« Papa, maman, je suis content de quitter cette école de l’horreur. » En inscrivant son fils Antoine (1) à Sainte Famille, école privée catholique à La Valette, Lorraine (1) ne s’attendait pas à entendre de tels mots trois ans plus tard. À l’époque, elle avait été séduite par « le cadre et la rigueur » dispensés dans cet établissement hors contrat vantant « une éducation de qualité ». Elle a déchanté lors de l’année scolaire écoulée, comme d’autres parents dont les enfants auraient été victimes « d’ humiliations » et de « maltraitance » d’une partie du corps enseignant. « On se sentait démunis, isolés, jusqu’à s’apercevoir qu’on était plusieurs dans le même cas », confie celle qui a lancé l’alerte.
Une situation préoccupante qui a poussé l’évêché à effectuer un signalement auprès du procureur de la République, suivi de l’ouverture d’une enquête judiciaire, d’après nos informations. Et cela, en toute discrétion… jusqu’à ce que l’affaire éclate sur la place publique, lors du dernier conseil municipal de la commune.
Pour Antoine, les problèmes ont commencé dès la rentrée à cause de son uniforme. « Sa maîtresse lui disait qu’il ne rentrerait pas dans sa classe des CE1/CE2 parce qu’il n’était pas conforme, a rapporté Lorraine, dans une main courante (dont nous avons pris connaissance), datée d’avril. Quotidiennement, elle lui disait ‘’Je ne te veux plus si tu n’as pas le bon short dans la classe’’. Mais nous n’avons jamais été informés de cela par l’institutrice. » Cette dernière, dont le mari était alors son employeur en tant que président de l’Organisme de gestion de l’école privée (Ogep), se serait également « acharnée sur les copies d’Antoine », le notant de « manière aléatoire » ce qui lui a fait dire que « la maîtresse ne l’aimait pas ». « Il a exprimé son mal-être en se rongeant les ongles. Il a commencé à faire des cauchemars, à avoir des maux de ventre « , poursuit la mère de famille.
« C’était humiliant, idiot et totalement inapproprié »
À cela, s’ajoute de la « maltraitance physique », selon les parents d’Antoine alors qu’un jour de décembre, leur enfant a été envoyé sur le balcon du deuxième étage « en plein vent, sans manteau », pour le punir d’avoir bavardé. Son institutrice aurait ajouté: « Comme ça, tu auras bien froid », répétera le jeune élève. « Quand on lui a demandé des comptes, elle nous a répondu que c’était comme ça, qu’elle en avait déjà mis d’autres dehors et qu’il ne risquait rien », se rappelle Lorraine, qui a décidé de scolariser son garçon dans une autre école en septembre.
Dans la même classe, Hyppolite (1) aurait vécu la même punition. À lui, la maîtresse aurait précisé: » Ça te refroidira les pieds « . « C’était une habitude, que j’ai pu observer l’année précédente, abonde Christine Terrenoire, directrice de 2024 à début 2025, avant d’être poussée vers la sortie. J’ai prévenu les personnes concernées qu’il était hors de question que ça se reproduise. Ce n’était pas forcément dangereux, mais c’était humiliant, idiot et totalement inapproprié dans le cadre d’une école. «
Des enfants exfiltrés en cours d’année
« Nous préparons la rentrée avec une équipe renouvelée et la confiance des parents », assure Eric Rouhard, le nouveau président de l’Organisme de gestion de l’école privée (Ogep).
Au fil des semaines, le camarade d’Antoine aurait eu « le moral à zéro » et se serait « désintéressé de l’école » à la suite des nombreuses « dévalorisations » de son institutrice, qui aurait là encore eu des remarques sur son uniforme. « Elle lui disait qu’elle pourrissait sa classe, déplore Isabelle (1), la mère du jeune Valettois. Et s’il avait été absent une fois, le lendemain, elle lui disait qu’ils étaient mieux sans lui. » Puis, elle ajoute: « Vous imaginez l’impact de ce langage sur la classe? Les autres enfants l’ont pris pour bouc émissaire. »
Autre incident, décrit par Isabelle, parmi de multiples « actes inadaptés » qu’elle qualifie de « violence morale « : « Un jour, la maîtresse a dit [à Hyppolite] que lorsqu’elle rentrait chez elle, et que son mari lui demandait pourquoi elle n’était pas bien, elle lui répondait que c’était à cause de mon fils et qu’elle en avait pleuré. À quel moment un enseignant parle à un élève de ses états d’âme, pour le faire culpabiliser? »
« Notre fille s’est urinée dessus par peur du professeur »
Pour échapper à de telles situations et « mettre hors de danger » leurs enfants, certaines familles ont parfois dû les retirer de Sainte Famille en cours de scolarité. Parmi les témoignages qui ont atterri sur le bureau du diocèse, un parent d’élèves évoque « des faits graves », dont la lecture par une maîtresse du bulletin d’un de ses fils « dans le but de l’humilier » devant toute la classe, entraînant « des moqueries ».
