Patron d’EDF entre 2009 et 2014, Henri Proglio a souvent attiré l’attention des médias français et étrangers en raison de ses accointances controversées avec certains groupes russes. Cela s’est traduit –entre autres– par des accords de coopération signés dès 2010 avec l’opérateur électrique russe OJSC Holding MRSK (qui se nomme désormais Rosseti). La filiale russe du géant français de l’électricité, ERDF Vostok LLC, a alors repris la gestion de la société de distribution d’OJSC; si cet accord a été résilié par les Russes en 2014, la filiale n’a été officiellement dissoute qu’en octobre 2022.
Comme l’indique le média russe The Insider, le projet de 2010 n’était que le premier d’une série plus vaste d’initiatives de Henri Proglio visant à intégrer les monopoles d’État russes au secteur énergétique français. En 2011, EDF a ainsi signé un accord lui permettant d’acquérir une participation de 15% dans la section offshore du gazoduc South Stream. En 2012, EDF et Gazprom, société russe spécialisée dans le gaz naturel, ont signé un accord de coopération sur la production d’électricité à partir de gaz en Europe.
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Malgré la guerre
Mais la collaboration la plus longue de Henri Proglio est celle qui le lie au secteur nucléaire russe. Celle-ci a débuté avec un accord signé entre EDF et Rosatom en 2010. Le dirigeant français a alors rejoint le conseil d’administration chargé des projets internationaux de cette entreprise publique russe spécialisée dans le secteur de l’énergie nucléaire. Quand il a quitté la direction d’EDF en 2014 pour devenir président du conseil d’administration de Thales –groupe français spécialisé dans l’aéronautique, la défense, la sécurité et la transport terrestre–, Emmanuel Macron (alors ministre de l’Économie) avait insisté pour qu’il rompe ses liens avec la Russie.
La réaction de Henri Proglio ne fut pas celle attendue: le président de Thales a en effet décidé d’abandonner son siège en mai 2015, façon d’officialiser son ralliement à la Russie –tout en conservant des liens étroits avec Dassault Aviation, où il occupe un poste de direction depuis avril 2008. Ce parti pris ne s’est jamais démenti, puisque même le début de la guerre menée par la Russie en Ukraine à partir de février 2022 n’a pas empêché l’ancien boss d’EDF de poursuivre ses activités en Russie et de collaborer avec le Kremlin.
En Russie, Henri Proglio possède et gère trois sociétés (Henri Proglio Consulting LLC, AP Energy Advisory LLC et Mezhproject LLC) qui ont généré plus de 633 millions de roubles (environ 7 millions d’euros) de revenus au cours des trois premières années de guerre. Il siège également au conseil d’administration d’ABR Management, société créée en 2011 par deux proches collaborateurs de Vladimir Poutine. L’ensemble de ces activités permet à Henri Proglio de bénéficier de revenus plus que confortables.
La notion de conflit d’intérêts n’a visiblement que peu d’importance pour Henri Proglio. La France fournit actuellement à l’Ukraine des armes produites par Dassault Aviation et Thales (avions de combat Mirage 2000, systèmes de défense aérienne, roquettes antidrones à guidage laser). The Insider rappelle que selon Libération, Henri Proglio et Serge Dassault font partie des quelques hommes d’affaires français qui ont rencontré en 2014 Sergueï Narychkine, alors président de la Douma russe, aujourd’hui chef du Service de renseignement extérieur de la fédération de Russie, sous le coup de sanctions internationales. De quoi permettre à Henri Proglio de faire doublement son beurre sans sourciller.