La Cour des comptes dresse un constat sévère de l’état des routes nationales en Île-de-France. Alors que ce réseau, vital pour la circulation quotidienne de millions d’usagers, vieillit dangereusement, la gestion et les outils utilisés pour l’entretenir semblent appartenir à une époque révolue.
Chaque jour, plus de quatre millions d’usagers empruntent les routes nationales d’Île-de-France. Un réseau dense et stratégique, composé de rocades, de tunnels et d’échangeurs, qui est au cœur de la mobilité francilienne. Et qui, selon le rapport rendu mardi 24 juin 2025 par la Cour des comptes, est aussi le plus dégradé du pays. Un paradoxe d’autant plus inquiétant que ces infrastructures sont parmi les plus sollicitées, les plus complexes à entretenir et, de surcroît, les plus coûteuses à rénover. La direction régionale des routes, la DiRIF, en charge de ce réseau, ne dispose pas des outils nécessaires pour assurer une gestion moderne de ces infrastructures. La Cour pointe un certain nombre de lacunes dans une gestion qui semble appartenir au passé : absence de système unifié de maintenance assistée par ordinateur, archivage partiel des données et connaissance lacunaire du patrimoine. En 2025, un tel constat apparaît d’autant plus alarmant que la plupart des autres directions régionales des routes se sont dotées d’outils partagés, permettant un suivi centralisé de l’état du réseau. L’Île-de-France fait figure d’exception. Et pas dans le bon sens du terme.
Pas de planification, la culture de l’urgence
Plus préoccupant encore, la gestion actuelle repose largement sur une logique de réaction. Au lieu de privilégier un entretien régulier et planifié, les interventions sont souvent curatives, décidées dans l’urgence, à la suite d’un incident ou d’une alerte. On se souvient de l’effondrement d’un mur de soutènement du viaduc de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) sur l’A15 en 2018, ou de la fermeture précipitée de la montée de l’A13 avant le tunnel de Saint-Cloud en 2024, dans le même département. Dans les deux cas, les inspections antérieures n’avaient pas détecté les signes avant-coureurs. La DiRIF reconnaît aujourd’hui l’importance de ces alertes. Mais n’a pas repensé sa stratégie pour autant.
Un manque de budgetLa gestion des routes de l’Île-de-France est pointée du doigt, ne planifiant pas les entretiens mais agissant dans l’urgence. © Yayimages
Comment expliquer alors ce fonctionnement à flux tendu ? Selon la Cour des comptes, il s’explique aussi par une stagnation des moyens. Depuis dix ans, le budget d’entretien et d’exploitation de la DiRIF est resté stable – 170 millions d’euros, auxquels s’ajoutent en moyenne 120 millions d’euros pour la modernisation – malgré l’inflation, la hausse du trafic et l’usure accélérée des infrastructures. Pire encore, la région parisienne est restée à l’écart du plan de modernisation des routes lancé en 2017 au niveau national. Résultat : elle avance seule, sans vraie feuille de route ni objectifs à long terme. Et comme plusieurs services de l’État se partagent la responsabilité du réseau sans vraiment se coordonner, les décisions sont souvent prises de manière dispersée.
Moderniser la gestion pour moderniser les routes
Dans ce rapport, plusieurs recommandations sont faites par la Cour des comptes. Notamment sur le fait qu’il est urgent non seulement de rénover physiquement les chaussées et ouvrages d’art, mais aussi de repenser en profondeur la façon dont ce réseau est piloté. Modernisation des outils, meilleure collecte des données, alignement sur les pratiques des autres régions et gouvernance plus lisible, voilà quelques-unes des pistes à suivre. Et puis il y a la question humaine : le climat social à la DiRIF reste tendu, marqué par des grèves récurrentes, des tensions internes sur les rémunérations et une perte d’attractivité de certains métiers essentiels à l’exploitation du réseau. Il ne s’agit donc pas seulement d’investir davantage, mais aussi et surtout de changer de méthode. Car, pour éviter la prochaine fermeture inopinée d’un axe majeur, comme cela s’est produit déjà, il faudra accepter que la modernisation ne commence pas par l’enrobé, mais par la manière dont on décide où, quand et comment l’entretenir.