Keven Mealamu – ex-talonneur des All Blacks. Aussi rare dans les médias qu’il était redoutable sur le terrain, nous avons retrouvé l’ex-All Black aux 132 sélections, Keven Mealamu. Aujourd’hui assureur et propriétaire d’une salle de sport à Auckland, ce monument vivant du rugby mondial évoque cette tournée des Bleus, ses souvenirs contre la France, ses All Blacks et son incroyable longévité…
S’il est un ex-international qui n’a pas le rayonnement médiatique de son immense carrière, c’est bien Keven Mealamu. Du haut de ses 132 sélections, de ses deux titres de champion du monde, ses six Tri Nations et ses trois Rugby Championship, l’ex-talonneur des Blues d’Auckland possède l’un des plus grands palmarès du rugby néo-zélandais et mondial. Pourtant, vous ne l’entendez jamais dans des podcasts d’experts, ni ne le voyez devant les caméras et encore moins dans les colonnes des journaux. En fait, Keven Mealamu est resté dans la droite ligne du joueur qu’il était : taiseux, discret, et accessoirement un gars délicieusement sympathique et délicat. Voilà qui tranche franchement avec son physique de videur d’une boîte de nuit d’Auckland Sud et sa gueule cassée de combattant de MMA. Nous avons pourtant retrouvé sa trace grâce à une connaissance commune, l’ancien troisième ligne d’Agen et de Biarritz Ueleni Fono. Alors, on s’est dit qu’en cette période de tournée néo-zélandaise, on allait prendre des nouvelles de ce monstre vivant du rugby néo-zélandais. Et l’on fut ravi d’apprendre qu’aujourd’hui, M. Mealamu est un retraité heureux à l’agenda rempli par sa boîte d’assurance, sa salle de sport et sa vie de famille, mais qui a tout de même pris une bonne heure pour échanger. En toute simplicité…
La tournée actuelle : « Toujours un match à part »
« Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas eu autant hâte d’assister à une tournée ! Il y a tellement d’histoire et d’héritage entre nos deux pays… Quand j’étais petit, je regardais déjà les Nouvelle-Zélande-France à la télévision et je rêvais d’en jouer un jour. Il y avait tous mes joueurs préférés sur le terrain : chez vous c’était Serge Blanco, pour les All Blacks c’était John Kirwan. Quand ils s’affrontaient enfin j’étais comme un fou devant le poste ! Mais honnêtement, les Bleus ne viennent pas assez souvent nous voir. Mais c’est aussi pour cette raison que ce sont des matchs vraiment à part pour nous. Car ils sont rares. J’aime aussi ces matchs parce que ce sont deux équipes qui jouent avec de l’instinct, qui sont imprévisibles. Avec vous, il peut toujours se passer quelque chose. Et les All Blacks ont des joueurs qui arrivent à transformer une micro-occasion en essai de cent mètres. Ces équipes jouent en fonction de ce qui se trouve devant elles, elles s’adaptent, tentent. Elles ne sont pas programmées comme l’Afrique du Sud, l’Irlande ou l’Angleterre. Avec les Sud-Africains, on connaissait la physionomie du match avant de le jouer : la guerre devant, et une charnière qui tapait au pied pour occuper. C’était prévisible, mais souvent sacrément douloureux… Pour en revenir au rugby français, j’aimerais suivre davantage le Top 14, mais les rencontres tombent toujours à des heures impossibles. J’ai eu de la chance de venir à la Coupe du monde en France en 2023, et j’ai pu voir évoluer des joueurs qui m’ont vraiment plu comme Peato Mauvaka, votre talonneur. J’adore sa façon de jouer, il est très dynamique balle en main et je suis déçu qu’il soit blessé. À mon sens, il incarne parfaitement la nouvelle génération de talonneurs, qui sont très actifs dans le jeu et habiles balle en main. Quand je le vois jouer, je me dis qu’il ferait même un bon premier centre… »
Keven Mealamu face à Sébastien Chabal en 2006 à Wellington
Christian Liewig / Icon Sport
Le groupe All Black : « Holland ? il est immense, n’est-ce pas ? »
« Les mecs à suivre dans ce groupe ? Je dirais le flanker Du’Plessis Kirifi. C’est le capitaine des Hurricanes, et un joueur très agressif et qui apporte beaucoup d’énergie quand il arrive sur le terrain. C’est un bon leader. Et derrière, je dirais Timoci Tavatavanawai, le capitaine des Highlanders. Ces deux joueurs ont une influence énorme sur leurs équipes respectives, d’autant que Tavatavanawai est performant avec les Highlanders depuis deux saisons alors que cette équipe peine à performer. Ensuite il faut citer le deuxième ligne Fabian Holland… Il est immense, n’est-ce pas ? Comme nous ne sommes pas un grand pays, c’est difficile pour nous de trouver des joueurs de ces dimensions. Mais on a vu que malgré son gabarit, il se déplace très bien, et enchaîne les tâches. C’est forcément un gars que l’on va suivre de très près. »
Sur le fait qu’il n’a jamais quitté le pays : « vivre loin de ma famille m’aurait été trop pénible »
