Ils avaient acquis leur home sweet home le 2 mars 1989 à Saint-Laurent-du-Var, en bordure directe du Vallon des Espartes, à la frontière avec Cagnes-sur-Mer.
Les gros ennuis commencent 25 ans après, le 16 novembre 2014, quand une partie du mur de soutènement de leur maison s’effondre. Le 4 décembre de la même année, ils saisissent le tribunal administratif: c’est le début d’un long parcours judiciaire…
Cécile et Robert Tolila estiment que les dégâts causés sur leur maison découlent de l’érosion et de la détérioration des berges du Vallon des Espartes.
Vallon qui se transforme en torrent lors de fortes précipitations, dans lequel s’écoulent donc les eaux pluviales, la surverse du Canal de la rive droite du var… et où se trouvent des canalisations d’eaux usées, à l’origine enterrées, mais mises à nu par l’érosion.
Problème: qui est responsable de ce Vallon et de ce qui s’y trouve? La municipalité de Saint-Laurent, celle de Cagnes, la Métropole, la Régie Eau d’Azur, ou la Société canal de la rive droite du Var? Bienvenue dans les méandres du droit administratif.
Le mur de soutènement s’effondre une 2e fois en 2019
Alors qu’un premier procès se prépare pour déterminer les responsabilités de chacun, les pluies diluviennes du 23 et 24 octobre 2019 provoquent une nouvelle fois l’effondrement d’une partie du mur de soutènement, l’affaissement du terrain, et l’apparition de fissures sur les murs de la maison.
La ville de Saint-Laurent prend un arrêté de péril imminent: le couple Tolila sommé de réaliser des travaux en urgence pour consolider leur maison, dans un délai d’un mois. À leurs frais. Pour eux, le cauchemar continue.
Puis, le tribunal administratif de Nice rend son jugement le 25 avril 2023. Stupeur pour les Laurentins: le recours du couple Tolila est rejeté, les institutions publiques déclarées irresponsables. Le juge a estimé que c’était aux particuliers d’entretenir les berges – le Vallon étant considéré comme un cours d’eau non domanial dont les propriétaires riverains sont chargés de l’entretien -.
Et les canalisations d’eaux usées? « Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la responsabilité sans faute de la Métropole Nice Côte d’Azur est engagée du fait de l’existence d’ouvrages publics dans le lit du vallon des Espartes », ajoute le tribunal. Circulez, il n’y a rien à voir.
Ils sont condamnés à payer 800 euros à chaque institution (4.000 euros au total), et à régler les 31.338,31 euros de frais d’expertise. Sans parler des travaux déjà réalisés. Une « humiliation administrativo-judiciaire ».
Responsabilité sans faute de la Métropole
Mais les époux Tolila ne lâchent pas. Et la cour administrative d’appel de Marseille finira par récompenser, en quelque sorte, leur pugnacité.
Ainsi, dans son arrêt du 25 juin 2025, celle-ci annule le jugement de première instance, et condamne, en partie, la Métropole à verser à Cécile et Robert Tolila 127.174,70 euros en réparation de leurs préjudices.
Comment? Attention, c’est technique: via la « responsabilité sans faute » de la Métropole, « pour dommages de travaux publics ». « Le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de fautes, des dommages que les ouvrages publics – dont il a la garde – peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. »
En cause, donc, la canalisation d’eaux usées. Plus précisément, un regard situé dans le lit du Vallon, mis à nu par l’érosion, et qui a dévié le cours d’eau permanent de la surverse du Canal de la rive droite du Var en direction du fameux mur de soutènement, l’affaiblissant chaque jour un peu plus: « Cette canalisation du réseau d’assainissement desservant Saint-Laurent-du-Var et Cagnes-sur-Mer et ses regards, implantée dans le lit du Vallon des Espartes, a directement contribué à l’aggravation du phénomène naturel d’érosion lié à l’écoulement de l’eau dans ce vallon. »
Et qui est responsable de cette canalisation, selon la justice? « La Métropole Nice Côte d’Azur est, depuis le 1er janvier 2012, compétente de plein droit en matière d’assainissement. » Alea jacta est.
Toutefois, la Cour administrative d’appel de Marseille limite la responsabilité de la Métropole, insistant sur le fait que la canalisation n’a fait qu’aggraver le phénomène naturel d’érosion. En conséquence, cette dernière ne doit « supporter que la moitié des conséquences dommageables subies par M. et Mme Tolila. »
Pourtant, sur ce dossier, les services de l’institution présidée par Christian Estrosi commentent laconiquement par écrit: « La Métropole Nice Côte d’Azur rappelle que l’indemnisation des consorts Tolila sera prise en charge par son assureur, et que ce dernier dispose d’un délai de deux mois pour se pourvoir en cassation. »
Ainsi, d’après les décomptes de la justice, le couple Tolila a dépensé quelque 244.349,40 euros de travaux depuis 2015, auxquels s’ajoutent 10.000 euros de préjudice moral.
« On a dit que c’était de ma faute »
« C’est une victoire morale », lâche Robert Tolila, aujourd’hui 73 ans, qui ne s’attendait plus à un succès judiciaire. « 11 ans de procédure, c’est très dur, c’est usant, et c’était un affront personnel, poursuit l’expert-comptable partiellement à la retraite. On est venu chez moi me cracher dessus, on m’a insulté lors de réunions avec des experts, on a dit que c’était de ma faute parce que je n’avais pas entretenu le Vallon… On m’a fait miroiter des arrangements avec la Métropole ou avec la ville de Saint-Laurent qui n’ont jamais abouti, on m’a baladé pendant 11 ans! »
Aujourd’hui, il se dit soulagé. Même si contrairement à ce que dit le tribunal, il affirme en avoir eu pour 400.000 euros de frais, entre les travaux, les expertises, les frais d’avocats… Mais hors de question d’aller en cassation, ni d’effectuer une nouvelle procédure contre l’État – responsable, selon la Cour, de la conservation des cours d’eau non domaniaux – comme le lui suggère son avocat. Pour la famille Tolila, l’heure est venue de tourner cette longue page.