L’exposition, construite comme un voyage à travers ses images, ses films et ses objets, rend hommage à la photographe qu’elle fut avant de devenir la cinéaste célébrée. Un parcours foisonnant et sensible à travers l’œuvre photographique encore trop méconnue de la cinéaste, où la capitale devient miroir, décor et matière première. De la photographie au cinéma, du documentaire à la fiction, du réel à la poésie, Agnès Varda a sillonné Paris comme elle a façonné son art : en liberté.

« Je n’habite pas Paris, j’habite Paris 14e », disait Varda. Le fil rouge de cette promenade, c’est une adresse : 86 rue Daguerre, Paris 14e. On redécouvre ici les débuts d’une jeune femme qui, dans les années 1950, installée au 86 rue Daguerre, transforme deux boutiques décrépites en atelier de création. Ce lieu, devenu mythique, est plus qu’une adresse : c’est le point d’ancrage d’une vie, un laboratoire quotidien d’expérimentations visuelles et narratives. C’est là qu’elle photographie ses premiers modèles — des voisins, des comédiens, des amis. C’est là, surtout, que s’invente un regard : un cadre brut, une lumière naturelle, une intimité. Varda commence photographe, artisanale et intuitive, entre CAP et chambre noire. Elle monte sa première exposition dans la cour en 1954, comme d’autres plantent des choux.

Agnès Varda, Autoportrait dans son studio, rue Daguerre, Paris 14e, 1956 © Succession Agnès Varda

Agnès Varda, Autoportrait dans son studio, rue Daguerre, Paris 14e, 1956 © Succession Agnès Varda

Agnès Varda, Valentine Schlegel et Frédérique Bourguet à Montmartre, Paris 18e, 1948-1949 © Succession Agnès Varda

Agnès Varda, Valentine Schlegel et Frédérique Bourguet à Montmartre, Paris 18e, 1948-1949 © Succession Agnès Varda

La rue Daguerre n’est pas seulement un refuge. Elle devient le centre gravitationnel d’une œuvre libre. Tout est là, dans cette maison de création et de mémoire, devenue au fil du temps un studio, une scène, un personnage. L’exposition en explore toutes les facettes : 130 tirages, pour la plupart inédits, des extraits de films, des objets, des documents, ses travaux pour la publicité et la presse, des installations. On comprend pourquoi la cinéaste se définissait volontiers comme « daguerréotypesse », clin d’œil féminisé aux pionniers de la photographie.

Mais si la rue Daguerre est le cœur, Paris est le corps entier. À travers ses images, Varda capte une ville vivante, inattendue. Ses photos de théâtre, prises pour le TNP de Jean Vilar, révèlent un Paris populaire et habité. Il y a aussi les artistes qu’elle rencontre et photographie avec humour et malice : Alexander Calder devant son atelier, Fellini posé au milieu des gravats d’une ancienne fortification portes de Vanves, Brassaï devant un mur décrépit… Agnès Varda les fait entrer dans son théâtre du quotidien, les détourne du prestige pour les réintégrer dans une ville vivante, imparfaite, pleine d’aspérités. Il y a toujours, chez Varda, une manière de déplacer le réel, de le faire dérailler. Le quotidien devient terrain de jeu, les visages familiers en deviennent les acteurs. 

Agnès Varda, Fellini à la porte de Vanves, Paris 14e, mars 1956 © Succession Agnès VardaAgnès Varda, Fellini à la porte de Vanves, Paris 14e, mars 1956
© Succession Agnès Varda

Agnès Varda, Alexander Calder devant son atelier, Paris 14e, octobre 1954 © Succession Agnès Varda / 2025 Calder Foundation, New York / ADAGP, Paris

Agnès Varda, Alexander Calder devant son atelier, Paris 14e, octobre 1954 © Succession Agnès Varda / 2025 Calder Foundation, New York / ADAGP, Paris

Photographie de Liliane de Kermadec, Corinne Marchand sur le tournage du film d’Agnès Varda Cléo de 5 à 7, Cléo au café du Dôme, Paris 14e, 1961 Liliane de Kermadec © Ciné-Tamaris

