Des aveugles retrouvent la vue grâce à un morceau de dent. Une dizaine d’équipes de chirurgiens spécialistes dans le monde sont capables de faire cela, dont une en France. Depuis deux ans maintenant, le professeur Daien et le docteur de Boutray pratiquent cette prouesse au CHU de Montpellier. Ils vont opérer dix patients à la fin de l’année. Cette technique se nomme la kératoprothèse. Elle est connue depuis les années 70, mais elle est très contemporaine.
En résumé, elle soigne les patients qui ont perdu leur cornée en fixant un morceau de dent et en y plaçant un cylindre qui fait passer la lumière. Cette chirurgie de la dernière chance offre des résultats exceptionnels.
Jean-Jacques Robers est devenu quasiment aveugle après un accident du travail en 2008. Il a reçu dans les yeux un produit contenant de l’acide. Une greffe de cornée naturelle lui a permis dans un premier temps de recouvrer la vue, mais le greffon a été rejeté par son corps en 2021. « Une feuille de papier, qu’elle soit écrite ou pas, était blanche, un visage méconnaissable à 50 centimètres », raconte-t-il. Ce retraité du bâtiment âgé de 70 ans mène aujourd’hui une vie normale grâce à une kératoprothèse, une chirurgie dont il a bénéficié au CHU de Montpellier en 2023. « Je peux lire, je peux tout faire comme avant. Quand je pense que j’avais jeté une quantité hallucinante de bouquins quand j’ai vu que je ne pouvais plus lire, je commence à le regretter. Il y a des jours, je trouve que c’est un peu sidérant quand même. Je ne vivais pas dans l’espoir de revoir comme ça ».
L’opération concerne des personnes qui ont eu des brûlures très sévères aux yeux ou qui sont atteintes de syndromes qui touchent la cornée, dont le syndrome de Stevens Johnson et le syndrome de Lyell. Cette opération se déroule en deux phases. La première nécessite la création d’une kératoprothèse, un cylindre en plexiglas qui permet de faire passer la lumière et il est fixé au centre d’une prothèse réalisée avec la dent du patient ou un bout d’os tibial. Ce sont le professeur Vincent Daien, chef du service d’ophtalmologie du CHU de Montpellier et la chirurgienne Marie de Boutray qui réalisent cette étape.
« La dent est un des tissus qui se résorbe le moins au niveau du corps humain et donc notamment chez les jeunes patients aveugles« , explique le docteur Daien. Cette prothèse est placée sous la joue, elle se vascularise, le corps se l’approprie et trois mois plus tard, lors de la deuxième phase, elle est greffée sur l’œil du patient. « Après avoir enlevé sa cornée pathologique, explique le chirurgien, mais aussi son iris, son cristallin, on va recouvrir l’ensemble de la muqueuse buccale, le patient pourra revoir dans un délai de quelques jours à quelques semaines, c’est assez variable ».
J’ai bien peur de me voir dans un miroir, ça va me surprendre.
Dylan, qui s’apprête à subir une opération pour recouvrer la vue
Cette opération est lourde, plus de 8 heures de chirurgie pour chaque phase. Mais les résultats sont bons, voire incroyables. Si le nerf optique et la rétine sont fonctionnels, elle permet de retrouver une très bonne vue jusqu’à 8 dixièmes. Pour ces patients qui ont perdu la vue, c’est un espoir extraordinaire, qui assurément va changer leur vie.
Dylan attend avec impatience la deuxième phase de cette chirurgie. Le jeune homme porte des lunettes noires sur le nez et il s’appuie sur l’épaule de sa grand-mère pour avancer. Elle le guide. À 12 ans, Dylan a vu le monde disparaître autour de lui. « J’ai perdu la vue à cause d’un syndrome de Lyell en 2012, raconte-t-il. Ça m’a brûlé les cornées ».
Le jeune homme fait preuve d’un courage et d’une positivité impressionnante et il a hâte de revoir le visage de ses proches. « Mon frère et ma sœur étaient petits quand j’ai perdu la vue, explique-t-il. Après tout le reste de ma famille, et bien évidemment la nature, parce que c’est ce qui m’anime depuis que je suis petit, j’adore ça ».
Le jeune homme confie aussi son appréhension face à sa propre image. « Parce que j’étais un petit gamin de 12 ans, là maintenant, j’en ai 24, je suis mince, j’ai fait une grosse évolution physique comme mentale. J’ai bien peur de me voir dans un miroir, ça va me surprendre. J’ai envie d’ouvrir mon entreprise de massage, j’ai envie de voir du pays, réaliser mon rêve de partir en Polynésie ». Son opération est prévue le 10 septembre, il espère que ce sera le début d’une troisième vie. Des complications peuvent exister comme l’apparition de glaucomes par exemple, mais elles restent rares au regard du bénéfice extraordinaire, celui de recouvrer la vue.
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