Le 20 juillet dernier, Guillaume Pley a reçu Alice Juggery dans son émission « Legend ». Diffusée sur YouTube et les plateformes de podcasts, « Legend » propose des entretiens en format long où les invités s’expriment librement sur leurs expériences de vie exceptionnelles. C’est dans ce cadre qu’Alice, une jeune femme de 22 ans atteinte d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI), a accepté de se confier.
Dès les premières minutes de l’entretien, la complexité de sa pathologie devient palpable. « Tu ne parles pas à Alice depuis le début, tu parles à Lilia », annonce-t-elle d’emblée. La jeune femme a ainsi révélé que plusieurs identités peuvent à tout moment prendre le contrôle de son corps.
Un quotidien fragmenté entre 13 identités
Alice cohabite avec 12 autres identités, chacune ayant ses propres caractéristiques, âges et personnalités. Lilia, 26 ans, se présente comme organisée et introvertie mais sociable, présente 40 à 50 % du temps. Aurore, 5 ans, extravertie et espiègle, aime les doudous et les jeux : elle représente environ 10 % de la journée. Il y a aussi Mika, 17-18 ans, « une pile électrique » passionnée de musique, ou encore Hayden, 8 ans, végane et passionné de vaches.
Chaque identité a ses propres goûts alimentaires et habitudes. « Alice va manger de la mangue matin, midi et soir. Elle va manger des blancs de poulet, alors que moi, je suis végétarienne », explique Lilia. Cette diversité crée des défis constants : « Si jamais tu switches juste avant, tu n’aimes plus ce qui est préparé ! » précise l’animateur à son invitée.
Les défis du quotidien avec un TDI
Les « switches » (changements d’identité) peuvent survenir à tout moment, souvent déclenchés par des éléments spécifiques, appelés « triggers » en anglais. Certains déclencheurs sont plus visibles : le doudou « Torinclornitorinc » d’Aurore garantit l’arrivée de cette dernière, tandis que les situations de stress font apparaître Lya, l’identité protectrice.
Ces changements imprévisibles compliquent considérablement le quotidien. Alice évoque des « blackouts » qui peuvent durer plusieurs jours : « Je me réveille, je suis en train de m’habiller, je monte dans la voiture pour aller au lycée, et là, je me réveille le soir, dans mon lit et je ne sais pas ce qu’il s’est passé toute la journée ».
Les conséquences peuvent être embarrassantes, voire dangereuses. Aurore peut dépenser 400 euros en doudous sur Amazon si elle a accès à la carte bancaire, ou créer des situations délicates : « Aurore qui arrive parce qu’en train de faire l’amour avec mon copain, j’ai touché le doudou qui était à côté du lit ».
Un diagnostic libérateur après des années d’errance
Pendant des années, Alice a cru qu’elle devenait folle. Les premiers signes sont apparus vers l’âge de 6 ans quand elle a dit à sa mère : « Je ne suis pas seule dans ma tête ». Sa mère a d’abord attribué cela à la créativité de l’enfant mais l’inquiétude a grandi avec les années.
Le diagnostic de TDI n’est arrivé qu’après une première tentative de suicide et un mauvais diagnostic de bipolarité. « C’est la libération pour moi », confie Alice. « Toutes les IRM cérébrales que j’ai passées en pensant que j’avais une tumeur au cerveau, eh bien en fait, non. Il y a un truc véritable ». Le TDI d’Alice trouve son origine dans des violences sexuelles subies dans l’enfance. En 2024, la rencontre fortuite avec son agresseur a fait resurgir des souvenirs enfouis depuis l’âge de 5 ans. « Il y a tous mes souvenirs de lui qui me viole depuis mes 5 ans jusqu’à mes 15 ans », révèle-t-elle avec courage.
Face à cette révélation traumatisante, sa famille l’a soutenue sans remettre en question son témoignage. Cependant, Alice n’a pas encore trouvé la force de porter plainte : « J’ai trop peur. J’ai peur de ce qu’il peut me faire ».
Les troubles dissociatifs de l’identité : comprendre une pathologie méconnue
Le trouble dissociatif de l’identité, anciennement appelé trouble de la personnalité multiple, est un trouble psychiatrique grave caractérisé par la présence de deux ou plusieurs identités distinctes qui prennent alternativement le contrôle du comportement et de la conscience d’un individu. Il s’accompagne souvent de pertes de mémoire importantes et d’expériences d’amnésie dissociative.
Chaque « alter » (identité alternative) possède ses propres caractéristiques psychologiques, souvenirs et expériences. Ces identités peuvent interagir entre elles de manière plus ou moins consciente, avec parfois des « switches » qui entraînent des altérations notables du comportement, de la voix ou de la posture.
Le TDI trouve fréquemment son origine dans des traumatismes sévères, le plus souvent subis dans l’enfance (de 0 à 8 ans), comme des abus physiques, émotionnels ou sexuels répétés. La dissociation apparaît alors comme un mécanisme de défense face à une souffrance psychique jugée insurmontable. Comme l’explique Alice : « Quand tu subis des traumas dans l’enfance, ton cerveau peut ne pas être capable de faire face à ces traumatismes. Et donc, il va mettre en place un système pour assurer la survie de notre corps ».
Le TDI se distingue nettement de la schizophrénie. Contrairement aux patients schizophrènes qui ne sont pas conscients de leurs hallucinations, les personnes atteintes de TDI gardent une lucidité sur leur état. « Un schizophrène va te dire ‘Dieu m’a parlé ce matin’, (…) il ne va pas être conscient de son délire. Alors que quelqu’un qui a mon trouble va se rendre compte et moi je vais te dire ‘Je suis folle. Je perds la boule' » a confié Alice à Guillaume Pley.
En 2023, 183 personnes ont reçu un diagnostic officiel de TDI en France selon l’Assurance maladie, un chiffre très inférieur à la réalité estimée.