Si l’on devait lister un Top 10 des choses les plus mignonnes dans le foot, les mauvaises langues y mettraient pêle-mêle les supporters qui jettent des peluches sur le terrain pour les enfants malades, les fans du PSG qui pensent avoir gagné la Ligue des champions au mérite, les gosses de stars qui marquent un penalty fantoche devant le kop après le coup de sifflet final ou encore… la rivalité Nantes-Rennes. Depuis l’annonce du transfert des anciens Canaris Quentin Merlin et Valentin Rongier au Stade rennais (pour 20 millions d’euros, ce qui, selon le côté duquel on se place, constitue une bonne affaire ou non), les piliers de cafés du commerce n’en finissent plus de se déchirer, notamment à propos de la légitimité de la rivalité ligéro-brétilienne, laquelle serait tout à fait secondaire à l’échelle du football français, en comparaison avec des Paris-Marseille, Lyon-Saint-Etienne et autres Lens-Lille. Dit autrement, cette double arrivée provoquerait beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Pas né de la dernière pluie
Pourtant, le simple fait qu’un transfert fasse autant parler que celui de Lorik Cana à l’OM ou de Bafétimbi Gomis à Lyon est déjà révélateur d’un indiscutable antagonisme dans le Wild Wild West français. Le temps où les deux équipes célébraient conjointement leur titre de champion de France et la Coupe nationale dans les locaux de Ouest France (en 1965 tout de même) appartient au passé. Entre temps, il y a eu le déclic avec cette victoire rennaise à la Beaujoire en 2006 (pour la première fois depuis 41 ans), les passages du FC Nantes en deuxième division (2007-2008, puis 2009-2013), un nouveau titre tant attendu pour le Stade rennais (la Coupe de France 2019) et, contrairement à ce qu’affirmait Valentin Rongier à l’époque, une « passation de pouvoir » qui laisse penser que, si, les Rennais sont bel et bien devenus sportivement « supérieurs » aux Nantais dans le combat pour la suprématie bretonne.
Ce recrutement serait pour nous un affront s’il aboutit et nous ne pourrons l’accepter.
Les ultras du Roazhon Celtic Kop
N’en déplaisent aux parisiano-centrés, la rivalité entre les deux villes, distantes de seulement 100 kilomètres (une goutte d’eau dans un pays qui possède sa propre notion de « derby ») est bien réelle. On se souvient par exemple qu’2013, en marge du premier derby Route de Lorient après « cinq ans d’abstinence » (en référence à une campagne de pub du Stade rennais de l’époque), les ultras nantais avaient saboté un tifo de leurs rivaux, ces derniers n’hésitant pas à descendre sur la pelouse pour tenter de donner le coup de poing avec le parcage. On se souvient aussi du doigt posé sur les lèvres de Paul-Georges N’tep lors du match retour (victoire 0-3) face à la Brigade Loire, tout comme le fait que les Canaris n’ont de nouveau gagné à domicile qu’en 2019 face à leurs rivaux Rouge et Noir, soit 13 ans après leur dernier succès dans un derby breton, devenu LE rendez-vous à cocher pour tout supporter de chaque camp, bien loin devant des duels progressivement tombés en désuétude (Bordeaux pour les Nantais, Guingamp pour les Rennais).
Un mea culpa attendu et évident
Tout cela, Valentin Rongier, pur produit du centre de formation des Canaris, le savait parfaitement lorsqu’il postait – en 2017 – sa story polémique comparant les joueurs rennais à un troupeau de chèvres, de même qu’il affirmait, un an plus tard, ne pas imaginer signer un jour au Stade rennais, « un club qui ne [l’]attire pas du tout ». Il l’a d’ailleurs tout à fait assumé dans son interview post-signature : « C’était il y a longtemps, le contexte était différent. J’étais joueur de Nantes et quand on est passé par le centre de formation […] on essaie de cultiver un petit peu cette rivalité. » S’il affirme, avec le recul, n’avoir « jamais voulu manquer de respect à l’institution Rennes ou à ses supporters » et s’estime « navré, s’il y en a qui se sont sentis blessés ou offensés par [s]es propos », Rongier estime cependant qu’ « alimenter ces matchs à tension avec quelques petites piques, quelques chambrages » est, qui plus est dans un football de plus en plus aseptisé, « ce qui fait aussi la beauté de notre sport. »
Le problème, c’est que le Roazhon Celtic Kop (RCK), principal groupe ultra de la Tribune Mordelles, ne l’entend pas de cette oreille : « Comment ne pas souligner l’hypocrisie flagrante de ceux qui, il y a quelques semaines encore, organisaient un week-end autour de l’identité Rouge et Noir… pour aujourd’hui envisager l’arrivée d’un joueur qui incarne tout le contraire ? », écrit le collectif dans un communiqué, conclu par un cinglant : « Ce recrutement serait pour nous un affront s’il aboutit et nous ne pourrons l’accepter ». Bon, il a finalement abouti, comme celui de l’autre ancien Nantais Ludovic Blas qui, deux ans plus tôt, déclarait qu’ « il faut essayer de penser foot. J’ai pensé à ma progression. Je ne suis pas le premier et ne serai pas le dernier à faire ce trajet-là. » De fait, il n’était pas le premier, on considère que c’est en effet le transfert d’Olivier Monterrubio (dans le même sens) qui a allumé la mèche de la discorde entre les deux camps en 2001. Pour avoir finalement été exemplaire lors de ses six saisons passées en Ille-et-Vilaine. Reste à voir si la trajectoire de Valentin Rongier – comme celle de Quentin Merlin, lui est passé entre les gouttes – ira dans le même sens ou si elle se révèlera un gros coup d’épée dans l’eau. Auquel cas, personne n’en sortira gagnant, d’un côté comme de l’autre.
Valentin Rongier revient sur ses chambrages sur Rennes quand il était à Nantes