Il faut sérieusement manquer d’humour pour ne pas rire en découvrant la justification invoquée par Rachida Dati pour se lancer contre Michel Barnier dans l’élection législative partielle à Paris cet automne : «Paris ne peut pas souffrir de guerres d’ego qui me sont étrangères», déclare au Parisien la ministre de la Culture, reine du clash, orfèvre du texto de menace et déclinaison française du trumpisme, entre autres qualités qui la rendent «étrangère» à tout ce qui peut ressembler à une «guerre d’ego». Qu’importe la décision du parti Les Républicains (LR) d’investir à la quasi-unanimité Barnier dans cette «circo» dorée sur tranche englobant les très nécessiteux Ve, VIe et VIIe arrondissements de Paris, Dati part en guerre et en dissidence contre l’éphémère Premier ministre, dont elle a été pendant trois mois ministre de la Culture à l’automne 2024. «J’y vais parce que les Parisiennes et les Parisiens doivent comprendre que cette élection ne peut pas servir qu’à porter les ambitions présidentielles de Michel Barnier, pilonne-t-elle. C’est un manque de respect pour tout le monde, en plus de son parachutage.» Un «parachutage» tout relatif : certes élu toute sa vie en Savoie, le désormais candidat réside depuis longtemps à quelques pas de la basilique Sainte-Clotilde, dans le VIIe, et est régulièrement aperçu dans le Franprix de la rue Casimir-Périer. L’intéressé, «très déterminé, très humble», avait presque l’air d’un communiant en susurrant à son arrivée à la réunion de la commission d’investiture (CNI) de LR à 17 heures : «Je ne suis candidat contre personne, ou plutôt avec tout le monde.»
Pour bien s’assurer de gâcher la CNI, où elle savait qu’elle n’avait aucune chance, la maire du VIIe arrondissement s’est pointée dès le début et a lu un texte au lance-flamme avant de tourner les talons. Le tout communiqué en temps réel au Parisien. Zéro «guerre d’ego», vraiment. «Aujourd’hui, je suis candidate à l’élection législative partielle sur la 2e circonscription de Paris, car, à moins de six mois des prochaines municipales, cette élection lancera nécessairement le début de la campagne», a-t-elle déclaré, s’envoyant des fleurs sur son «opposition solide et respectée» à Anne Hidalgo et sur les sondages qui la placent «très largement en tête». Avant d’envoyer une rafale à Barnier : «Il se présente dans ma circonscription sans m’en parler, poussé par ceux qui veulent m’empêcher de gagner Paris.» Sont mis dans le même sac le président du parti Bruno Retailleau – elle avait préféré soutenir Laurent Wauquiez face à lui en mai – et de nombreux sénateurs et maires d’arrondissements LR, avec lesquels elle entretient des relations exécrables depuis son entrée au gouvernement en janvier 2024, le tout aggravé par leur désaccord sur le vote de la loi PLM, dont elle a arraché le vote contre leur avis. En début de soirée, la CNI a acté toutefois que Dati était «la mieux placée pour incarner l’alternance aux municipales à Paris l’an prochain».
Voilà une situation baroque : Rachida Dati siège dans le même gouvernement que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, avec lequel elle est désormais en conflit ouvert. Le clash de lundi n’étant peut-être qu’une étape dans une longue négociation. La ministre de la Culture pourrait retirer sa candidature en échange d’un soutien en bonne et due forme de LR aux municipales, son véritable objectif. «Barnier à l’Assemblée et Dati aux municipales à Paris. Nous avons encore quelques semaines pour trouver un accord qui évite les malentendus et un combat stérile et fratricide», a tenté d’apaiser sur X la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse.
Contacté par Libération, Matignon n’était pas en mesure de préciser lundi soir si Dati bénéficiait du soutien de François Bayrou − si tant est qu’elle l’ait prévenu de son entrée en dissidence − et si la règle non écrite voulant qu’un ministre battu aux législatives démissionne s’appliquerait en cas de défaite. Egalement interrogé, l’Elysée se tient à bonne distance du dossier, même si les proches d’Emmanuel Macron ne cachent pas que le Président ne veut pas voir revenir Barnier à l’Assemblée. Pas, en tout cas, dans une circonscription détenue par son parti depuis 2017.
Le patron de Renaissance, Gabriel Attal, regrettait la semaine dernière l’absence de «tentative de se coordonner» de la part de LR et de Michel Barnier. Face au «bazar interne» de LR, le parti présidentiel garde ses options ouvertes et tranchera dans «quelques jours» entre plusieurs scénarios : accepter le passage en force de LR avec Barnier, soutenir Dati, ou présenter une candidature indépendante pour succéder à Jean Laussucq, dont l’élection a été invalidée par le Conseil constitutionnel. «En tout cas, bien joué, la gestion de son parti par Retailleau», se marre un soutien d’Attal. A Renaissance, on se console comme on peut pour oublier que ce psychodrame n’aurait pas eu lieu si Emmanuel Macron, cédant à Rachida Dati, n’avait pas laissé Gilles Le Gendre se faire éjecter de la circonscription en juin 2024. Si Barnier l’emporte, ce sera un siège de plus parti en fumée pour les macronistes, après la perte de celui de Stéphane Séjourné dans les Hauts-de-Seine en février. Les ressources humaines, ce trou noir du macronisme.
La ministre de la Culture continue son coup de force. Alors que Michel Barnier a été investi ce lundi 28 juillet comme candidat Les Républicains à la législative partielle de la 2e circonscription de Paris, cette dernière a affirmé plus tôt dans la journée devant la commission nationale d’investiture (CNI) de LR, devant laquelle elle n’est restée que quinze minutes, qu’elle serait candidate, selon deux sources du parti de droite. Peu avant la réunion, elle a confié au Parisien qu’elle comptait bien se présenter, quel que soit le choix de son parti. «Je serai quoi qu’il arrive candidate dans cette circonscription où les Parisiens attendent une alternance, a affirmé la conseillère de Paris, qui envisage donc d’entrer en dissidence. Ma détermination et mon énergie sont pour eux. Paris ne peut pas souffrir de guerres d’ego qui me sont étrangères», a affirmé dans le quotidien la ministre, qui entend aussi se présenter à la mairie de Paris. Un bon point pour elle : pour l’échéance de 2026, la commission la juge «la mieux placée pour incarner l’alternance».
Mis à jour à 19 heures avec l’officialisation de l’investiture de Michel Barnier par LR.