Comme la Luftwaffe et Das Heer, l’Armée de terre, la Deutsche Marine, la Marine allemande a été lourdement affaiblie par 25 années de sous-investissements critiques de la part de Berlin, après la réunification et la fin de la guerre froide, ainsi que par des exigences parfois très excessives du Bundestag, le Parlement allemand, concernant l’emploi et la modernisation des forces armées allemandes, au fil de ces années.
Celle-ci a ainsi vu ses effectifs et moyens fortement décroître, après la réunification, en particulier après la fusion de la Volksmarine d’Allemagne de l’Est dans la Bundesmarine de la République fédérale d’Allemagne, pour donner naissance à la Deutsche Marine en 1990. Mais ses navires ont, eux aussi, été conçus politiquement, donnant naissance, par exemple, à la classe de quatre frégates F125 Bade-Wurtemberg, des navires imposants de 150 m et 7 200 tonnes entrés en service de 2019 à 2022, ne disposant d’aucune capacité anti-sous-marine et d’une capacité antiaérienne réduite à l’autodéfense, loin des performances des 8 frégates polyvalentes F122 classe Bremen qu’elles remplacent.
La situation de la Deutsche Marine était à ce point dégradée, en 2022, que même le Zeitenwende d’Olaf Scholz, et son enveloppe de 100 Md€, ne suffirent pas à la ramener à son plein potentiel opérationnel. Mais les choses vont bientôt radicalement changer, à ce sujet !
En effet, s’appuyant sur la hausse massive de l’effort de défense allemand qui se dessine, afin d’atteindre les 3,5 % du PIB qui seront exigés, selon toute vraisemblance, par Donald Trump pour 2030, à l’occasion du sommet de l’OTAN de La Haye à la fin du mois de juin, et sur le volontarisme affiché par le nouveau chancelier Friedrich Merz, en matière de défense, la Marine allemande a présenté le plan Zielbild Marine 2035+, qui amplifie les ambitions déjà exposées en 2023, et vise rien de moins que de la ramener au premier plan, en Europe.
9 à 12 nouveaux sous-marins U212 CD et plus de 12 grands sous-marins sans équipage
En matière de flotte sous-marine, le plan Zielbild Marine 2035+ ne change pas la trajectoire déjà connue, pour ce qui concerne l’extension de la flotte de sous-marins de type U212 CD.
Vue d’artiste du Type 212 CD commandé à 6 exemplaires par la Marine norvégienne ainsi que par la Deutsche Marine
Aujourd’hui, la Marine allemande aligne 6 sous-marins océaniques U212A, entrés en service de 2005 à 2016. Ces navires de 56 m et 1 800 tonnes en plongée disposent notamment d’un système AIP à pile à combustible jugé très performant, et devraient prochainement voir leurs batteries plomb-acide être remplacées par de nouvelles batteries lithium-ion (dont les cellules proviennent de France), pour en accroître l’autonomie.
À cela s’ajouteront 6 nouveaux sous-marins U212 CD, déjà commandés en 2021 et 2024, qui seront livrés à partir de 2031, alors que le plan Zielbild Marine 2035+ fait état de la possible commande de 3 à 6 navires supplémentaires, au-delà de 2035, qui pourraient alors remplacer les 6 U212A aujourd’hui en service.
Beaucoup plus longs (73 m) et lourds (2 800 tonnes) que les U212A, ces navires ont été conçus conjointement avec la Marine royale norvégienne, Berlin s’étant engagé, en 2019, à commander deux navires et à assumer une grande partie des coûts de développement, pour s’adjuger la commande d’Oslo face au Scorpène de Naval Group.
Le plan Zielbild Marine 2035+ précise, dans ce domaine, que la Marine allemande recevra, d’ici à 2035, 12 ou plus grands drones sous-marins, la désignation LUUV (Large Underwater Unmanned Vehicle) étant employée, soit le double du nombre de systèmes spécialisés dans la collecte de renseignement qui était envisagé en 2023.