Ainsi que des « intimidations »: « Notre fille Julia s’est urinée dessus en classe, par peur du professeur », alerte cette même personne, ciblant trois membres du corps professoral. Voire de la manipulation, via les notations comportementales: « Une institutrice a dit à mes enfants: “Si vous en parlez à votre mère, vous serez punis et je vous mettrai des croix noires. Si cela reste entre nous, je vous mettrai des croix vertes ». »
Une autre maîtresse aurait également obligé une élève de CP à porter une tétine autour du cou pour montrer à tous qu’elle était encore un bébé. 1. Les prénoms ont été changés.
L’audit de l’évêché
Alertée de certains agissements, l’inspection académique de Nice a pris en compte la parole des familles, ouvert un dossier et encouragé les parents des enfants concernés à porter plainte. De son côté, l’évêché de Fréjus-Toulon a mis en place fin janvier un audit, appelé « visite extraordinaire » de « deux délégués » et d’une psychologue.
Objectif? « Prendre la mesure de la situation dans cette école », précise Mgr François Touvet, pour qui « il n’est pas acceptable que des enfants puissent être confrontés à de mauvais traitements, et encore moins au sein d’un établissement hébergé dans nos locaux ». Outre son signalement au procureur de la République, plusieurs préconisations ont été partagées, dont la refonte des statuts pour que l’évêque « puisse exercer son autorité de tutelle ». Par ailleurs, un « processus d’accompagnement » de l’école a été décidé afin de « mettre en œuvre des pratiques éducatives et pédagogiques conformes à tous projets chrétiens d’éducation ». Le tout, supervisé par deux personnes dont Frédéric Gautier (ex-directeur de Stanislas, à Paris).
En interne, ces événements, qui sont intervenus en plein scandale Bétharram impliquant le Premier ministre François Bayrou, ont plus qu’embarrassé l’Organisme de gestion de l’école, dont le président a été remplacé. Mi-mars, lors d’un conseil d’administration, une mise à pied à titre conservatoire a été décidée contre l’institutrice des CE1/CE2 pour avoir puni Antoine en le mettant dehors, écartant toutefois les autres accusations « en l’absence de preuve réelle et sérieuse au sens du droit du travail ».
Une décision intervenue dix jours après une réunion sous haute tension avec les parents de tous élèves de cette école ayant pour devise » La liberté te rendra libre et comblera de joie ». « On nous a demandé de nous excuser, on a été traités comme des traîtres », confie l’une des familles de victimes.
Un retour à la normale en septembre?
Après un long arrêt maladie, la maîtresse temporairement sanctionnée a obtenu une rupture conventionnelle. Pour la directrice, qui a dénoncé « l’autoritarisme des maîtresses » et « les punitions qui tombaient de façon illogique », une hasardeuse procédure de licenciement pour faute grave a d’abord été enclenchée, avant un rétropédalage de la direction, puis un arrangement. « Nous préparons maintenant la rentrée dans les meilleures conditions possibles avec une équipe renouvelée et la confiance des parents », assure Eric Rouhard, le nouveau président de l’Ogep.
Questionné par l’opposition, le maire de La Valette a, lui aussi, dû rendre des comptes sur ce qui se passait sur sa commune, lors du dernier conseil municipal. « J’ai été informé dès la mi-mars par le curé de la paroisse, et je suis depuis en lien avec les autorités compétentes, tant civiles qu’ecclésiastiques, a répondu Thierry Albertini. J’ai veillé à ce que chacun assume ses responsabilités, et c’est ce qui a été fait. Aujourd’hui, les choses évoluent dans le bon sens: la situation est en voie d’apaisement et de restructuration. Les alertes ont été prises au sérieux, et les mesures nécessaires sont engagées dans l’intérêt des enfants et des familles. «
Fin de l’histoire? À la rentrée, l‘institutrice au cœur de la polémique, qui dénonce « un acharnement sur sa personne » mais ne souhaite répondre à nos questions expliquant être « soumise à une clause de confidentialité », exercera dans une autre école hors contrat, à Toulon.