Photographie de Liliane de Kermadec, Corinne Marchand sur le tournage du film d’Agnès
Varda Cléo de 5 à 7, Cléo au café du Dôme, Paris 14e, 1961
Liliane de Kermadec © Ciné-Tamaris

Photographie de Robert Picard, Valérie Mairesse, Robert Dadiès et Agnès Varda sur le tournage du film d’Agnès Varda L’une Chante, l’autre pas, 1976 Robert Picard © Ciné-Tamaris

Photographie de Robert Picard, Valérie Mairesse, Robert Dadiès et Agnès Varda sur le
tournage du film d’Agnès Varda L’une Chante, l’autre pas, 1976
Robert Picard © Ciné-Tamaris

Et puis, il y a l’autoportrait, omniprésent sans jamais être frontal. Agnès Varda apparaît partout : en reflet, en silhouette, en figure de dos. Elle s’amuse de sa propre image, joue avec son petit corps, sa coupe au carré, son air à la fois sérieux et cabotin. Elle ne se raconte pas comme une légende mais comme un personnage de fiction au sein de son propre décor, façonné par des décennies d’amour et de création.

Les photographies, sont souvent en dialogue avec des extraits de films tournés dans la capitale : Cléo de 5 à 7, bien sûr, où le parcours d’une femme dans Paris épouse l’angoisse de la maladie et le trouble existentiel ; Les Fiancés du pont MacDonald, pastiche burlesque avec Godard et Anna Karina, tourné au bord du canal de l’Ourcq ; ou encore L’Opéra-Mouffe, court-métrage inclassable, réalisé alors qu’elle était enceinte, et qui fait apparaître les visages marqués des habitants du quartier Mouffetard. L’exposition tisse ces liens entre photo et film, révélant l’unité d’un regard.

Collier Schorr, Agnès Varda dans sa cour rue Daguerre, Paris 14e Séance pour Interview magazine, 22 juillet 2018, n° 521 Courtesy Collier SchorrCollier Schorr, Agnès Varda dans sa cour rue Daguerre, Paris 14e Séance pour Interview magazine, 22 juillet 2018, n° 521 Courtesy Collier Schorr

Agnès Varda, Rue Mouffetard, Paris 5e, 1957 © Succession Agnès VardaAgnès Varda, Rue Mouffetard, Paris 5e, 1957
© Succession Agnès Varda

« C’est très beau de filmer les gens, de leur montrer le film et qu’ils soient contents. C’est un témoignage sur le quartier où j’habite. Je ne suis pas passéiste, il se trouve que j’habite un vieux quartier. Là où on est, on peut témoigner de l’existence. » – Agnès Varda parle du film “Daguerréotypes” consacré à ses voisins du 14ème arrondissement

Si Agnès Varda est une cinéaste, elle est aussi une chroniqueuse sociale, une féministe du réel. Au fil des salles, l’exposition révèle combien l’image, chez Varda, est toujours une affaire de lien. Lien entre les lieux et les êtres, entre les souvenirs et les gestes, entre le sensible et le politique. Elle reste fidèle à cette attention au fragment, à ce goût du détail. 

« Le Paris d’Agnès Varda » est une exposition généreuse et subtile. En se concentrant sur son ancrage parisien, elle révèle les mille visages de l’œuvre d’une vie, tissée de liberté, de tendresse et d’impertinence. Elle nous rappelle que la ville est une scène de cinéma, un album de famille, un atelier d’artiste. Qu’on peut s’y promener « de-ci, de-là ». Que regarder est déjà un acte de création.

Agnès Varda, Boulevard du Montparnasse, Paris, mars 1956 © Succession Agnès Varda

Agnès Varda, Boulevard du Montparnasse, Paris, mars 1956
© Succession Agnès Varda

The exhibition “Agnès Varda’s Paris, here and there” is on view until August 24, 2025 at the Carnavalet Museum, in Paris.