La flotte d’escorteurs allemands se modernise et s’étend pour atteindre 16 frégates en 2035, épaulées par 3 navires robotisés porte-missiles
La flotte d’escorteurs de la Deutsche Marine devrait sensiblement s’étendre, selon le plan Zielbild Marine 2035+, d’ici à 2035. En effet, outre les 6 frégates F126 Niedersachsen commandées en 2020, et dont la conception a été confiée au néerlandais Damen associé aux chantiers navals Blohm + Voss, afin de remplacer les quatre F123 de la classe Brandebourg de lutte anti-sous-marine, celle-ci prévoit de commander six frégates lourdes F127 de type MEKO400, pour remplacer les trois frégates antiaériennes F124 Sachsen.
Les frégates antiaériennes F127 seront les pendants allemandes des Type 83 britanniques et DDx italiens.
Longues de 180 m pour un déplacement évalué à plus de 10 000 tonnes, ces frégates valent des destroyers lourds, avec un tonnage et des dimensions équivalents aux destroyers Arleigh Burke de l’US Navy. Elles seront très probablement équipées du système antiaérien et antimissile AEGIS américain, et des mêmes missiles que ceux qui arment destroyers et croiseurs de la marine de l’allié américain.
Ce faisant, avec 6 destroyers antiaériens F127 lourdement armés, 6 frégates ASM F126 lourdes et les frégates F125, qui pourraient voir leur nombre ramené à 3 navires, en fonction des contraintes sur les équipages et des coûts de modernisation pour les doter des capacités requises, la flotte d’escorteurs de la Marine allemande passera de 11 frégates et 69 000 tonnes aujourd’hui, à 15 frégates et destroyers pour 144 000 tonnes en 2035, soit une croissance de 117 %, dont 6 destroyers antiaériens lourds.
À titre de comparaison, avec 2 Horizon, 6 Aquitaine, 2 Alsace et 8 Amiral Ronarc’h — en admettant la commande de 3 FDI supplémentaires — la Marine nationale disposera, en 2035, de 18 frégates, dont seulement 4 frégates antiaériennes, pour un tonnage d’un peu moins de 100 000 tonnes.
Outre la flotte d’escorteurs, le plan Zielbild Marine 2035+ prévoit également de doter la Deutsche Marine de trois grands navires d’accompagnement porte-missiles, Large Remote Missile Vessels ou LRMV, dont on ignore encore les caractéristiques, mais qui lui permettront, indubitablement, d’accroître sa puissance de feu et d’accumuler de l’expérience dans le domaine des « Naval Wingmen ».
On notera, de manière intéressante, que l’acronyme LRMV était déjà employé par le passé par la planification de la Deutsche Marine, mais qu’il était alors présenté comme « Large Remote Multi-Purpose Vessel ». Le passage de « Multi-purpose » à « Missiles », bien que discret, est révélateur des changements de paradigme à l’œuvre au sein de la Marine allemande.
18 navires sans équipage de protection littorale FCSS pour renforcer les corvettes K130 Braunschweig
Traditionnellement, la Deutsche Marine met en œuvre une flottille de corvettes et de vedettes lance-missiles destinée à assurer la défense littorale du territoire. Pour cela, aujourd’hui, celle-ci aligne 5 corvettes K130 de classe Braunschweig, des navires de 90 mètres et 1 800 tonnes, armés d’un canon de 76 mm, de 4 missiles antinavires RBS-15 et de deux systèmes antiaériens et antimissiles d’autoprotection RAM emportant 21 missiles chacun.
Les corvettes K130 disposent d’une armement tournés vers la lutte anti-surface et le minage, et disposent d’une importante capacité d’autoprotection contre les drones et missiles. Elles n’ont, en revanche, aucune capacité de lutte anti-sous-marine.
