JOEL SAGET / AFP
Adèle Yon, ici au mois de mars 2025, à Paris.
LITTÉRATURE – Le grand prix des lectrices de ELLE, le prix littéraire du Nouvel Obs, celui du Barreau de Marseille, ou encore du meilleur essai selon France Télévisions… Depuis sa parution aux éditions du sous-sol en février dernier, le roman d’Adèle Yon Mon vrai nom est Élisabeth remporte tout sur son chemin, au point d’être un carton cet été.
« C’est phénoménal. Plus de 85 000 exemplaires ont été vendus. Sans compter qu’une douzaine de traductions ont d’ores et déjà été signées », s’emballe son éditeur Adrien Bosc dans les colonnes du Figaro, selon qui le texte réunit à la fois le grand public et les grands lecteurs avec un livre « qui n’en est pas un, mais dix à la fois ».
À cheval entre l’autofiction, l’essai et le plaidoyer féministe, son histoire est une enquête, celle de son autrice elle-même. Tout commence à 25 ans en pleine relation toxique, quand Adèle Yon craint de devenir folle. Quelques années plus tard, l’affaire s’emballe. Elle découvre une photo d’identité dans les affaires d’un grand-oncle, qui vient de se suicider.
L’histoire de Betsy
Dessus, une vieille dame : elle a non seulement le visage éteint, mais aussi deux marques sur les tempes, les signes d’une lobotomie. Cette femme, c’est son arrière-grand-mère Élisabeth, une aïeule dont le prénom s’il a disparu des discussions s’est toutefois transmis de génération en génération dans la famille. On la disait schizophrène.
Adèle Yon s’interroge. Cela pourrait-il être héréditaire, comme l’ont aussi envisagé les autres femmes de son entourage ? La jeune chercheuse en études cinématographiques creuse, déterre et reconstitue le passé, la vérité sur Élisabeth.
Celle qu’on surnommait Betsy a mis le feu à l’âge de 23 ans au château où ses noces devaient avoir lieu, en 1940. Finalement, le mariage se tient comme prévu, et la jeune femme épouse André, un polytechnicien autoritaire avec qui elle aura six enfants. Elle, qui n’en a désiré aucun, vit mal, très mal chaque naissance.
À une époque où le mot de dépression post-partum était ignoré, la psychiatrie la considère comme malade. En 1950, à l’instigation de son mari, elle subit une lobotomie, une intervention chirurgicale alors en vogue qui consiste à sectionner une portion du cerveau. Longuement internée, Betsy sort 17 ans plus tard. Mal reçue dans sa famille, elle meurt en 1990, sans que son mari lui ait avoué vivre avec une autre femme.
Les critiques littéraires unanimes
Succès en librairie, où le livre caracole toujours parmi les meilleures ventes, tous genres confondus, près de six mois après sa sortie, Mon vrai nom est Élisabeth a conquis la critique. Télérama lui a décerné quatre « T », et parle d’une « enquête minutieuse, étayée, obstinée ». Augustin Trapenard, d’un « livre prodigieux, insensé et renversant ».
« Hybride et puissant », selon Le Mondes des livres, le premier roman de la normalienne de 31 ans est « vraiment révolutionnaire », nous dit France Inter. Si Libération estime qu’il va « rester en mémoire », Jérôme Garcin, ex-leader du Masque et la plume, écrit dans La Provence avoir rarement vécu « un tel choc, un tel vertige, une telle émotion ».
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Au cœur des louanges ? L’incroyable matériel fait de correspondances, mails et rapports psychiatriques qu’Adèle Yon a réuni pour les besoins de ce qui était initialement une thèse lui ayant permis de valider son doctorat à l’automne dernier. Mais aussi, sa remise en question de l’existence d’une pseudo-hérédité de « la folie » chez les femmes.
« Au départ, raconte son autrice dans La grande librairie, il y a vraiment une urgence intime et personnelle à comprendre le destin d’Élisabeth pour comprendre la situation dans laquelle je me trouve, moi. Mais assez rapidement, je me suis rendu compte que toutes les femmes de ma famille à un âge qui était le mien au début de mon enquête ont traversé une période similaire. »
La « rage folle » d’Adèle Yon
L’étape d’après, elle décide d’aborder cette peur de la malédiction familiale avec des femmes autour d’elle, et comprend vite que son cas n’est pas isolé. Le phénomène touche de nombreuses familles. Pour elle, c’est une évidence : « Il fallait raconter cette histoire de manière plus large pour que toutes ces femmes qui craignent de devenir folles puissent se confronter à ce que ces récits qu’on se raconte à nous-mêmes cachent véritablement. »
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Les sources sur les lobotomies sont lacunaires. Si elles sont aujourd’hui unanimement condamnées par le corps médical, ces opérations chirurgicales typiques des années 1930 à 1950 en Europe et Amérique du Nord ont été surtout subies par des femmes pour réduire leurs capacités et les isoler socialement, d’après les recherches d’Adèle Yon.
Son travail est né d’une « rage folle », celle dans laquelle elle s’est retrouvée en découvrant le destin de Betsy. « Une rage dont elle-même n’a pas pu profiter puisque l’effet de la lobotomie est d’empêcher le patient de ressentir tous les sentiments négatifs associés à la maladie mentale », explique l’autrice, toujours au micro de La grande librairie. L’arrière-petite-fille d’Élisabeth n’a pas seulement hérité de sa colère, elle la libère.