REPORTAGE – L’homme d’affaires devenu châtelain en 2022 met sa fortune au service de sa passion. Il est en train de rénover un joyau du XVIIIe siècle, longtemps resté confidentiel. Et souhaite partager ce trésor le plus largement possible.

Une immense porte en fer forgé trône au bout d’une longue allée. «Elle a été faite à la main par un forgeron  de la région», confie avec fierté Eric Peters, propriétaire du château de Briord, situé à Port-Saint-Père, à 25 km au sud-ouest de Nantes. «C’est un ouvrage d’art qui a nécessité plus de 1500 heures de travail», ajoute l’homme d’affaires, vêtu d’un tee-shirt floqué du nom de son domaine qu’il sillonne à bord de sa voiturette de golf.

Quelques dizaines de mètres plus loin, la chapelle, encore totalement dissimulée par la végétation il y a trois ans, est en pleine restauration. D’ici 2026, elle devrait retrouver son allure d’origine. À droite, l’aumônerie, jadis réservée à l’accueil des prêtres, sera également rénovée avec des techniques anciennes et transformée en musée. Selon le maître des lieux, «l’idée est de faire des travaux qui préservent, mais de laisser des cicatrices du temps».


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Dans la même veine, le colombier a été remis en état par des artisans ayant taillé à la main 2300 ardoises. Il accueille désormais des couples de pigeons. Leurs fientes, mélangées au fumier de cheval, servent à fertiliser le potager bio situé de l’autre côté du domaine. «C’est une méthode qu’on utilisait au XIXe siècle», raconte l’intarissable Eric Peters.

Passionné d’histoire

L’ancien financier, également président et fondateur de l’entreprise de traçabilité Solutys, est un passionné d’histoire, en particulier des événements qui entourent la contre-révolution. Pendant longtemps, il s’est mis en quête de trouver une demeure associée à ses siècles favoris du XVIIIe et XIXe, dans l’ouest de la France : «en dix ans, j’ai visité une trentaine de lieux».

C’est finalement le 16 juillet 2021, au détour d’un voyage en Bretagne, qu’il est venu visiter le domaine de Briord. Sur le papier, cela ne semblait pas correspondre à ses attentes. Mais la réalité fut tout autre. «Je voulais 5 hectares, il y en avait 50. Je voulais une chapelle, il y avait une aumônerie. Je me suis dit que ça correspondait dix fois à mon cahier des charges», se souvient l’entrepreneur qui a débarqué en terre inconnue. En février 2022, le Parisien de naissance en devient officiellement propriétaire. Un tatouage réalisé peu après témoigne de son attachement à ce lieu.

Ce n’est pas possible qu’un endroit si extraordinaire soit tombé dans l’oubli

Eric Peters, propriétaire du château de Briord depuis 2022

«Ici, le temps est suspendu», souligne Eric Peters, qui s’y rend environ tous les quinze jours. Cet espace patrimonial important de Loire-Atlantique a été mis à l’ombre du grand public au cours des dernières décennies. À l’inverse, le néo-châtelain veut faire de cet endroit «le phare terrestre du Pays de Retz». «Ce n’est pas possible qu’un endroit si extraordinaire soit tombé dans l’oubli!», commente-t-il à propos de ces terres, mentionnées dès le XIIIe siècle, qui furent d’abord la propriété du seigneur Séris de Rezay. Le domaine prendra de l’ampleur au fil des siècles, jusqu’à devenir une seigneurie de haute justice. En 1770, Joseph Charette de Briord, parent du célèbre général vendéen Charette de la Contrie, remplace l’ancien manoir par un château de style néoclassique : le château actuel est né.

Art de vivre

Eric Peters entend préserver cet art de vivre à la française des XVIIIe et XIXe siècles. Pour ce faire, tout est restauré comme à l’époque. Dans les pièces du château, des objets qu’il a pu chiner dans des ventes rappellent le passé, à l’instar d’une rarissime harpe. Chaque premier dimanche du mois, une visite gratuite est proposée, assurée par des bénévoles. Pour le maître des lieux, le partage est essentiel. «Il y a un temps pour tout. Gagner de l’argent, je l’ai fait. Mais ensuite à quoi ça sert ? Ma chance est de pouvoir donner du sens à l’argent que j’ai gagné. C’est une question de philosophie», explique le sexagénaire, qui troque son costume contre une casquette rouge lorsqu’il vient dans son domaine.


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Aujourd’hui, le château vit grâce à une centaine de bénévoles – les « volontaires de Charette » – et cinq salariés permanents. Pour l’instant, il n’est pas question de rentabilité. Eric Peters ne souhaite pas en faire un business. Ce lieu ne sera jamais payant, aime à répéter le chef d’entreprise. «Je ne veux pas que les gens restent à la porte car ils n’en ont pas les moyens», insiste celui qui est né dans une famille «pas bien riche». Ce dernier estime qu’il en est arrivé là avec de la chance, une bonne étoile et le destin. Auxquels il faudrait ajouter une réelle capacité de travail et de la persévérance. «J’ai fait ça avec la foi du croisé. Si on a la foi, tout est possible», assure l’hyperactif qui dort cinq heures par nuit et a passé son bac à 14 ans.

S’il a les moyens de faire autant de travaux, Eric Peters réfléchit tout de même à l’après, afin que son œuvre perdure. Des revenus annexes – gîtes, miel, restaurant (lire ci-dessous) – pourraient un jour permettre de pérenniser le projet. Peut-être jusqu’à l’équilibre.

La Table de Briord, un restaurant historique du XIXe siècle

Dans ce restaurant du bourg de Port-Saint-Père, l’un des menus proposés coûte 17€70. Un clin d’œil direct au château de Briord érigé en 1770. Dans le centre de la commune de 3500 habitants, juste en face de l’église, La Table de Briord remplace l’ex-Saint-Georges. Lancé par Eric Peters, il a ouvert en mai. Ici, sans grande surprise, les clients y dégustent des mets… façon XIXe siècle. En bas, l’espace «village» accueille des visiteurs plus pressés, près d’un somptueux bar Napoléon. En haut, l’espace «château» invite à une dégustation plus longue et haut de gamme. Une bibliothèque en bois sur mesure, dotée d’une échelle en laiton, siège à côté de portraits d’époque. Outre le décor, les plats sont travaillés. Pendant deux mois, Théo Timelli, ancien second d’un établissement lyonnais, a cherché des recettes du XIXe, correspondant à l’image du domaine. «Il y a plein de choses qu’on ne peut pas faire. Autrefois, ils mangeaient beaucoup de truffes et de caviar», cite en exemple le chef, en train de sortir des encornets farcis et des tomates à l’antiboise. Ici, tout est bio, frais et local. Les fruits et légumes proviennent du potager du château. «Le XIXe siècle est le moment où l’on est passé de l’alimentation à la gastronomie», relève Eric Peters, qui a imaginé une ambiance XIXe jusque dans les moindres détails. Dans les toilettes du restaurant, un papier peint fait sur mesure raconte l’histoire de Briord. «Tout est un peu dingue. On n’est plus à un truc près!»