Au-delà des 5 corvettes K130 déjà entrées en service, de 2008 et de 2013, 5 nouvelles corvettes ont été commandées en 2018, dont la livraison devrait intervenir de 2025 à 2027. Étonnamment, le plan Zielbild Marine 2035+ ne prévoit de disposer, en 2035, que de neuf de ces navires, ce qui laisse supposer que l’un d’eux sera retiré du service ou vendu d’occasion d’ici là, peut-être, une nouvelle fois, pour avoir l’assurance des équipages nécessaires afin d’augmenter la flotte d’escorteurs et de sous-marins.
Cependant, la flottille de protection littorale de la Marine allemande sera renforcée, à ce moment-là, de 18 Future Combat Surface Systems, ou FCSS, des systèmes navals de surface sans équipage, qui seront spécialisés dans la lutte anti-surface, et dont les premiers appels à propositions n’ont été publiés qu’à la fin du mois de mars 2025.
Selon les informations disponibles à ce jour, les FCSS ne seront pas constitués d’un unique modèle, mais d’une famille de systèmes ayant des capacités complémentaires, en fonction des objectifs à atteindre.
La modernisation de la flotte de guerre des mines avec l’arrivée de 12 chasseurs de mines MJ334 et 18 systèmes de drones MCM
Au début des années 2000, la Marine allemande disposait de la plus importante capacité en matière de guerre des mines en Europe, avec 5 dragueurs de mines de classe Ensdorf, entrés en service de 1999 à 2001, et 12 chasseurs de mines classe Frankenthal, livrés de 1992 à 1998, et plus ou moins semblables, en taille comme en performances, aux chasseurs de mines tripartites des marines française, belge et néerlandaise.
Les 8 chasseurs de mines de la classe Frankenthal encore en service seront remplacés par 12+ bâtiments de guerre des mines MJ334.
Avec la réduction des budgets et des effectifs, et la perception de la baisse de la menace dans ce domaine, cette flotte n’est plus, aujourd’hui, que de 2 Ensdorf et 8 MJ332 Frankenthal, soit 10 navires. Le plan Zielbild Marine 2035+ prévoit cependant de reconstruire les capacités de la Deutsche Marine dans ce domaine.
Celle-ci doit, en effet, recevoir au moins 12 nouveaux navires de guerre des mines MJ334, à partir de 2029 et jusqu’en 2035, sans que l’on ait, à ce jour, plus d’informations sur les ambitions de la classe.
Il est cependant probable, étant donné l’intérêt que suscite la classe City de Naval Group dans ce domaine en Europe, et l’arrivée de 12 systèmes robotisés de guerre des mines conjointement aux MJ334, tel que détaillé par le Zielbild Marine 2035+, que le navire allemand sera proche, en taille et caractéristiques, du navire tripartite européen.
À cette capacité navale de guerre des mines s’ajouteront six systèmes robotisés de localisation et de neutralisation des mines navales, pilotés cette fois depuis la terre, certainement pour assurer la protection des grands ports, arsenaux et embouchures fluviales du pays.
Transformation et extension de la flotte logistique et de soutien de la Deutsche Marine
La flotte logistique et de soutien de la Marine allemande sera, elle aussi, modernisée et étendue dans le cadre du plan Zielbild Marine 2035+. Ainsi, aux deux pétroliers ravitailleurs Type 707 de 20 000 tonnes qui doivent être livrés cette année par les chantiers navals allemands Meyer et Neptun, afin de remplacer les deux ravitailleurs Type 704 classe Rhön entrés en service en 1977, s’ajoutera un troisième navire de même type, qui devrait entrer en service autour de 2030.
Vue d’artiste du pétroilier ravitalleurs Type 707
Quant aux six navires de ravitaillement A404 classe Elbe, entrés en service en 1993, ils seront remplacés par autant de navires logistiques A405 de 14 000 tonnes dans le cadre du programme Unterstützungplattform. Au total, le tonnage de la flotte logistique allemande va donc passer de 110 000 tonnes à 185 000 tonnes dans les dix années à venir.
