Au début des années 2000, le numérique a supplanté l’argentique. Les uns après les autres, les fabricants d’appareils photo utilisant la bonne vieille pellicule ont arrêté leur production. Alban Gatti, cofondateur de Pelloche, qui renoue avec cette technique apparue « il y a cent quatre-vingts ans », était encore un enfant à l’époque. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des souvenirs, immortalisés sur papier. « Quand je partais en colonie de vacances, ma mère me mettait un petit appareil photo jetable dans mon sac à dos », raconte-t-il. Sa vocation était née.

Diplômé d’une école de photographie toulousaine réputée, ce Bordelais de 28 ans a commencé par monter en 2019 sa propre agence de photos, qui travaille pour des marques de vin et de champagne. Pour leurs supports de communication, il arrive que ses clients lui demandent des photographies argentiques. « En termes de rendu d’image, il y a quelque chose d’assez organique, apprécie le jeune chef d’entreprise. Il y a de l’imperfection, mais une imperfection qui plaît beaucoup. » Une sorte d’alliance des grains.

Il en va de la photographie argentique comme du vinyle, qui effectue un retour en force face au streaming. Pour les jeunes générations, l’argentique renvoie d’abord aux photos de famille auxquelles tiennent leurs parents et grands-parents, celles qu’on gardait et qu’on regardait vraiment. « Aujourd’hui, on a entre 10 000 et 20 000 images dans nos smartphones, mais on ne les regarde jamais », remarque Alban Gatti, qui s’est associé avec deux amies, Salomé Eclancher, photographe indépendante de 31 ans, et Claudia Garcia, 28 ans, photographe, graphiste et web designer, pour ouvrir Pelloche au 3, rue de la Rousselle, à Bordeaux.

Des gestes qui ne vont plus de soi

À cette adresse, ils proposent un service complet : développement, tirage, vente de boîtiers argentiques d’occasion et, bien évidemment, de pellicules, de « pelloches », comme on disait. Cet espace de 100 mètres carrés fait parallèlement office de galerie, avec un mur où les clients pourront également exposer. Tous les deux mois, il y aura un nouveau vernissage.

Mariage du progrès et de la tradition, il est possible de numériser ses tirages argentiques, afin de les avoir dans son téléphone portable ou de les partager sur les réseaux sociaux. Signe des temps, dans un monde de plus en plus dématérialisé, il arrive que certains adeptes de l’argentique repartent uniquement avec leur fichier numérique.

« Aujourd’hui, on a entre 10 000 et 20 000 images dans nos smartphones, mais on ne les regarde jamais »

« C’est important de venir récupérer vos négatifs, car ce sont les originaux de vos photos », considère Alban Gatti, qui n’ignore pas que les gestes qui paraissaient autrefois automatiques ne vont plus forcément de soi, même quand on est un as de la retouche et qu’on maîtrise l’IA sur le bout des doigts. Comment insérer une pellicule ? Comment la rembobiner ? Ce sont des questions qu’il ne faudra pas hésiter à poser. L’ère de l’argentique, c’était hier, certes, mais le temps passe tellement vite.

Le marché

Entre les nostalgiques, les puristes, les professionnels et ceux qui veulent s’y essayer, une communauté de passionnés a vu le jour un peu partout sur la planète. Est-ce suffisant, économiquement parlant ? Y a-t-il pour autant un marché ? Avant de franchir le pas, les trois fondateurs de Pelloche ont étudié ce qui se faisait ailleurs, dans des grandes villes. « Des enseignes nous ont ouvert leurs livres de comptes », confient-ils.

À leurs yeux, il y a des signes qui ne trompent pas : « Des marques réputées d’appareils photo sont en train de rééditer des boîtiers argentiques. Un Français a ouvert la plus petite manufacture de films du monde. Parallèlement, énormément de gens envoient leurs pellicules à développer dans de gros laboratoires étrangers, à Valence ou Amsterdam par exemple. Chez nous, cela correspondait à un besoin, on peut dire un rêve. Mais il y a une vraie demande. »

Leur sens de l’esthétique est visible d’entrée. Sous les jolies voûtes de cet ancien garage, le laboratoire proprement dit, avec ses deux développeuses, ses deux scanners et son minilab, est séparé des 60 mètres carrés de boutique par une verrière, à la manière des cuisines ouvertes dans les restaurants. Une façon de mettre en valeur le travail des techniciens, qui n’ont plus à s’isoler dans des chambres noires. « Les machines sont d’époque, des années 1990 et 2000, précise Alban Gatti. Elles ont été reconditionnées et refiabilisées. » Le décor carrelé, « très pop, un peu seventies », abrite fauteuils et canapés. Pelloche se voit comme « un lieu de passage, d’échanges, où l’on peut se poser pour papoter autour d’un café ».