Depuis des décennies, on compare
volontiers le cerveau humain à un ordinateur. Mais cette métaphore,
aussi pratique soit-elle, risque de sous-estimer ce que notre
organe pensant accomplit réellement. Ultra-efficace, flexible,
capable d’apprendre, d’imaginer ou de créer, le cerveau est bien
plus qu’un réseau de neurones mécaniques. Et si, plutôt que de
s’inspirer de la technologie informatique classique, il fallait se
tourner vers un autre domaine, plus mystérieux encore : la physique quantique ?

C’est l’idée audacieuse qu’une
nouvelle étude venue de l’Université de Shanghai remet au goût du
jour, en s’appuyant sur un phénomène au nom presque magique :
l’intrication quantique.

Un cerveau quantique ? Une
vieille idée toujours controversée

Dans les années 1990, le
physicien Roger Penrose et l’anesthésiste Stuart Hameroff avaient
déjà formulé une hypothèse iconoclaste : la conscience humaine
serait le produit de phénomènes quantiques à l’intérieur même des
neurones. Leur modèle, baptisé Orch-OR (réduction objective
orchestrée), s’est attiré les foudres d’une grande partie de la
communauté scientifique, faute de preuves concrètes. Mais il a
aussi ouvert une brèche dans notre compréhension du cerveau : et si
certains processus mentaux échappaient aux simples lois de la
physique classique ?

Car malgré des décennies de
recherche en neurosciences, un mystère demeure : comment le cerveau
parvient-il à synchroniser des millions de neurones pour produire
une conscience unifiée ? Cette orchestration reste difficile à
expliquer par les seuls mécanismes électrochimiques connus.

L’intrication, ou la « magie
» de la physique quantique

L’intrication quantique
désigne un phénomène étrange, mais bien réel, dans lequel deux
particules (comme des photons) deviennent liées de façon telle que
l’état de l’une dépend instantanément de l’autre, même à des
kilomètres de distance. Albert Einstein lui-même trouvait cela «
trop bizarre » pour être vrai, qualifiant ce lien invisible d’«
action étrange à distance ». Pourtant, l’intrication est
aujourd’hui démontrée et utilisée dans certains protocoles de
communication sécurisée.

L’étude chinoise, publiée dans
Physical Review E, suggère que le cerveau humain
pourrait exploiter ce phénomène. Les chercheurs ont modélisé
l’effet de certaines vibrations infrarouges dans la myéline — cette
gaine grasse qui enveloppe les axones des neurones. Selon leurs
calculs, cette structure cylindrique pourrait constituer un
environnement idéal pour générer des paires de photons intriqués,
capables de se déplacer dans différentes régions du cerveau.

Une nouvelle forme de
communication neuronale ?

Pour les auteurs, cette
hypothèse pourrait éclairer le mystère de la synchronisation
neuronale. Si l’intrication permet une forme de communication quasi
instantanée entre régions cérébrales éloignées, alors le cerveau
disposerait d’un véritable réseau quantique naturel, bien plus
rapide que les signaux électriques classiques.

Ils évoquent même l’idée que
ces photons intriqués pourraient constituer une « ressource de
communication quantique » au sein du système nerveux. Autrement dit
: le cerveau pourrait utiliser certaines lois du monde subatomique
pour optimiser sa transmission d’information, voire générer des
phénomènes complexes comme la conscience.

cerveau quantique intrication
Un examen plus approfondi des cylindres de myéline et de leur
emplacement le long de l’axone du neurone. Crédits : Liu et al.,
Physical Review E, 2024Science ou science-fiction
?

Soyons clairs : ces résultats
restent purement théoriques. Aucune preuve expérimentale directe de
ce mécanisme n’a été observée dans un cerveau vivant. Le défi est
énorme : il s’agirait de détecter des photons intriqués dans un
environnement biologique chaud, humide et chaotique. Autrement dit,
exactement ce que les systèmes quantiques détestent.

Mais cela n’empêche pas les
chercheurs d’y croire. Comme le souligne l’un des co-auteurs,
Yong-Cong Chen, si l’évolution cherchait un moyen d’établir une
coordination rapide et précise entre neurones, l’intrication
quantique serait un candidat fascinant.

Une frontière entre deux
mondes

Même si cette hypothèse reste
spéculative, elle alimente un débat essentiel : jusqu’où la
biologie peut-elle rencontrer la physique quantique ? D’autres
domaines — comme la photosynthèse ou la navigation chez certains
oiseaux — ont déjà montré que des mécanismes quantiques pouvaient
intervenir dans des processus biologiques.

Alors, pourquoi pas le cerveau
? Peut-être découvrira-t-on un jour que ce que nous appelons
aujourd’hui « conscience » est le fruit d’un enchevêtrement subtil
entre chimie, électricité, et phénomènes quantiques insoupçonnés.
En attendant, la science continue de tester les limites de
l’imaginable — et c’est bien là tout son pouvoir.