Enfin, les trois navires de renseignement électronique Type 423 de la classe Oste seront remplacés par trois bâtiments bien plus imposants (132 m contre 85 m de long), les Type 424, qui entreront en service de 2029 à 2032.
De 8 à 12 P-8A Poseidon et autant de systèmes de drones de patrouille maritime et lutte anti-sous-marine
Enfin, l’aéronavale allemande va, elle aussi, croître en capacités. D’abord, dans le domaine de la patrouille maritime, alors que le plan Zielbild Marine 2035+ prévoit de convertir intégralement la flotte allemande vers le Boeing P-8A Poseidon américain, dont le format pourrait être porté à 12 appareils, ce qui réduit à néant les espoirs français de voir Berlin rejoindre le programme de patrouille maritime autour de l’A321 annoncé il y a quelques mois.
Dans le même temps, la Marineflieger se dotera de 8 à 12 systèmes de drones de patrouille maritime, destinés à assurer les missions de surveillance, de lutte anti-surface et anti-sous-marine, aux côtés du P-8A, sans que l’on sache encore si celle-ci se tournera vers l’Eurodrone, dont la configuration bimoteur apparaît très adaptée à ce type de mission, ou vers le MQ-9B SeaGuardian, spécialement conçu par General Dynamics pour ce type de mission, mais dont les essais par la Marine allemande ont été annulés en 2024, sans raison concluante.
La MarineFlieger pourrait acquerir jusqu’à 12 P-8A Poseidon auprès de l’américain Boeing.
Quant à la flotte d’hélicoptères embarqués, son format demeure inchangé dans le plan Zielbild Marine 2035+, avec 31 NH90 NRFH Sea Tiger de lutte anti-sous-marine, et 17 NH90 NTH Sea Lion pour les missions de transport et de sauvetage. La flotte de drones embarqués de type hélicoptère, elle, vise un format de 22 unités ou plus à cette échéance.
Conclusion
On le voit, si la Deutsche Marine avait lourdement souffert des arbitrages budgétaires et politiques de la fin de la guerre froide et de la réunification, jusqu’au lancement du Zeitenwende, quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, le nouveau plan Zielbild Marine 2035+ prévoit de la ramener aux premières loges des puissances navales européennes, dans les dix années à venir.
Fondamentalement, celui-ci ne représente pas une évolution radicale, en dehors du renforcement sensible du rôle des drones et systèmes robotisés, des ambitions présentées par l’amirauté allemande en 2023, en plein travaux sur le renouvellement du potentiel naval militaire du pays, en s’appuyant sur une partie des 100 Md€ qu’Olaf Scholz avait mis sur la table pour reconstruire la Bundeswehr.
Cependant, beaucoup des ambitions avancées alors paraissaient excessives, et leur financement plus qu’incertain, alors que très vite, le gouvernement de Berlin et le Bundestag commencèrent à raboter les ambitions initialement annoncées, ici en y intégrant des dépenses non planifiées, là en en étendant le calendrier et le périmètre.
À présent que les ambitions budgétaires et politiques, à Berlin, sont alignées avec celles de la Deutsche Marine, le plan Zielbild Marine 2035+ apparaît plus que crédible, et ses ambitions, qui représentent parfois le doublement des moyens disponibles à ce jour, accessibles, tout du moins du point de vue industriel.
Flotte navale et aéronavale de la Marine allemande en 2035, selon le plan Zielbild Marine 2035+
Reste à voir, à présent, si les effectifs suivront, tant pour permettre à la Marine allemande d’armer les nouveaux sous-marins, frégates et corvettes prévus, que pour mettre en œuvre des systèmes hautement technologiques robotisés, nécessitant des compétences rares et recherchées sur le marché.
Car, comme on peut s’en douter, ce ne seront pas les ressources budgétaires et industrielles qui pourront limiter les ambitions de défense allemande, mais bien la très difficile question des ressources humaines qui, pour l’heure, n’a toujours pas trouvé sa solution..
Article du 21 mai en version intégrale jusqu’au 27 juillet 2025
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