« Ma famille a toujours été au centre de ma vie et une grande partie de qui je suis. Et je ne parle pas seulement de ma femme et de mes enfants, mais aussi de mes sœurs, mes parents, mes cousins… Je n’aurais jamais pu déplacer tout le monde, et vivre loin d’eux m’aurait été trop pénible. Donc les années ont passé et je suis resté au pays. Mais à chaque fois que j’ai voyagé dans l’hémisphère nord, je trouvais des endroits où je me disais qu’il devait être génial de vivre. Le pire, c’est que j’ai reçu une ou deux propositions de clubs français… Je ne me souviens même plus lesquels ! (rires) Elles étaient très intéressantes, mais encore une fois je ne me voyais pas m’éloigner de ma famille. Les années sont passées vite, même si j’ai prolongé ma carrière de joueur jusqu’à 36 ans. C’est là que je me suis réveillé et que je me suis dit qu’il était temps pour moi de m’en aller. J’avais envie de passer à l’étape suivante de ma vie. Avec tout ce que j’avais pu faire grâce au rugby, j’étais serein. Quand je regardais en arrière, je trouvais ça complètement dingue. »
Keven Mealamu a dirigé le Haka des All Blacks
PictureAlliance / Icon Sport – PictureAlliance / Icon Sport
Son incroyable longévité : « Brad Thorn a été mon modèle »
« J’ai réussi à durer avec pas mal de boulot et de rigueur. J’ai toujours pris soin de mon corps car je savais ce que je voulais accomplir sur les terrains. Et en sélection, j’ai eu la chance de rencontrer un mec qui venait du rugby à XIII et qui m’a montré comment on prenait soin de son corps. Ce mec, c’est Brad Thorn (ancien deuxième ligne avec qui il fut sacré champion du monde en 2011, N.D.L.R.), le plus grand professionnel que j’ai jamais croisé. Il prenait toujours le temps de s’étirer, il se déverrouillait le corps avant chaque séance, ne buvait pas une goutte d’alcool, faisait attention à tout ce qu’il mangeait… Bref, un vrai pro. Et quand tu as la chance de croiser des pros, ils t’apprennent plein de choses.
Brad m’a vraiment fait comprendre l’importance du stretching quotidien. C’est bien d’être fort, de faire de la musculation et tout le reste. Mais si tu ne bouges pas bien, ton corps va casser. Et même s’il ne casse pas, tu n’exploiteras pas correctement ta force. C’est d’autant plus vrai pour nous, les mecs du cinq de devant : on se retrouve dans des positions extrêmement contraignantes, avec des forces immenses qui s’appliquent à nous. On doit développer et entretenir notre souplesse, s’étirer et faire de la mobilité quotidiennement. Mais vous savez, les joueurs professionnels ne se comportent pas tous comme des professionnels. Brad Thorn en était un, et il a été mon modèle. »
Keven Mealamu a remporté la Coupe du monde avec les All Blacks
SPI / Icon Sport
L’après-carrière : « Je ne voulais pas devenir rond comme une barrique ! »
« Ce que je deviens ? Je travaille en famille ! J’ai deux affaires : je possède une salle de sport, et je travaille dans le domaine des assurances avec ma femme. Je m’entraîne encore quotidiennement car quand j’ai arrêté, d’anciens All Blacks m’ont conseillé de continuer à bouger. Et comme je ne voulais pas devenir rond comme une barrique, je les ai écoutés donc je commence toujours la journée par une bonne séance de sport. En revanche, je ne me vois pas devenir entraîneur. Cela dit, j’ai récemment pris des fonctions au sein de la fédération néo-zélandaise. Une fois ma carrière terminée, je me suis investi au sein de la province d’Auckland. J’aime être sur le terrain avec une équipe, mais je suis encore plus intéressé par la gouvernance, pour participer au développement de notre sport, prendre soin des clubs, les visiter, planifier de façon stratégique le développement des joueurs vers le plus haut niveau, etc. Maintenant, je fais ce boulot pour la fédération, partant du rugby des plus petits clubs jusqu’aux sélections nationales et cela me plaît énormément. Mes semaines sont bien chargées avec mes enfants, mais j’adore ce que je fais. Le week-end, il m’arrive d’aller supporter le club de mon grand frère Luke, qui est devenu président de Papatoetoe. »
Digest
Né le : 20 mars 1979 à Tokoroa (Nouvelle-Zélande)
Mensurations : 1,81m ; 111 kg
Poste : Talonneur
Clubs successifs : Auckland (1999-2015), Auckland Blues (1999-2002), Chiefs (2002), Auckland Blues (2003-2015)
Sélections nationales : 132 avec la Nouvelle-Zélande (2002-2015)
1er match en sélection : à Cardiff, le 23 novembre 2002, Pays de Galles – Nouvelle-Zélande (17-43)
Points en sélection : 60
Palmarès : double champion du monde (2011 et 2015), vainqueur du Tri-Nations (2003, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2010), vainqueur du Rugby Championship (2012, 2013 et 2014), vainqueur du Super 12 avec les Auckland Blues (2003).