C’est une pratique qui a toujours plus ou moins existé. Dans les petits ports de plaisance, les propriétaires de bateaux proposent depuis bien longtemps leurs services de skipper. Quelqu’un qui connaît le coin. Quelqu’un qui navigue bien. Quelqu’un qui ne s’est pas contenté d’avoir son permis bateau en effectuant trois manœuvres dans le port. Bref, quelqu’un capable de vous emmener sur l’eau. Mais ce capitaine est-il légalement autorisé à vous transporter ? Là, c’est clairement moins sûr. « La profession de marin et l’activité commerciale de transport de passagers en mer sont strictement encadrées par la réglementation, afin d’assurer la sécurité des personnes embarquées. Le skipper doit être formé, qualifié et au minimum titulaire du brevet de Capitaine 200 », rappelle la préfecture du Finistère.
Sur la pointe bretonne comme dans tous les départements ouverts sur la mer, les agents de la Direction départementale des territoires et de la mer promettent qu’ils vont « renforcer les contrôles » afin de traquer ces locations illégales cet été.
Jusqu’à 45.000 euros d’amende
Le parquet de Saint-Malo s’était déjà penché sur le phénomène en 2024, poursuivant plusieurs personnes soupçonnées de travail dissimulé. Plusieurs « faux skippers » ont écopé d’amendes comprises entre 500 et 2.500 euros, précise le procureur Fabrice Tremel. Mais d’autres devront se présenter au tribunal correctionnel, notamment pour répondre « d’exercice irrégulier de la fonction de commandant de navire ». Les contrevenants risquent des sanctions pénales lourdes pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende, ainsi que la confiscation de leur navire, rappelle l’État.
Mais ces sanctions n’ont pas vraiment l’air de faire peur. Car depuis quelques années, le nombre d’annonces a explosé. Entre 2022 et 2024, le leader européen de la location entre particuliers, Click & boat, a noté une hausse de 68 % du nombre de locations naviguées. « L’été dernier, plus d’une location sur deux s’est faite avec un skipper », assure Christopher Bertagnolio, l’un des responsables de Click & boat.
Les bateaux sont nombreux au large de Hyères et de l’île de Porquerolles. Beaucoup sont loués par des particuliers. - Carine Schmitt/Hans Lucas
La difficulté, c’est de faire la différence entre la location illégale des services d’un skipper et une « co-navigation », pratique autorisée de « cobaturage » ressemblant à un BlaBlaCar. « C’est toujours un sujet un peu tabou. Un bateau, ça coûte assez cher pour un truc qui sort deux ou trois mois dans l’année. Alors chacun trouve des combines pour rentabiliser », témoigne Quentin *.
« Il y a des flous partout »
Ce Finistérien proposait son semi-rigide à la location l’été sur les plateformes spécialisées et sur des sites comme Le Bon Coin. Il y a quelques années, il a vu plusieurs personnes lui demander s’il pouvait conduire le bateau, moyennant un supplément. « La première fois, je l’ai fait comme ça, sans rien déclarer ». Il a ensuite déboursé près de 2.000 euros et passé un mois et demi en formation pour obtenir son Brevet d’aptitude à la conduite des petits navires (BACPN). Un diplôme qui l’autorise à transporter jusqu’à 12 passagers, mais jamais à plus de 6 milles (10 kilomètres) du point de départ. Pour aller plus loin, c’est le fameux Capitaine 200 qu’il faut obtenir. Vous le devinez, un gros paquet de propriétaires de bateaux préfère officier dans l’illégalité. « C’est le monde du nautisme. Il y a des flous partout. On a des anciens pêcheurs qui ont leur Capitaine 200 mais qui n’ont jamais transporté du monde. Ils sont dans la légalité mais pas forcément compétents », confie Emmanuel, basé à Lesconil, dans le Finistère sud.
Louer son bateau entre particuliers, c’est autorisé. Mais attention, l’activité de skipper est très encadrée. - C. Allain/20 Minutes
Pour ce loueur professionnel, les annonces de location entre particuliers sont évidemment une concurrence déloyale. Le Breton ne s’en plaint pas et fait avec, mais il met en garde. « Les plateformes misent sur ce flou. Elles voient ça comme de la mise en relation entre particuliers, un genre de covoiturage », décrypte le loueur pro. Des accusations fermement réfutées par la plateforme Click & boat. Cette dernière assure qu’elle « veille scrupuleusement » à ce que ses annonceurs soient dans les clous.
La plateforme impose aux loueurs professionnels de prouver l’existence de leur entreprise – Kbis, pièce d’identité du gérant… –, mais c’est à eux de s’assurer que leurs skippers sont en règle. Quant au système de « co-navigation » entre particuliers, il se veut « strictement encadré ». Sur sa page dédiée, la plateforme rappelle que le principe « réside sur le partage des consommables et des frais occasionnés ». Et précise : « La participation ne doit en aucun cas constituer une rémunération pour le skipper ou le propriétaire du navire ». « C’est de l’hypocrisie. On n’est pas dupes. Sur leur site, il y a un calendrier pour réserver, des tarifs selon la saison. Ce n’est pas ça, la co-navigation », assure une responsable de la DDTM en Bretagne.
Le permis bateau ? « C’est n’importe quoi »
Soyons clairs : peu de gens vont donner de leur temps pour promener des touristes sans rétribution. La fameuse participation aux frais étant libre, chacun peut y aller de son tarif. « En général, je demande entre 150 et 250 euros. Ça dépend de la taille du bateau », confie Arthur. Ce jeune skipper basé dans le Var a proposé ses services pendant plusieurs années. Pour gagner un peu plus, il le reconnaît. Mais aussi pour surveiller ses bateaux et s’assurer qu’ils reviennent entiers. « On a des gens qui ont juste le permis bateau et qui ne savent pas du tout naviguer ! Ce permis, c’est n’importe quoi, il ne prépare à rien ».
Arthur aussi a passé son BACPN, afin de pouvoir se former et de s’assurer. Il le mentionne sur ses annonces même s’il sait que les particuliers ne sont pas informés. Et que la plupart s’en tamponnent, voyant avant tout le prix avantageux. « Le problème, c’est que les gens ne sont pas formés et que parfois, il y a des épaves qui sont louées. Ce n’est pas bien, ça met en danger la sécurité. Un bateau, on n’est même pas obligé de l’assurer ! Pour moi, c’est à l’État de s’organiser », regrette Emmanuel, le loueur professionnel du Finistère. A la DDTM bretonne, on explique agir « contre le travail dissimulé » mais aussi « pour la sécurité des biens et des passagers ».
La situation sur le littoral breton n’a en plus pas grand-chose à voir avec la réalité des côtes de la Méditerranée ou du bassin d’Arcachon. Dans ces secteurs, l’offre et la demande sont nettement plus élevées. Et donc plus difficiles à surveiller.
* Le prénom a été modifié