à Wellington, on est tombé sur Jane. Elle avait ce jour-là besoin de rencontrer Fabien Galthié. Voici pourquoi.
Elle attendait là, debout, presque figée, comme si elle avait peur que le moindre mouvement ne trahisse l’importance de ce moment. C’était un mercredi d’hiver banal à Wellington : gris, venteux, avec ces bourrasques qui donnent à la lumière une sorte de flou tremblant. Mais ce qu’il se passait au portail du Jerry Collins Stadium avait tout d’une scène sortie d’un autre temps. Son prénom était Jane. Elle venait de Nelson, dans l’île du Sud et, pour arriver jusqu’ici, avait traversé le détroit de Cook en ferry. Elle devait avoir une soixantaine d’années mais ce chiffre importait peu. Ce qui comptait, c’était ce qu’elle tenait dans les bras : deux ballons de cuir, usés mais magnifiques, comme deux objets trouvés dans un grenier de la mémoire collective. Ils portaient encore un lacet, vestige d’une époque où le rugby sentait le liniment, les terrains boueux et les tribunes en bois. Deux ballons comme on n’en fait plus. Deux ballons qui disaient : « J’ai traversé les années. Je suis encore là. »
Sur le premier, les signatures de vingt-quatre capitaines des All Blacks. Face à nous, elle les égrenait presque comme une prière : « Colin Meads, Tana Umaga, Richie McCaw, Stu Wilson, Taine Randell, Buck Shelford… » Il y avait dans sa voix cette chaleur tremblante des gens qui ont aimé les Tout Noir sans réserve. Le second ballon, lui, avait pour ambition de réunir sur sa peau tannée les plus grands joueurs du monde : le Sud-Africain Bryan Habana (2007), l’Irlandais Johnny Sexton (2018), les All Blacks Beauden Barrett (2016), Dan Carter (2012) ou Brodie Retallick (2014)… Tous étaient là, couchés sur le cuir, leur écriture serrée, effilée, nerveuse. Mais il lui manquait encore quelque chose. Quelque chose de majeur, majuscule, essentiel. « Fabien Galthié », avait-elle alors dit doucement. Le sélectionneur tricolore, élu meilleur joueur de la planète en 2002.
Une boîte de chocolats en cadeau
Jane avait un regard qui vous transperce. Pas par sa dureté mais par sa sincérité désarmante. Elle savait que ce jour serait peut-être sa seule chance. Alors, elle avait attendu. Une heure, puis deux. Le temps que l’entraînement des Bleus se termine. Dans les mains, elle tenait une boîte de chocolats et vers 13 heures, lorsque la fin de la séance a sonné, le sélectionneur national s’est approché. D’abord surpris, il a tout écouté de l’histoire de Jane, signé le ballon et grimpé dans le bus, désormais lesté de quelques grammes de cacao. La sexagénaire de Nelson, elle, lui a fait un signe de la main, rangé ses ballons dans un sac à dos bleu marine et quitté le stade. Elle ne courait pas, ne sautait pas de joie. Elle avait juste ce sourire discret, celui des gens qui viennent de refermer une parenthèse importante de leur vie. Une femme, deux ballons, une histoire cousue de cuir. C’était une scène minuscule, perdue dans un coin du monde. Mais on en a tout aimé.