement
leur morphologie mais aussi leur manière de marcher et de courir.
Pour estimer leur vitesse, la méthode la plus utilisée depuis 1976
est la formule élaborée par le zoologiste britannique R. McNeill
Alexander. Cette formule s’appuie sur la longueur des foulées, la
hauteur des hanches, et un facteur d’échelle issu d’observations
sur des animaux vivants, pour en déduire la vitesse à laquelle un
dinosaure se déplaçait au moment de laisser ces empreintes.
Cette approche a révolutionné
notre compréhension des dinosaures, en les faisant passer de
simples squelettes figés dans les musées à des êtres dynamiques
capables de s’animer dans notre esprit. Grâce à cette méthode, on
s’est imaginé ces créatures bondissant à toute vitesse, en chasse
effrénée ou en pleine migration.
Mais… si tout cela était faux
?
La nouvelle étude menée par
les chercheurs britanniques remet en question cette vision. En
effet, l’équation d’Alexander, aussi élégante soit-elle, repose sur
une hypothèse importante : que les empreintes ont été laissées sur
un sol dur, sec ou sur un tapis roulant parfait, conditions idéales
où la foulée n’est pas déformée.
Or, les empreintes fossiles
proviennent généralement de sols meubles, souvent boueux, qui
déforment et allongent les traces. Cette déformation peut donner
l’impression que l’animal avançait plus vite qu’il ne le faisait
réellement. En d’autres termes, nos dinosaures étaient probablement
moins rapides que ce que les calculs traditionnels nous
indiquent.
La pintade, un petit oiseau
pour une grande découverte
Pour tester cette hypothèse,
les chercheurs ont observé des pintades de Numidie (Numida
meleagris), des oiseaux bipèdes qui ressemblent beaucoup, par leur
morphologie et leur locomotion, aux petits théropodes. Ces pintades
ont été filmées à haute vitesse alors qu’elles marchaient et
couraient sur des boues de consistance variable, similaires aux
sols dans lesquels les dinosaures ont laissé leurs empreintes.
Ils ont ensuite numérisé et
analysé ces traces, puis comparé les vitesses réelles mesurées à
celles calculées avec la formule d’Alexander. Le résultat est sans
appel : l’équation surestime souvent la vitesse, parfois jusqu’à
4,7 fois la vitesse réelle !
Par exemple, une pintade se
déplaçant lentement à environ 1 km/h pourrait voir sa vitesse
estimée à 4,7 km/h selon la formule classique. Appliquée à un
dinosaure beaucoup plus grand, cela signifie qu’une marche
tranquille de 4 km/h pourrait être interprétée comme une course
rapide de presque 19 km/h.
Quelles conséquences pour
notre vision des dinosaures ?
Ces résultats ont des
implications majeures pour la paléontologie et notre compréhension
du comportement des dinosaures. Premièrement, certaines traces
interprétées comme des courses effrénées pourraient n’indiquer que
de simples marches. À l’inverse, certaines courses pourraient ne
pas avoir laissé d’empreintes suffisamment claires pour être
détectées, faussant notre vision des capacités locomotrices
réelles.
Cette étude incite aussi à
revoir la façon dont nous reconstituons des comportements
complexes, comme les poursuites prédateur-proie ou les longues
migrations, souvent basées sur des estimations de vitesse.
Un exemple frappant : le
fameux Tyrannosaurus rex, souvent décrit comme un coureur rapide
pouvant atteindre 27 à 29 km/h, pourrait en réalité avoir été plus
lent, préférant peut-être flâner ou trotter doucement.
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Crédits : Warpaintcobra/istockDes limites à prendre en
compte
Bien sûr, cette étude ne
prétend pas que les dinosaures n’ont jamais couru. Il existe un
consensus que certains théropodes pouvaient atteindre des vitesses
élevées. Mais les chercheurs soulignent que les modèles et formules
utilisés doivent être appliqués avec prudence, en tenant compte du
substrat sur lequel les empreintes ont été laissées.
Par ailleurs, il est possible
que la déformation soit moins importante pour les grands dinosaures
qui laissaient des traces plus superficielles, ou sur des sols plus
fermes comme le sable. Les chercheurs appellent donc à des études
plus poussées, couvrant diverses tailles de corps, types de sols et
morphologies de pieds, pour affiner nos estimations.
Une invitation à repenser
l’histoire
Cette recherche publiée dans
la revue Biology Letters ouvre une nouvelle voie
passionnante dans l’étude des dinosaures, en invitant scientifiques
et amateurs à repenser leurs idées reçues sur ces animaux
fascinants.
Elle rappelle que la science
évolue constamment, parfois en déjouant nos intuitions les plus
tenaces. En revisitant les traces du passé avec un regard plus
critique, nous pouvons non seulement mieux comprendre la vie
ancienne, mais aussi appréhender la complexité des données fossiles
et des méthodes utilisées.
À l’heure où les dinosaures
continuent de captiver l’imaginaire collectif, cette découverte
invite à imaginer ces créatures non pas comme des sprinteurs
acharnés, mais peut-être comme des marcheurs paisibles, évoluant
dans un monde ancien et complexe, où chaque trace raconte une
histoire plus nuancée qu’on ne le pensait.