Après deux ans d’ateliers, de conversations, de courriers et de préparations, le livre qui retrace la mémoire du quartier Saint-Lucien est sorti : La soive au banc des souvenirs. 

Deux ans de travail. “Au moins” 150 participants aux ateliers. Des dizaines de jeunes ont toqué à, exactement, 486 portes. “Le quartier Saint-Lucien, c’est ça, c’est vous, c’est nous, c’est tous ceux qui parlent et ceux qui ne parlent pas, qui racontent leurs souvenirs ou ceux qui s’imaginent l’après”.

Tout ça, c’est dans un livre La soive au banc des souvenirs* (*titre proposé par les habitants) remis vendredi 4 juillet aux habitants. “Ce n’est que le commencement, clame d’emblée Abdelmajid Benbouha, coordinateur du projet et référent de la maison du projet. Dans 10 ans, 20 ans, il y aura d’autres transformations du quartier, et donc peut-être un autre ouvrage”.
Car c’est ça l’essence même du projet : créer des souvenirs, les retranscrire, les ressortir. “Quand je suis arrivé à Saint-Lucien en 2006, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas ou peu d’archives sur le quartier. Au fil des années, l’idée de réaliser un travail de mémoire a mûri”, explique le référent. 

Une lettre venue de… Perpignan

Deux ans d’émotions, aussi. Après les différents ateliers, lorsque les uns racontent ce qu’ils n’ont jamais dit, lors du goûter des souvenirs, l’an dernier, quand le projet se profile ou quand des témoignages parviennent par courrier aux référents, comme cette lettre envoyée de Perpignan…

“Celle-là, c’est la plus émouvante que j’ai pu lire”, annonce sans hésiter Abdelmajid Benbouha. Mohamed, 82 ans est originaire de Saint-Lucien mais il n’y vit plus depuis 1976. “Mon histoire est faite de blessures, d’incompréhensions, de souffrances surtout pour mes enfants même si j’ai tant bien que mal essayé de les protéger du mieux que je pouvais”, écrit-il en prémisse. Avant d’arriver en France, l’homme était agriculteur en Algérie, jusqu’à ce que les attentats, les crimes et la guerre l’obligent à fuir ses terres, “sans avoir pu saluer les miens”.

Une fois en France, il est affecté à la caserne militaire de Soissons. C’est en 1963 qu’il s’installe à Beauvais et trouve un travail à Massey Ferguson où il restera jusqu’en 1976. “Durant toutes ces années, je peux dire que j’ai vécu heureux à Saint-Lucien. Je regardais le parc par ma fenêtre en fumant ma cigarette. À l’époque, je l’appelais la forêt.”

Mais le temps froid et gris de Picardie le convainc de partir vivre à Perpignan. Quand Abdelmajid reçoit ce témoignage, il ressent beaucoup d’émotions. Surtout, cela illustre “le choc des générations”. Alors, à la restitution de l’ouvrage certains ne cachent pas leurs sentiments. “J’ai vu des gens pleurer, d’autres s’écarter, certains déjà se projeter…”.

Des idées se glissaient même dans la foule : “Il faut en faire une pièce de théâtre ou une comédie musicale !” La responsable de la médiathèque Gaëlle Engrand, qui s’est aussi chargée de la mise en page du livre, trouve d’ailleurs que l’idée “mérite d’être étudiée”.  

Un flambeau intergénérationnel 

En deux ans, il n’a évidemment pas été “évident de pénétrer dans l’intimité de tous ceux qui ne se confient pas”. Comme pour Mohamed qui, “en déposant ces mots” fait découvrir pour la première fois son histoire à ses filles, “que je n’ai jamais souhaitée évoquer précisément”. “J’ai préféré garder le silence en disant d’une simple formule : c’est la vie. La vie, c’est aussi pouvoir communiquer son histoire à ses proches. Saint-Lucien est pour moi la photographie de mon exode dont je ne me remettrai jamais”. 

La soive au banc des souvenirs est donc bien plus qu’un simple récit : c’est un flambeau intergénérationnel, qui conte bien plus que des simples moments de vie. 

Informations : 
Le livre est disponible dans toutes les médiathèques de la ville ainsi qu’à plusieurs associations beauvaisiennes. 

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