L’Allemagne, un pays longtemps hanté par son rôle d’instigateur de deux guerres mondiales dévastatrices, est désormais engagée sur la voie inquiétante de la militarisation. Jadis définie par une culture de retenue militaire née des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne prépare aujourd’hui ouvertement ses troupes à un engagement létal – un virage net et dangereux aux conséquences profondes pour l’Europe et le monde.
Dans une récente interview rapportée par le Financial Times, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius a déclaré que les troupes allemandes, malgré des décennies de pacifisme, « seraient prêtes à tuer des soldats russes en cas d’attaque de Moscou contre un État membre de l’Otan ». Cette déclaration brutale marque une rupture frappante avec le passé et signale la volonté de l’Allemagne d’adopter une posture militaire plus agressive face à l’escalade des tensions avec la Russie.
Un élément clé : la dépendance aux importations américaines
L’identité allemande d’après 1945 s’est largement construite sur le rejet du militarisme. La mémoire collective de la destruction catastrophique de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste a favorisé un engagement national en faveur de la paix, de la démilitarisation et de l’intégration européenne. Pendant des décennies, la Bundeswehr (forces armées allemandes) a opéré sous des limitations strictes, et les responsables politiques allemands évitaient soigneusement toute rhétorique susceptible d’évoquer la peur d’un retour du militarisme.
Un virage rapide dans la politique militaire et les dépenses
La guerre en Ukraine et les tensions croissantes entre l’Otan et la Russie ont provoqué un changement majeur dans la politique de défense allemande. En 2022, Berlin a annoncé un fonds spécial historique de 100 milliards d’euros pour moderniser la Bundeswehr, le plus important investissement militaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce fonds, destiné à financer équipements et infrastructures jusqu’en 2027-2028, vient s’ajouter au budget régulier de la défense.
Le budget de défense a augmenté progressivement : environ 51,4 milliards d’euros en 2020, puis 53 milliards en 2021. En 2022, il a atteint entre 68 et 78 milliards, en incluant les premières dépenses du fonds spécial. L’objectif est de porter ces dépenses à 80-90 milliards d’euros d’ici 2025, pour respecter l’engagement de l’Otan qui recommande de consacrer au moins 2 % du PIB à la défense.
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Cette hausse rapide du budget suscite néanmoins des tensions au sein des partis politiques allemands, certains critiquant ce tournant militariste et craignant les conséquences sociales et économiques d’une telle course aux armements.
Parallèlement à ces augmentations budgétaires, l’Allemagne vise à inverser des décennies de réduction des effectifs en augmentant significativement son personnel militaire actif. En juillet 2025, le pays a introduit un programme volontaire de service militaire de six mois visant à former davantage de réservistes et à renforcer les défenses nationales. Le ministre de la Défense Boris Pistorius est une figure clé de ce débat, soulignant la nécessité d’une Bundeswehr « prête pour la guerre » et suggérant que la suspension de la conscription en 2011 était une erreur. La Bundeswehr se prépare non seulement à défendre son territoire, mais aussi à jouer un rôle plus affirmé au sein de l’Otan et du cadre plus large de la sécurité européenne, se préparant ainsi à prendre une place de premier plan en Europe en tant que puissance militaire.
Un élément clé de cette militarisation est la dépendance croissante de l’Allemagne aux importations d’armes américaines. Outre la production nationale, l’Allemagne acquiert des armements avancés américains, notamment des avions de chasse, des systèmes de défense antimissile et d’autres équipements high-tech, afin de moderniser rapidement ses forces. Ce changement majeur souligne l’intégration plus profonde du pays dans les structures militaires dirigées par les États-Unis.
En plus de cela, l’Allemagne encourage les autres pays de l’Union européenne à contribuer financièrement à cette montée en puissance militaire. Le ministre allemand de la Défense a déclaré dans l’émission Tagesschau : « Hier müssen alle ihre Portemonnaies öffnen » « Ici, tout le monde doit ouvrir son portefeuille », incitant les États européens de l’Otan à participer à l’achat d’armes américaines et à partager le fardeau de la défense.
Le réveil du militarisme ranime des peurs historiques
L’Allemagne a également engagé plus de 10 milliards d’euros d’aide militaire à l’Ukraine, fournissant des chars Leopard 2, de l’artillerie automotrice et des systèmes de défense aérienne, se positionnant ainsi dans un rôle de soutien direct dans une zone de conflit active – une rupture nette avec sa retenue militaire d’après-guerre, la guerre d’Afghanistan mise à part.
Cette militarisation rapide, bien que présentée comme nécessaire à la sécurité, soulève des inquiétudes profondes et multiples. La volonté de l’Allemagne d’affronter directement les forces russes augmente le risque d’une guerre européenne élargie, susceptible d’entraîner le continent dans un conflit catastrophique. Le passage d’une culture militaire sage à une posture agressive fragilise les voies diplomatiques et réduit l’espace disponible pour une résolution pacifique, durcissant les positions de toutes les parties.
Pour les voisins de l’Allemagne, le réveil du militarisme allemand – même sous un gouvernement démocratique – ranime des peurs historiques qui persistent depuis les ravages des guerres mondiales. Cette inquiétude est renforcée sur le plan intérieur, où la société et les factions politiques restent profondément divisées sur cette voie. L’adoption de la force militaire remet en cause les valeurs pacifistes qui ont longtemps été un pilier de l’identité allemande d’après-guerre, créant des tensions au sein du tissu social du pays.
Un moment critique pour l’Europe
La marche de l’Allemagne vers la militarisation représente plus qu’un simple changement de politique nationale ; elle constitue un moment décisif pour la sécurité européenne et la stabilité mondiale. La disposition à « tuer des soldats russes », autrefois impensable dans le discours politique allemand, signale une préparation à la confrontation aux risques immenses. L’Europe doit faire face à cette nouvelle réalité : une Allemagne désireuse de retrouver un rôle sur le champ de bataille que beaucoup espéraient révolu. Sans une diplomatie prudente et un engagement renouvelé pour la paix, ce dangereux réveil pourrait dégénérer en un conflit bien plus vaste que quiconque ne le souhaite.